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« Monzami » : les années bonheur !

Vache
Image par Wolfgang Claussen de Pixabay

Aujourd’hui sa vache est morte. Du jour au lendemain, « d’opulent », par les villageois encensé et respecté, il devient le nécessiteux fauché, de tous ignoré. Fini l’unique signe extérieur de richesse qui le distinguait de la plèbe du terroir.

Pour ces familles démunies, perdre un animal domestique est d’une telle violence qu’il plonge la totalité du foyer dans le trouble et le désarroi. C’est carrément la survie de tous qui est menacée. Une chèvre ou une brebis qui périt est déjà douloureux.

Perdre une vache qui assure le lait quotidien des enfants, et qui suscite l’espoir d’un futur veau qui viendrait enrichir le bétail, est bouleversant de cruauté. C’est une véritable tragédie familiale. Le deuil qui s’ensuit ressemble souvent à celui observé lors de la perte d’un proche, la veillée mortuaire et les dépenses cérémoniales en moins.

La vache de Hocine est malade depuis quelques jours. Elle broute très peu et reste allongée, la plupart du temps. En ces périodes de disette, il n’y avait pas de vétérinaire dans ces villages coupés du monde. On ne savait même pas que cela pouvait exister ailleurs, au-delà de ces collines ingrates. Soigner les hommes, les femmes et les enfants par un médecin est déjà hors de portée ; soigner un animal est carrément inimaginable. Pour toutes sortes de maux, on se rabat sur les Marabouts et leurs talismans pour éloigner le mauvais sort. Car selon la rhétorique immémoriale, posséder des animaux domestiques est un signe ostentatoire de richesse qui ne peut que provoquer jalousies et envies. Avec, pour corollaire, le sempiternel mauvais œil dont le pouvoir est attribué à la plupart des vieilles mégères qui refusent leur petit coin sous terre.

La visite du guérisseur doit nécessairement s’accompagner d’un repas digne de son rang. Un couscous accompagné des derniers morceaux de viande salée et conservée depuis le dernier sacrifice du mouton, lequel remonte à l’Aïd El-Kébir précédent, soit plus de six mois. Il est d’usage de garder ces morceaux pour le repas du soir qui précède l’Aïd suivant. Les consommer avant est de mauvais augure. Mais pour l’occasion, on fait confiance au mektoub et au Marabout du village.

La rumeur court que ses h’rouz (talismans) sont infaillibles pour guérir toutes sortes de maladies dont sont atteints les hommes et les animaux. Il est hors de question de douter de ce don attribué uniquement à ces hommes pieux qu’Allah a doté de pouvoirs surnaturels. Leurs tenues immaculées portées avec fierté et une stature souveraine inspirent toutes sortes de pouvoirs magiques. Ils le savent. Ils étalent leurs atours religieux. Ils en profitent. La naïveté et l’ignorance font le reste… (à suivre)

Kacem Madani

 

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