Mohammed Kemmar est un écrivain, dramaturge et chercheur algérien, reconnu pour son engagement en faveur de la culture amazighe et sa réflexion sur les thématiques de mémoire, d’identité et de migration. Son œuvre s’inscrit dans une démarche de transmission et de préservation du patrimoine berbère, tout en interrogeant les dynamiques contemporaines des sociétés post-coloniales.
Auteur de Sur les pas de Mammeri (2025), Mohammed Kemmar explore l’héritage littéraire et anthropologique de Mouloud Mammeri, une figure majeure de la culture amazighe. Dans cet essai, il analyse la survivance identitaire amazighe, mettant en lumière les tensions entre mémoire collective et uniformisation culturelle. Il offre également une réflexion sur la quête de liberté et les rapports complexes entre citoyenneté, pouvoir et religion.
Parallèlement à son travail littéraire, Mohammed Kemmar est impliqué dans le théâtre. Il a adapté et mis en scène des classiques tels que Les Justes d’Albert Camus, Aux héros purs de Jean Sénac, et Le voyage de la harpe de Farid U-Din Attar. Avec Muhand U Yehya, il a revisité Le Médecin malgré lui et La Farce de maître Patelin. Ses productions, jouées à Béjaïa, Tizi-Ouzou, Alger, Marseille et Grenoble, ont rencontré un large succès.
En plus de Sur les pas de Mammeri, Mohammed Kemmar a coécrit Moi, Mohamed, esclave moderne (2012) avec Djénane Kareh Tager, un récit autobiographique qui plonge dans la vie des sans-papiers en France. À travers ce témoignage poignant, il donne une voix aux invisibles, en exposant les réalités de la précarité, des arrestations et de la marginalisation.
L’ensemble de son œuvre témoigne d’une réflexion profonde sur les défis contemporains de la mémoire, de l’identité et de la migration. Il interroge la survie des identités culturelles face à la globalisation et la condition des migrants. À travers son travail, Mohammed Kemmar invite à repenser la place des individus dans un monde en mutation rapide.
En revisitant les figures emblématiques de la culture amazighe, notamment Mammeri, Mohammed Kemmar rétablit la portée philosophique et politique de ces œuvres, soulignant leur dimension de résistance face à l’uniformisation culturelle. Il s’inscrit ainsi dans une dynamique de réappropriation intellectuelle et de transmission de la mémoire aux générations futures.
Son théâtre, ancré dans la culture kabyle, contribue à la revitalisation de la langue amazighe et à la réflexion sur la justice, la résistance et la mémoire collective. Enfin, son ouvrage Moi, Mohamed, esclave moderne met en lumière les réalités humaines des migrants, rendant visible l’invisible.
À travers cet entretien, Mohammed Kemmar revient sur son parcours artistique et intellectuel, partageant les expériences et convictions qui ont façonné son œuvre. Il nous livre une réflexion sur la mémoire, la culture amazighe et l’importance de l’art dans les luttes contemporaines.
Le Matin d’Algérie : Votre ouvrage Sur les pas de Mammeri rend hommage à une figure majeure de la culture amazighe. Que représente Mouloud Mammeri pour vous, personnellement et intellectuellement ?
Mohammed Kemmar : Il est très difficile de cerner la personnalité d’un homme exceptionnel, d’un intellectuel comme Mouloud Mammeri. Tour à tour écrivain, romancier, essayiste et ethnologue à ses heures. Malheureusement, comme beaucoup de grandes figures de la littérature, d’artistes, de poètes, écrivains, penseurs, c’est après leur disparition que l’on se rend compte de leur dimension et de la portée de leurs œuvres. En général, c’est à postériori que l’on redécouvre les versants moins connus de leurs engagements, de leurs écrits, de leurs pensées, qui ont d’une certaine manière, anticipé sur leurs époques sur des sujets sociétaux. On peut citer entre autres Kateb Yacine, Tahar Djaout, Mohya, Mohammed Dib, Zola, Hugo, Voltaire, Gorki, Térence, Hobbes, Taha Hussein, Machiavel, Platon, T. Campannella, et bien d’autres encore.
C’est le cas de Mouloud Mammeri dont on a fini par reconnaitre le formidable travail de mémoire et d’avoir posé la question de l’identité dès les années soixante alors que l’élite à l’époque était sur d’autres sujets. Il faut lui reconnaitre cette lucidité, cette détermination, cette profonde conviction que la question identitaire est intimement liée aux principes fondamentaux des nations. Il a su inverser le court de l’histoire de notre pays, celle des « constantes » imposées comme base unique du roman national biaisé amputé de son histoire.
Son travail méthodique, sa détermination ont ouvert la voie de réintroduction de la question identitaire, dont se sont emparés à la fois l’élite Amazigh et les militants-tes. De la contestation des années soixante-dix quatre-vingt, la question a muri et le travail mené au prix de grands sacrifices a permis de dépasser la pensée figée et sclérosée d’un FLN moribond et remettre la question de l’identité Amazigh articulée à l’exigence démocratique au cœur des défis et enjeux en Afrique du Nord. Mouloud Mammeri s’était d’abord attelé à moderniser l’écriture Amazigh à formaliser une grammaire, puis à recueillir, les dits des poètes et Amusnaws, coutumes, us, traditions, soubassements de l’identité de la culture Amazigh.
Souvent seul, régulièrement calomnié, invectivé, face à l’hostilité de la puissance publique voire d’une certaine élite dans un environnement défavorable, Mammeri partait, armé que de sa plume et, patiemment, il a su réintroduire la question identitaire longtemps réduite à du folklore, à des croyances païennes, voire à des débris de pièces archéologiques. Le printemps berbère de mille neuf-cent quatre-vingt, va briser l’isolement de Mammeri et fissurer le discours dogmatique d’une pensée unique qui a construit le roman national sur une imposture et une matrice idéologique arabo-musulmane niant l’histoire de Tamazgha, trois fois millénaires qui aurait pu constituer le socle d’une nation réconciliée avec son histoire dans sa diversité et résolument tournée vers l’avenir.
En tandis qu’il subissait les foudres des gardiens du temple, Mouloud Mammeri dans le sillage de ses prédécesseurs, infusait la culture de ses pères. Et la graine va pousser et il réussit à ouvrir les champs du possible dans un univers sombre et cadenassé. Il a ainsi permis aux Imazighens de relever la tête, de sortir du syndrome de la fatalité et de la soumission, comme le rappelait Tassadit Yacine. Aujourd’hui, les Imazighens se réapproprient fièrement leur culture, leur histoire, leurs identité articulées aux valeurs intrinsèques de liberté, de démocratie d’égalité hommes-femmes fondements des sociétés modernes.
Personnellement il m’a fallu du temps, relire ses œuvres, repasser ses interviews, analyser ses nouvelles, théâtre et essais pour tenter de comprendre la vision de Mammeri et ses interrogations sur les silences qui hantent notre histoire.
Le Matin d’Algérie : Le 4 mai 2025, lors de votre rencontre au café littéraire parisien L’Impondérable, où vous étiez l’invité de l’écrivain Youcef Zirem, les échanges avec le public ont révélé que l’œuvre de Mouloud Mammeri continue de captiver et d’inspirer. Comment percevez-vous cette fascination pour son héritage littéraire et intellectuel ?
Mohammed Kemmar : En premier lieu je tenais à remercier Youcef Zirem et son équipe de m’avoir invité à cette rencontre qui nous a permis ces échanges enrichissants. C’est une excellente idée que ces cafés littéraires qu’on aurait souhaité voir se multiplier, car ce sont autant de lieux de rencontres, de débats, d’agoras, de fenêtres qui valorisent la culture et nourrissent la démocratie.
S’agissant de Mammeri, en effet, plus de trente-cinq ans après sa disparition, et malgré les nombreux ouvrages, thèses colloques qui lui sont consacrés, il reste que nous n’avons pas exploré toute la densité d’une œuvre riche qui a touché à plusieurs domaines. De la littérature, aux essais, nouvelles, pièces de théâtre, articles de presse, conférences. Son œuvre multiple et complexe continue de nous interroger. On est heureux de constater que la nouvelle génération sur les pas des anciens s’intéresse à nos écrivains, poètes, artistes, penseurs, dramaturges, etc. C’est quand on analyse l’œuvre et la trajectoire de Mammeri que l’on mesure la portée de sa pensée et de sa réflexion, articulées à l’histoire d’Algérie mais dont les fictions et ses personnages nous renvoient aux interrogations de notre temps et à la condition humaine. Mon essai sur l’œuvre dramatique de Mammeri s’inscrit dans cette perspective de contribuer à mieux faire connaitre son œuvre.
Par ailleurs, jusqu’ici on a cantonné Mammeri à la question identitaire, même si cette discipline l’as beaucoup absorbé cela ne l’a pas empêché de traiter des grands sujets qui interrogent notre époque. En effet, et au-delà du travail sur la langue Amazigh, Mammeri était aussi un intellectuel hors pair qui s’est aussi penché sur d’autres questions politiques, sociétales idéologiques.
Du sommet enneigé de Kouilal, du village de Tasga ou dans l’immensité du désert algérien, Mammeri déroulait ses fictions et ses personnages puisés dans la société eux-mêmes confrontés aux épreuves du temps et aux bouleversements de notre époque. Dans la colline oubliée, c’est le village oublié mais pas coupé du monde. Il évoquait la 2iem guerre mondiale qui déchirait l’Europe mais qui atteignait le village par les nouvelles peu rassurantes qui arrivent et l’enrôlement de jeunes. Il traitera aussi les dures épreuves d’un système colonial inique que subit la population avec le statut d’indigènes.
Dans Le sommeil du juste, les « dormeurs » vont se révéler les précurseurs de la prise de conscience nationaliste et les artisans du déclenchement de la révolution. Dans L’opium et le bâton où les dialogues de ses personnages reconstituent fidèlement les positions des uns et des autres face au conflit inéluctable, où Mammeri privilégie la liberté de parole de ses personnages plutôt qu’une vision binaire. Il pose en filigrane la question de l’engagement des élites intellectuelles dans les mouvements de pensée qui traversent la société exemples : Le dialogue entre Ramdane et Bachir dans L’opium et le bâton, la question du renouveau dans une société traditionnelle, entre les besoins d’émancipation des jeunes, face au conservatisme des vieux, ou le culte des ancêtres. Ces jeunes du village entre la Tajmait, la sehja, qui s’interroge sur leur vie, leur avenir dans cette colline oubliée. Il évoque aussi les déchirements, les passions, celle des amours impossibles entre la belle Davda qui épousera Akli alors qu’elle est amoureuse de Meddour. (La Colline oubliée).
Dans La Traversée, qui prend pour moi une valeur de testament, il y a une dramaturgie qui se noue empreinte de mélancolie et de désillusion. La fête de l’indépendance, les lendemains de fête qui déchantent, les conflits fratricides entre frères d’hier. Le parcours de la caravane parti du nord au sud et dont les personnages incarnent précisément la réalité des clivages politique et idéologiques qui réapparaissent après leur mise en sourdine le temps de la traversée !!! Les caravaniers de cette traversée incarnent précisément l’ambivalence de cette Algérie qui se cherche.
Ces équipiers de la caravane, c’est le condensé des courants idéologiques qui s’affirment dans l’Algérie postindépendante entre les marxistes, les nationalistes, les partisans d’un socialisme spécifique, les libéraux, les communistes, les démocrates, les islamistes, et en toile de fond les déchirements qui s’annoncent.
L’oasis qui apparait comme un point d’eau, une lueur d’espoir, n’est-elle finalement que le produit des mirages du désert ? Pourquoi Mourad reprend-il le chemin de Kabylie après la désillusion de « ses rêves démocratiques » ? Pourquoi retourne-t-il auprès des siens pour mourir sur les dalles froides de la Tajmait du village. On est au cœur de la tragédie Grecque, ou les héros, souvent des idéalistes ou des incompris finissent trahis ou vilipendés ?
Il évoquera aussi les dialogues, prélude aux fractures politiques entre Amalia et serge. Il est question des idéologies qui traversent l’Algérie où tous les espoirs autant que les illusions. Quand Boualem et Amalia échangent sur la relation de cette dernière avec le parti communiste des rêves d’un monde meilleur, d’égalité, d’humanisme qui se brise avec les soulèvements de Budapest (1656) puis Prague (1968), réprimés dans le sang par les chars soviétiques. Mammeri pose la question fondamentale du rapport à la liberté aux pouvoirs politiques, évoqués déjà par les penseurs Grecs, Platon, Aristophane il y’a plus de vingt siècles théorisés plus tard par Hobbes, Montesquieu.
Par un style incisif parfois décapant, Mammeri a construit des fictions qui nous replongent au cœur de nos problématiques contemporaines. De Tasga, aux sommets enneigés du Djurdjura, du Gourara à Tamanrasset, Mammeri déroule ses péripéties et semble traverser le temps suspendu. L’immensité de Tamazgha, nous est restituée dans sa splendeur, sans nier les écueils. Les dialogues ne sont pas construits selon une chronologie pré établi et la liberté qu’il confère à ses personnages nous intrigue nous passionne comme si l’auteur n’est que le témoin des événements qu’il nous restitue avec une langue intérieure pour évoquer le passé et l’histoire dont il soigne les blessures qu’elle est tentée de nous infliger.
Par ailleurs les femmes ne sont pas représentées comme des éléments de décor ou de simples compagnons de route. Elles sont parties prenantes du récit. « C’est Aazi qui tient la clef de Taassast et ne consentira à l’ouvrir qu’au retour de la bande de la Sahja. « La colline oubliée » Prémonitoire, Mammeri évoquera au travers du personnage de Boualem « la traversée », la montée en puissance de l’islamisme dans sa version la plus radicale et la plus totalitaire.
C’est Amalia qui répond sèchement à la lettre de Kamal quand celui-ci traite Mourad d’homme du passé, considérant qu’il n’était lui (Mourad) en fin de compte qu’un compagnon de route et leur chemin sinueux s’abimera dans le désert. Amalia affirmera que même mort Mourad continuera à hanter ses équipiers par l’idéal qu’il porte. Car lui (Mourad) avait des engagements et des convictions, tandis que tant se vautrent dans le conformisme et qu’à ce titre, il était son exact opposé, répond Amalia.
Attaché à sa liberté, à son autonomie, Mammeri se situait loin des arcanes politiques. Jamais il ne se mettait en scène. Quant aux médias, s’il était souvent sollicité pour des interviews davantage à l’étranger que dans son pays ou la télévision l’avait banni de ses écrans. Il travaillait dans une discrétion totale.
Mais Cela n’était pas antinomique avec une grande proximité avec les gens et il était très accessible si on souhaitait le rencontrer. Comme beaucoup de personnes de ma génération j’ai eu à maintes reprises l’occasion d’échanger avec lui à At-Yenni, au CRAP- à Alger entre-autres.
De mon point de vue, on lui doit d’avoir compris que c’est par la culture entendu dans son sens le plus large (valeurs et éthique) que l’on peut dépasser l’impasse intellectuelle, les vicissitudes du présent et tracer des perspectives plus prometteuses. Il fallait s’arrimer au monde, sans renoncer à ce que nous sommes, tel est notre défi déclarait-il dans une interview sur France culture : « les chemins de la connaissance Mars 1983 »
On ne peut s’extraire du monde et vivre en vase clos pour préserver notre culture mais on ne peut pas non plus se fondre dans la modernité en se dépouillant de son histoire de son identité. Il s’agit d’aller vers les autres en y apportant notre part d’humanité. C’est notre défi et notre chemin de croix disait-il. Et même si parfois, on est gagné par le pessimisme au regard des dégâts engendrés par le système éducatif au rabais ou l’expansion du salafisme comme doctrine mortifère, il y’a une réelle prise de conscience de notre jeunesse qui s’empare du formidable travail des anciens pour se réapproprier cette culture.
Depuis le mouvement national, la question fondamentale de l’identité dans la définition de la nation a été posée. Depuis, nous avons connu diverses péripéties dont le Printemps berbère et la tragédie de 2001 ou 127 jeunes furent tuées dans des conditions effroyables, et au-delà de l’hommage dû aux victimes, nous devons rester fidèles à leurs serments celui de défendre notre culture, notre histoire et notre identité.
Nous observons un mouvement de réappropriation de cet héritage culturel. Les jeunes artistes qui reprennent les textes de nos anciens (Slimane Azem, El Hasnaoui, Chérif Kheddam, Cherifa) etc…, De nombreux jeunes écrivains, essayistes qui émergent, qui puisent et analyse les textes de nos anciens, des dramaturges, des cinéphiles, etc … prouve qu’il y’a non seulement transmission, mais une modernisation sans renoncer au caractère traditionnel.
Cette prouesse inaugurée par notre grand et regretté Idir qui a porté la chanson kabyle à l’international en préservant ses sonorités musicales traditionnelles et ses textes puisés dans la tradition (ex : Avava Inouva – d’Idir et le fabuleux texte de notre grand poète Ben Mohamed. Ces exemples attestent que le message de Mammeri est reçu, et cela nous réconforte pour envisager une aube et un horizon d’espérance.
C’est par la culture entendu au sens large que l’on peut reconstruire les éléments fédérateurs d’une nation abimée par des décennies d’errements, de fuite en avant, d’imposture et de façonner les éléments d’un contrat social renouvelé où chacun à sa place dans le respect des croyances, dans la diversité assumée comme une richesse et non comme une tare. La culture en termes d’éthique de valeurs à cette puissance de regénérer une nation, un peuple pour peu que ses leviers soient judicieusement utilisés. « La culture est la réponse dynamique d’un peuple à sa condition » disait Milan Kundera.
Rêver d’un soufle culturel salvateur d’un siècle de lumière : Profitant d’un souffle de renouvellement esthétique née en Italie, une poignée de penseurs écrivains, essayistes isolés, vont pourtant bouleverser l’ordre moral, philosophique, religieux et politique en France.
Qui l’aurait imaginé qu’un mouvement de pensée porté par une poignée de philosophes et penseurs isolés, allait bouleverser l’ordre moral bousculer la puissance de l’église et la monarchie absolutiste.
Les Diderot, Voltaire, Montesquieu, Rousseau, Bougainvilliers, ont pourtant réussi à ébranler l’univers du tout-puissant système religieux et monarchique non seulement en France mais progressivement gagnera toute l’Europe, et inspirera de nombreux pays, à tel point qu’un simple courant de pensée s’affirmera plus tard comme le « Siècle des lumières ».
Nous devons sortir de cette posture installée dans la revendication, ou dans une identité figée sclérosée, mais reconstruire une culture Amazigh dynamique, ouverte ; et la diaspora a un rôle considérable à jouer dans ce processus de renaissance culturelle, soubassement et palier d’élan pour esquisser les contours d’un projet commun pour tracer des chemins d’avenir, un nouvel horizon de progrès, de liberté, de démocratie et de progrès. « C’est en allant vers la mer que le fleuve reste fidèle à sa source », rappelait Jean Jaurès.
Le Matin d’Algérie : Vous êtes à la fois écrivain, dramaturge et metteur en scène. Comment ces différentes formes d’expression se nourrissent-elles dans votre travail ?
Mohammed Kemmar : Je ne me suis pas occupé de mise en scène à l’exception des pièces de si Lahlu et si Nistri. Par contre j’ai travaillé sur des textes décomposés de Vicienc : comme « les frontières », « les laveurs de cerveau », « les justes » d’Albert Camus, – Tous ces textes d’auteurs de différentes époques, ont su dépasser les contingences de leur époque pour interroger les labyrinthes de la pensée et les questions philosophiques et les problématiques sociétales, idéologiques auxquelles nous sommes confrontés à des degrés divers quel que soit le pays où nous vivons. La question de la légitimité de la violence évoqué par Albert Camus dans Les Justes, le rapport aux religions aux pouvoirs politiques dans les textes de Vicienc, de Hobbes, Térence, ou Hérodote, de Montesquieu. Il en est de même de la notion du libre arbitre de l’homme, de l’instinct de soumission dont le penseur Perse a développé une réflexion, et plus tard dans les textes d’Etienne de la Boétie etc… Comme quoi la littérature a cette capacité de réinventer l’universalité.
Le Matin d’Algérie : Dans Moi, Mohamed, esclave moderne, vous donnez voix à un sans-papiers. Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ce récit, et quel regard portez-vous aujourd’hui sur la condition des migrants ?
Mohammed Kemmar : Vous savez depuis la nuit des temps les hommes ont migré. Pour chercher le gibier, l’eau, des températures plus clémentes. Evidemment à l’époque il n’y avait ni frontières, ni passeports etc… En d’autres termes la migration est liée à l’homme comme aux animaux. De nos jours les migrations sont de véritables défis pour les peuples, les Etats.
La question migratoire est projetée sur le devant de la scène médiatique et politique ces dernières décennies. Entre démagogie et populisme cette question est largement instrumentalisée alimente et cristallise les débats.
Les crises économiques, la recherche d’un environnement favorable pour sa famille, la réduction en peau de chagrin des droits et des espaces de liberté dans de nombreux pays, les conflits tribaux et inter ethniques, les guerres provoquées par les pays occidentaux (Syrie, Irak, Lybie) ont contraint des millions de personnes à quitter leurs pays. L’exil est toujours un drame. Il y’a aussi l’exil interne dont on ne parle pas, évoque par Mohia dans sa pièce « Si Nistri ». Mais ceci est un autre débat.
La nature de l’immigration a changé autant dans la forme que dans le fond. Dans les années soixante ce sont les plus malheureux qui partaient à la recherche d’un emploi pour nourrir sa famille. Mais aujourd’hui les pays du Sud sont vidés de leur élite et de leurs compétences. Ils partent soit à la recherche de meilleures conditions de travail, de valorisation, d’un environnement pour leurs enfants, et sans doute un peu de tout cela.
Avant, on avait inauguré des quotas d’immigration définis par des accords inter-Etats. Ce qui permettaient aux candidats à l’immigration d’arriver avec des papiers et des perspectives d’emploi et de formation. Depuis quelques décennies ce sont des milliers de personnes qui a bord d’embarcations de fortune ou ayant recours à des passeurs tentent des traversées au péril de leurs vies.
Des milliers de personnes sont engloutis chaque année par une méditerranée devenu un immense cimetière de milliers de vies dont les rêves d’une vie meilleure sont brisés par les flots. Il n’y a pas que les pays occidentaux qui sont concernés- En Afrique du Nord, des milliers de migrants du sahel sont renvoyés dans leurs pays dans des conditions épouvantables selon les ONG internationales.
Le Pakistan a refoulé près de 500.000 afghans qui tentaient de quitter l’Afghanistan après qu’ils furent abandonnés par les USA. Aux USA, on élève des murs pour dissuader les migrants. En Inde les musulmans pourtant installés depuis des générations sont stigmatisés et menacés d’expulsion. Les migrants sont hélas devenus des moyens de pressions utilisés par les Etats oubliant qu’il s’agit de personnes et non de chiffres ou de numéros. La Turquie fait pression sur l’Europe qui paye pour que cette dernière maintient sur son sol ces milliers de migrants dont la majorité viennent de Syrie dont le pays est dévasté par la guerre. Ces malheureux migrants ayant fui la guerre sont devenus des monnaies d’échange et des moyens de pression !
Effectivement j’avais travaillé sur un texte de Matéi Vicniec- intitulé « les migrants. La pièce ne veut ni délivrer un discours politique ni verser dans la surenchère populiste et démagogique. Le spectacle donne la parole aux migrants qui racontent leurs vies, leurs parcours, l’itinéraire de leurs voyages et les péripéties dramatiques. Il y’a un mélange de comique et de dramatique à la fois sur l’absurdité des situations singulières dépeintes et la dimension tragique. Peut-être que par le théâtre, la culture on pourrait soustraire la question des migrants des honteuses manipulations idéologiques et l’appréhender de manière humaine sans démagogie. Car en vérité nous venons tous de quelque part.
Le théâtre décomposé de Vicniec a cette originalité de nous livrer sur scène des situations ambivalentes, comme par exemple la pièce « les laveurs de cerveau » (allusion aux régimes autoritaires mais aussi dans les pays démocratiques, où on rivalise d’ingéniosité dans les moyens de propagande pour fabriquer « du consentement volontaire » à défaut de contraintes forcée.
Le Matin d’Algérie : Le théâtre que vous proposez est souvent en kabyle et adapté d’œuvres universelles. Quel rôle le théâtre peut-il jouer dans la transmission de la langue et de la culture amazighes ?
Mohammed Kemmar : Répétition à Bejaia de la Pièce de théâtre « la cité du soleil » : Texte de M. Mammeri, Mise en scène Romano Garnier -Adaptation Fernand Garnier- Md Kemmar.
Le théâtre en tant que quatrième art est un formidable outil artistique qui permet en tant que spectacle vivant d’offrir au public à la fois des moments de détente par le jeu des comédiens, les dialogues, la dimension artistique de la comédie, du burlesque et en même temps de travailler sur des textes d’auteurs, de délivrer des messages, de s’intéresser aux problématiques de notre société et de manière générale d’être attentif au monde qui nous entoure car nous ne vivons pas dans une planète à part.
Le théâtre comme tous les arts, à la puissance de nous restituer sur scène, avec ses effets artistiques et de la musique les drames de notre quotidien.
Le théâtre, c’est le miroir de nos fiertés, de nos succès ou de nos échecs, de nos fantasmes, nos angoisses, nos rêves, nos illusions. Le théâtre nous restitue la société dans sa nudité et nous invite à y réfléchir et guérir de nos travers et de nos blessures. Berthold Brecht disait que « le théâtre a une fonction didactique et un rôle pédagogique ». C’est pour toutes ces raisons que le théâtre est souvent jugé subversif, car il transgresse et comme l’art d’une façon générale, il s’affranchit des limites du légal et du temporel et subit la censure, les interdits politique et religieux quand ce n’est pas des deux.
Représentation du « cadavre encerclé » à Grenoble -juillet 2015- Texte de Kateb Yacine mise en scène Romano Garnier
Il faut se rappeler du rôle joué par le théâtre aux USA contre le racisme, ou le cinéma qui a un eu impact sur l’opinion public américain pour les sensibiliser sur le désastre de la guerre terrible infligée au Vietnam.
Le théâtre en Tamazight a une double exigence : faire travailler les comédiens en Tamazight et montrer que Tamazight peut aussi s’adapter à de grands textes d’auteurs connus et de pouvoir les restituer aux Amazighs dans leur langue. Dans les années quatre-vingt-dix, de nombreuses troupes ont sillonné les villages avec les textes de Molière, de Pirandello, d’Arthur Miller, en plus des auteurs algériens comme Mammeri, Kateb Yacine, Mouloud Feraoun, Mimouni, etc….
Par exemple nous avons joué « Si Lahlu » adapté du « médecin malgré lui » de Molière, entièrement en Kabyle à Grenoble devant près de 500 spectateurs tous européens à l’occasion du festival du théâtre européen. Et le débat qui s’en est suivi a prouvé que par le jeu des comédiens, les répliques le public a bien saisi la thématique posée et dépasser la barrière de la langue.
Dans le théâtre, nous avons en héritage le fabuleux travail que nous a laissé Mohya, et je peux vous dire qu’il y’a de la matière. Il ne faut pas non plus négliger les collaborations avec d’autres groupes, collectifs, associations notamment en France qui ont de l’expérience, un réel potentiel et savoir-faire. L’expérience que nous avons menée avec le CREARC (centre de recherche des arts et cultures) Grenoble est riche d’enseignements. On a monté Le Cadavre encerclé de Kateb Yacine et La cité du soleil de Mammeri, en kabyle et français- preuve que les langues dialoguent et font vivre la culture.
Par ailleurs, tamazight comme langue culture et histoire est sortie des ténèbres il nous appartient à tous de fructifier ce capital de sympathie, non pas en nous enfermant dans l’entre-soi communautariste, mais par la dynamique de nos actions.
A Marseille, l’association ACA (association culturelle Amazigh) Marseille, a en 2023 en lien avec la Mairie, à organisé le partage du repas de Yennayer à plus de 2500 enfants de près de 25 écoles, issus de différentes cultures au grand bonheur des familles qui ont demandé à renouveler l’expérience.
Il y a un réveil culturel du monde Amazigh qui s’exprime partout et notamment dans la diaspora par la diversité et la richesse de ses actions : Concerts, salons du livre, cafés littéraires, témoignages, cycles de cinéma, peinture, théâtre, animation etc….
Les associations amazighes notamment dans la diaspora ne doivent pas se contenter des commémorations et du culte des cimetières. S’il faut rendre hommages à nos anciens disparus, on peut certes, déposer des gerbes de fleurs, mais s’atteler à reprendre leurs textes, à travailler à transmettre, à créer et veiller à ne pas oublier l’idéal pour lequel ils se sacrifiés.
Travailler sur l’histoire, le patrimoine, les traditions, la poésie, le culinaire, le vestimentaire Amazigh mais tout en nous inscrivant dans la perspective. Il est établi que c’est par le biais de la culture qu’on sauve une civilisation, qu’on la consolide et en revanche, elle peut s’éteindre si elle n’a plus rien à dire ou à transmettre.
Le Matin d’Algérie : Un mot sur Mohya et son héritage dans le théâtre et la poésie kabyles ?
Mohammed Kemmar : J’ai eu le plaisir et le bonheur de partager des moments d’échanges avec Mohya lors de mes séjours à Paris. Autour d’un thé, on passait de longues heures dans sa boutique et il me faisait passer ses cassettes et on parlait beaucoup de théâtre en Kabyle. J’ai travaillé avec lui sur la pièce « Si Lahlu », qu’il a adapté du « médecin malgré lui » de Molière.
En effet, pour être cohérent, nous devrons produire outre la chanson qui a fait du chemin, du théâtre, du cinéma, des écrits en Tamazigh- montrer que nous pouvons aussi monter des spectacles dans notre belle langue, adapter des textes d’auteurs de différents pays, travailler sur des mises en scène, intégrer des femmes car cela aussi constituait un sérieux handicap.
A At-Yenni, on a pu dépasser ce problème car les parents adhéraient à nos projets et les jeunes lycéennes étaient passionnées pour intégrer notre troupe de théâtre. D’ailleurs c’est au lycée d’At-Yenni que nous avons commencé à identifier de potentiels comédiens-nes pour notre première pièce « si Lahlu . Même si le texte remonte à près de 3 siècles il reste d’une brulante actualité par sa thématique : car on dénonçait l’instrumentalisation de la religion par des charlatans à des fins mercantilistes en abusant de la naïveté des gens.
Comme Molière en son temps on a eu des tentatives de censure, sur certains passages mais nous avions refusé. On a donné plus de de 50 représentations au grand bonheur de nos milliers de spectateurs parfois au milieu des villages sur des scènes improvisées et tout le village venait y assister, car on a mêlé la dimension comique et dramatique. Et à la fin on partageait le diner avec les familles et on prolongeait les soirées à discuter. Ce fut pour moi une expérience fabuleuse, d’être en symbiose avec ses villageois, leur famille. Que ce soit aux Ouadhias, Maatkas, Larbaa Nath Irathen, Illoula, Bouzguène, à Oued Ghir, Sidi Aich, El Kseur, c’était partout la même ambiance, la même chaleur d’accueil, de partage, d’échanges, de fraternité.
On a fait le tour de la Kabylie en plein décennie noire, puis Alger, Marseille, Grenoble, Longwy etc. Puis on a travaillé aussi sur une autre adaptation de Mohya : qu’il a intitulé « Si Nistri » adaptée de « la farce de Maitre patelin » d’un auteur du moyen âge. Ce texte traite de la justice des puissants dans une société en perte de repères identitaires, de personnes totalement sinistrées culturellement, une espèce d’exil intérieur.
Mohya nous a laissé en héritage un fabuleux travail d’adaptation sur des dizaines d’auteurs européens, américains, perses, kurdes, chinois. Entre-autres : Berthold Brecht, Arthur Miller, Pirandello, Lukc Schun, Samuel Beckett, Platon etc… Le mérite et le génie de Muhand U Yehya est qu’il ne s’est pas contenté de traduire les textes mais de les adapter judicieusement aux problématiques et aux réalités sociologiques de l’Algérie contemporaine.
Il a prouvé aussi que Tamazight pouvait aussi accéder à des textes d’une grande portée, de consécration d’auteurs mondialement connus.
Outre de produire du théâtre en Tamazight, et d’inciter d’autres troupes à s’y intéresser, il a effectué un remarquable travail d’adaptation pour rendre les textes plus fluides plus accessible. Outre le travail de mise en scène, nous organisions des séances de formation pour faire découvrir des textes d’auteurs, d’expliquer en quoi le théâtre peut-il participer à l’éveil de la citoyenneté, et valoriser notre culture.
Ce fut une période d’effervescence et bouillonnante de culture. On a vu d’ailleurs d’autres troupes se frayer un chemin et l’organisation de festivals de théâtre (At-Yenni, Iferhounène, Slimane azem Tizi-Ouzou) etc.
Ce mouvement participait au travail de mémoire et le théâtre contribuait au renforcement des liens, de la réflexion sur notre société en y dénonçant les dérives menaçantes et de l’éveil aux défis sociétaux de notre temps, comme la question de l’égalité hommes-femmes, ou comment adapter nos traditions sans sombrer dans le communautarisme ou dans un passéisme archaïque ?
Le public s’est tout de suite reconnu dans ce type de théâtre qui lui parle dans sa langue, et en évoquant ses problèmes, ses fantasmes, ses espoirs, parfois ses désillusions. Il faut souligner que tout ce travail n’a jamais bénéficié de la moindre subvention ni de locaux, on répétait dans les domiciles, au lycée quand on voulait bien nous recevoir. Lors de représentations ce sont les villages qui nous accueillaient et prenaient en charge les frais de transport, de nourriture et d’hébergement si nécessaire.
Plus tard j’ai aussi travaillé sur d’autres textes en adaptant avec nos amis grenoblois en 2012, Le cadavre encerclé de Kateb Yacine et en 2015 la « cité du soleil » de M. Mammeri sur une mise en scène de Romano Garnier. Il y avait une dizaine de comédiens.nes entre algériens et français et jouée dans les deux langues tamazight et français. Les spectacles seront donnés à Tizi-Ouzou, Bejaia lors du festival international de théâtre, et Grenoble et jouée lors des rencontres du jeune théâtre européen.
Le Matin d’Algérie : Vous interrogez régulièrement les liens entre mémoire, identité et pouvoir. Pensez-vous que la culture soit encore aujourd’hui un terrain de résistance en Algérie ?
Mohammed Kemmar : Je rappelle régulièrement que c’est la mémoire qui entretient une culture et une civilisation en la fructifiant en la consolidant dans la dynamique renouvelée et en la transmettant de génération en génération. Mammeri comme tant d’auteurs, ethnologues ayant travaillé sur les peuples et cultures autochtones précisait que si des cultures ont disparu, de brillantes civilisations anéanties, certes c’est par les guerre et conquêtes terribles que ces peuples ont subi de divers conquérants américains, espagnoles, arabe, Ottomans, anglais etc. Mais les peuples ont indirectement contribué à leur effacement en perdant la mémoire de ce qu’ils étaient en se fondant dans la culture et la civilisation du conquérant. « Les maoris en Polynésie n’ont pas disparus du fait uniquement des coups de boutoir des jésuites, mais parce qu’ils ont perdu la mémoire de ce qu’ils étaient, rappellera Victor Ségalen dans Les immémoriaux.
Les Imazighens doivent être conscients que l’avenir de notre mémoire, de notre histoire de notre identité sont entre nos mains. Dans notre monde d’aujourd’hui du développement fulgurant de la vitesse de communication, de l’abolition des frontières, des réseaux sociaux, de la domination économique, technique, scientifique, culturelle des langues modernes, voire de leur hégémonie, il est difficile de préserver les langues orales. A cela se rajoute la volonté de les folkloriser. Tout cela fait que nous sommes confrontés au mythe de Sisyphe. Résister et survivre ou entériner le syndrome du déclin et disparaitre, comme dans la pièce de théâtre « le Banquet » traitant de la disparition des Aztèques. Et Mammeri n’a de cesse de nous alerter sur ces risques.
Fort heureusement, au déclin annoncé, il y’a une résistance et même un renouveau. Le travail culturel entamé dès les années 1970, depuis l’académie Berbère aux différents mouvements, cercle d’études de Paris 8, les revues Issuraf, Tafsut et les différents collectifs comme le MCB qui se sont constitués pour réfléchir, produire, transmettre, préserver a servi de prise conscience salvatrice et de rampe du renouveau culturel Amazigh.
Le Matin d’Algérie : Quels projets nourrissez-vous actuellement, que ce soit en écriture ou sur scène ? Et quels messages aimeriez-vous transmettre aux jeunes générations de créateurs amazighs ?
Mohammed Kemmar : Nous échangeons avec nos amis de Grenoble d’un projet de reprise de « la cité du soleil ». Je travaille aussi avec une amie à l’adaptation du texte du penseur Perse du XIIe siècle, Farif Udin Atar. Ce texte « le voyage de la harpe » explore les rapports entre peuple et pouvoirs et interroge sur l’instinct de domination mais aussi sur la passivité des élites, la servilité et la soumission des peuples. Pour le reste Je pense que j’y ai répondu plus haut si ce n’est d’insister sur la responsabilité qui est la nôtre de promouvoir et de valoriser notre culture et personne ne le fera à notre place.
Il faut sortir de l’esprit du victimaire et de ne pas se vautrer dans une société de sanglots et de gémissements.
Notre culture, notre identité seront demain ce que nous en ferons ; chacun dans ce qu’il sait faire et selon ses possibilités, ses compétences et ses ressources. Mais c’est l’action combinée des uns et des autres qui feront du ruisseau une rivière. Car mêmes si, d’apparences insignifiantes, mises bout à bout ces petites initiatives se révéleront une puissante chaine nourrie par nos valeurs, dont ne devrons jamais nous départir : Celles de la citoyenneté, de la démocratie, de l’altérité, de l’égalité hommes femmes à laquelle nous devrons travailler, dans l’éthique et la solidarité. C’est notre horizon d’espérance.
À ceux qui, hélas nombreux, nous reprochent notre attachement viscéral à notre histoire lointaine nous leur citons Spinoza qui disait, il y’a près de quatre siècles « que la quête de soi n’est jamais antinomique avec la quête de l’humanité et de l’universalité ».
Dans le fracas de notre histoire millénaire, les imazighens en se frottant aux grecs, aux pharaons, aux carthaginois, aux romains, aux byzantins ont intégré les formes et les valeurs de modernité et d’universalité et ils savent tout le sens que requièrent les mots- liberté-démocratie. Préservons ce formidable legs qui au-delà des rituels nous imposent aussi des défis.
Le Matin d’Algérie : Un dernier mot peut-être ?
Mohammed Kemmar : Remercier l’équipe du Matin d’Algérie et bravo à leur engagement pour continuer à faire exister par le net, notre journal dans des conditions difficiles. Rendons hommage à son fondateur, notre ami Mohamed Benchicou qui a payé cher sa liberté. Un journal qui a su garder la liberté de sa ligne éditorialiste et du souci d’objectivité permettant à toutes et à tous de pouvoir écrire, s’exprimer, débattre, échanger sans procès, sans haine. Bravo à ceux et celles qui font durer cette « fenêtre » dans des conditions difficiles.
Toutes ces radios, télés, qui essayent de se frayer un chemin à la fois contraignant et exigeant. Mais en même temps évoluent dans un environnement compliqué (pressions, absence de moyens). Au monde associatif, collectifs qui se mobilisent pour faire exister, promouvoir et faire rayonner la culture d’une manière générale et la nôtre en particulier. Bravo à tous ces bénévoles, qui donnent de leur temps, de leur argent. Ce sont autant d’espaces de rencontres, de débats, de réflexion et de la mise en œuvre de projets, de synergies favorisant les complémentarités et les mutualisations.
On a vu comment ce puissant réseau associatif amazigh disséminé en France, en Europe, Canada, USA a joué un rôle fondamental dans les mobilisations lors de la pandémie de la Covid 19 et des dramatiques incendies de Kabylie en 2021. Ce fut un véritable pont aérien qui a été mis en place et a soulevé l’admiration du monde et a permis de contribuer amplement à soulager la détresse de nos concitoyens de l’autre côté de la Méditerranée.
Là où nous sommes, les Imazighens, par la pertinence et la portée de nos projets, le professionnalisme de nos actions, la rigueur et le sérieux de nos démarches seront autant d’atouts pour convaincre à la fois les pouvoirs publics, les institutions, les élus, les financeurs, les sponsors pour sortir des initiatives sporadiques et épisodiques et aller vers des projets plus structurants comme ceux des projets des centres culturels Amazigh à Paris et à Marseille. Ils seront demain autant d’espaces et de lieux de valorisation et de rayonnement culturel non seulement Amazigh dans sa grande diversité mais de tous les arts et cultures du monde, car les cultures ont vocation à se nourrir à construire des passerelles et non des murs.
Entretien réalisé par Brahim Saci