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« Monzami » : les années bonheur (2)

Vache
Image par Wolfgang Claussen de Pixabay

Après s’être goinfré comme dix affamés, notre guérisseur invoque l’Omniscient et récite quelques versets du Coran pour l’implorer de couvrir de moult bienfaits cette famille qui risquait de s’appauvrir et, avant tout, de préserver cette vache, unique espoir à leur survie.

On le fait descendre dans l’adaynin (étable aménagée à l’intérieur) de la maison traditionnelle encore occupée par les parents. Avant le gaz et l’électricité, il était d’usage, chez les Kabyles, de dormir dans la même pièce que les animaux domestiques pour répartir la chaleur, en périodes de grands froids.

Après avoir invoqué saints et prophètes, son diagnostic est sans appel : ce satané mauvais œil a frappé. Dehbia se rappelle la visite d’une vieille tante éloignée qui n’arrêtait pas d’observer la génisse tout en faisant part de son émerveillement devant cette créature qui donne des litres de lait par traie. Une telle fascination est un signe de jalousie qui ne trompe pas. La coupable est toute trouvée. On se promet de ne plus la faire rentrer dans la pièce traditionnelle lors de ses prochaines visites et de la recevoir uniquement dans la cour ou dans la chambre qu’occupent Hocine et Dehbia, ou carrément de ne plus la laisser rentrer. Après tout, elle ne vient que pour colporter des ragots de médisants et leur faire perdre un temps précieux.

« Monzami » : les années bonheur !

Après son diagnostic, le Marabout gribouille quelques mots d’arabe sur un petit morceau de papier qu’il plie délicatement. Il le couvre de cuir, le brode et l’accroche autour du cou de la vache. Tout cela, en moins de temps qu’il n’en faut pour avaler une cuillerée de couscous.

L’offrande due à notre Marabout ne s’arrête pas au repas. Une somme d’argent, soumise à discrétion, lui est habituellement remise.

Au départ de notre cheikh, Ahmed, un oncle paternel de Dehbia, fait irruption. Quand Hocine lui fait part de la visite du Marabout et du talisman, tonton ne se retient pas. Il éclate de rire. Il adore se moquer de toutes ces croyances qu’il trouve fantaisistes et dénotent une certaine ignorance dont il voudrait libérer ce jeune couple qu’il apprécie pour sa délicatesse et sa grande innocence :

– Votre vache est malade, ce n’est pas un talisman qui va la guérir. Si tu veux mon avis, il faut l’abattre tant qu’elle est vivante. Le plus tôt sera le mieux. Au moins, vous en récupérerez de la viande et vous pourriez en vendre une partie le jour du marché. D’ailleurs, c’est ce que vient de faire M’hend de Taza. Il s’en est tiré à bon compte. Il envisage déjà d’acquérir une autre génisse.

– Par Allah, s’exclame Hocine, c’est ce que je voulais faire, mais Dehbia, ta nièce, n’était pas d’accord, elle fait confiance à la miséricorde d’Allah et à son représentant, notre vénérable cheikh.

– Tu crois encore à toutes ces balivernes, toi ? alors que les Américains envoient des hommes dans l’espace et s’apprêtent à marcher sur la Lune, pendant que nous construisons des mosquées pour abrutir la populace. Les Marabouts ont toujours su profiter de la naïveté des petites gens et rien n’indique que cela s’arrêtera de sitôt… (à suivre)

Kacem Madani

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