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« Monzami » : les années bonheur (4)

Vache
Image par Wolfgang Claussen de Pixabay

– C’est toi qui sais. En tous cas, si tu changes d’avis, fais le moi savoir et j’écrirai à mon frère Uḥrich. Comme tout le monde le sait, il est propriétaire d’une brasserie-hôtel à Nancy. Il paraît qu’il reçoit tous les hommes du bled. Il les héberge et les nourrit à crédit. Il leur cède, à crédit aussi, un bon lot de tapis à vendre pour faciliter leur installation dès les premiers jours afin de bien démarrer leur vie d’émigrés.

– Je verrai xali, je verrai…

Le silence s’installe. Pas pour longtemps. Affolée, Dehbia fait irruption :

Ay argaz ! ɣiwel ! ɣiwel ! (Eh l’homme ! dépêche-toi ! En Kabylie, épouse et mari ne s’appellent pas par leurs prénoms. C’est la tradition) la vache est bizarre.

« Monzami » : les années bonheur (3)

Les deux mâles se précipitent dans l’adaynin et trouvent la génisse sans vie, museau à terre, le harz encore suspendu à son cou.

– Je t’avais averti Hocine, tu n’as pas voulu m’écouter.

– C’est la faute de ta nièce ! s’emporte Hocine.

Se retournant vers Dehbia, il ne se retient pas : – « Bismi-Allah errahman errahim, vriɣ am ! vriɣ am ! vriɣ am ! » (Au nom d’Allah, je te répudie ! je te répudie ! je te répudie !) hurle-t-il, si fort que les voisins ont tout entendu. La formule lâchée, plus question de faire volte-face. Il y va de son honneur, de sa réputation et surtout de sa fidélité envers Allah qu’il vient de prendre à témoin.

L’énoncé de rupture prononcé trois fois ; comme le veut la tradition, Dehbia doit préparer ses affaires, prendre le dernier né dans les bras et s’en retourner chez ses parents sans plus tarder et sans se retourner.

La vache disparue, la femme répudiée, Hocine n’a plus que les yeux pour pleurer. Il s’en veut de s’être emporté si vite. Ses enfants Ali et Amar sont de grands enfants. Ils peuvent, de ce fait, rester avec lui. Pour s’en occuper, grand-mère est encore assez vigoureuse. Toutes les tâches ménagères reposeront désormais sur elle.

Les journées et les semaines passent. Hocine et le reste de la famille les traversent tant bien que mal. Xali Ahmed vient leur rendre visite régulièrement. Il essaie de raisonner Hocine en lui tenant chaque fois le même langage :

Axzou Sheitan (Maudis Satan) Hocine ! Viens récupérer ta femme et ton fils !

Mais Hocine ne se laisse pas facilement convaincre. Il se réfugie derrière les textes coraniques… (à suivre)

Kacem Madani

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