22 novembre 2024
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Mohammed Dib selon Anouar Abdelmalik

REGARD

Mohammed Dib selon Anouar Abdelmalik

Mohammed Dib à Paris en 1963.

Lorsque le sociologue et penseur marxiste égyptien, Anouar Abdelmalik (1924-2012) évoque Mohammed Dib en 1957 ce n’est pas avec un regard du traditionnel lettré arabe qui s’est alité sur le discours nationaliste creux d’une bourgeoisie arabe ne reproduisant que le discours de la culture des maîtres colonisateurs. Bien au contraire.

Anouar Abdelmalik, enfant de la communauté Copte et ex-élève des Jésuites, se décarcasse l’esprit de toutes les pensées nihilistes et obscurantistes en abordant le réel en le décortiquant comme reflet de la matière et un acte historique du vécu des hommes.

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C’est sur cet angle qu’il écrira dans les colonnes de la revue culturelle-égyptienne Al-Majalah (n° 8 du 1/8/1957) un article sur Mohammed Dib, sous le titre bien significatif de Lumières sur la littérature d’Algérie. Le numéro suivant, du 1/9/1957, sera consacré à Mouloud Mammeri.

Dans un arabe simplifié et usant de concepts qui traduisent un certain engagement de l’intellectuel, vis-à-vis de la pensée matérialiste dialectique, version du XXe Congrès du PCUS (1956), le jeune Mohammed Dib est qualifié d’exemple prometteur de cette littérature algérienne née dans le front du combat libérateur. Une littérature occultée par ces dépêches d’informations françaises qui ne relèvent que les situations où ne coule que du sang, remarque-t-il (p.65), tout en signalant que la naissance de cette littérature algérienne contemporaine est un plus qu’il faut ajouter à l’ensemble des littératures modernes.

Dib

Mohammed Dib à Alger Républicain.

Anouar Abdelmalik relève dans son article que « la colonisation française était – et le demeure encore – en train d’assimiler l’Algérie au sein même de la France, comme si l’Algérie ne représentait que les trois départements du territoire  français » (Idem), en réussissant à éliminer toute forme d’expression au patriotisme algérien indépendant, en lui interdisant l’utilisation de la langue arabe comme expression des autochtones du pays.

Il est à noter que la culture des marxistes arabes au Moyen-Orient des années 50 est encore marquée par la vision idéologiste arabiste, au point où l’on décèle difficilement l’outil marxiste dans cette amalgame entre patriotisme et nationalisme ou encore bourgeoisie, capitaliste, coloniale et bourgeoisie coloniale colonisée à cette même époque.

Il est d’autant clair pour Anouar Abdelmalik que la langue française en Algérie est devenue la langue des correspondances officielles, des échanges commerciaux et financiers, de l’administration, de l’enseignement, de la presse, de l’université et même… des casinos, note-t-il avec humour et amertume.

«L’arabe ne devenant que la langue d’expression quotidienne du peuple, notamment dans les campagnes, il ne s’exprimait que dans le parler algérien » (Idem), question qui, de jour en jour, affaiblit l’existence de la langue arabe. L’insistance des propos de cet article sur la question linguistique et de la part d’un marxiste arabe, laisse un peu perplexe certains observateurs face à cette insistance sur la question linguistique comme forme identitaire fondamentale au sein de la question nationale.

Mohammed Dib se distingue, néanmoins, par le fait de son appartenance à une génération, la seconde selon Abdelmalik, qui s’imposait comme hors la littérature française qui ne voyait en l’Algérie et ses habitants, qu’un décor plein d’exotisme et de « mystères ».

Mohammed Dib, Mouloud Feraoun, Mouloud Mammeri et bien d’autres sont aussi, pour Abdelmalik, des auteurs ayant cette double culture qui se résume en leur « formation française et mariés à des Françaises » (p.66). Appartenir à cette  culture du colonialiste et non à sa civilisation, estime-t-il encore, est une marque de divergence et d’opposition de la part de ces écrivains, à la culture même du colonisateur et constitue une forme de dire son appartenance à la civilisation arabo-musulmane et à un patrimoine spécifiquement nationale.

Mohammed Dib est d’abord un poète

Anouar Abdelmalik place l’auteur de “L’Incendie” au sein de cette génération née entre 1939 et 1955, la génération d’entre la Seconde Guerre mondiale et la Conférence de Bandoeng, cette génération d’écrivains qui font du peuple leur matière d’écriture et d’esthétique. Mohammed Dib est certes un écrivain réaliste mais il est surtout un poète :

« Il n’observe pas le réel tel qu’il est et ne le décrit nullement comme état de stagnation ou d’immobilisme, mais comme un réel qui prend tout son sens par les sensations. Il représente son peuple dans la forme d’images vivantes et confuses même, s’adressant à nos cœurs et soulevant les émois de son lecteur. Il est un écrivain réaliste dans le sens le plus précis du terme » (Idem).

Le sociologue égyptien avait lu Dib en français et il précisait qu’à la rédaction de son article, aucune traduction arabe n’est encore parue au Moyen-Orient. Il décela en lui, un écrivain très enraciné dans le sol algérien, dans sa terre meurtrie et n’use d’aucun imaginaire cosmique afin de s’élever vers les cimes de l’irréel. Il est parmi des paysans qu’il a connus. Il parle leur langue, respire leur air, ressent leur douleur et écrit pour eux et sur eux, poursuit Anouar Abdelmalik.

Il est cet écrivain qui reste plein d’espoir, Dib ignore ce que stagnation veut dire, de même pour le mot abdication et l’espoir chez lui n’est pas une série de slogans ou d’intempestifs applaudissements, mais le résultat d’interactions au sein de ce peuple, qui reste en étroite relation avec son Histoire millénaire et ses événements les plus douloureux. Mohammed Dib, dira Abdelmalik, est cet écrivain qui affronte et se confronte à chaque angle, un coin sombre ou sanguinaire de toute vie qu’il décrit.

Nous signalons par ailleurs, qu’Anouar Abdelmalik peut susciter quelques déboires à travers certaines de ses prises de positions, à l’égard d’un écrivain algérien n’écrivant que dans la langue du colonisateur. Mais, nous ne devons oublier que nous sommes en 1957 et que l’idéologie du Panarabisme du colonel Nasser est à ses heures de gloire avec comme modèle le «socialisme arabe». A cette époque, les « communistes arabistes» d’Egypte développaient ses thèses, en rompant dans un antimarxisme flagrant. Anouar Abdelmalik évoluera, lui-même, vers un sociologisme made in Althusser, autour du jeune Karl Marx encore Hégélien.

Mais il n’en demeure pas moins que l’article sur Mohammed Dib relève de la critique sociologique intéressante à plus d’un point de vue et toujours d’actualité. Anouar Abdelmalik le qualifie à juste titre de « maître incontesté de l’expression romanesque et poétique » (p.67). Chose rare chez les écrivains de sa génération qui, pour la plupart, ont échoué par le fait d’une guerre mondiale au point de rater leur propre existence.

Le hic de cet article est la courte notice biographique de Mohammed Dib, Anouar Abdelmalik évoque la rencontre de Dib avec Jean Cayrol, lors du Séminaire de Sidi-Madani au moment où il mettait en œuvre La Grande maison. Une rencontre qui marqua notre écrivain tout comme ses lectures d’Aragon, de Stendhal, de Tchékhov et de Gogol. Abdelmalik rappelle que Dib était sur le point d’achever le troisième roman de sa « Trilogie » Algérie, intitulé Frères de l’humanité, de même qu’un autre roman, Hommes sans but  et dans lequel il est question de l’histoire d’une famille conservatrice et propriétaire terrienne. La présentation d’Anouar Abdelmalik, mentionna des passages bien significatif de L’Incendie, du recueil de nouvelles Au Café en citant l’exemple des textes, La Petite cousine et Terres interdites, avec une lecture de l’esthétique dibienne a travers le choix des personnages, leur état d’âme et la force de Dib d’intégrer l’ensemble dans le seul espace de vie.

Auteur
M. K. Assouane

 




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