Mustapha Boutadjine est l’un de ces artistes dont l’œuvre dépasse les murs des galeries pour venir habiter la mémoire collective. Né à Alger, formé aux Beaux-Arts d’Alger, puis à l’ENSAD de Paris et à la Sorbonne, Boutadjine a fait de l’art un instrument de conscience.
Son parcours, aussi discret que déterminé, l’a conduit à développer une œuvre singulière, à la croisée du collage, de la peinture et de l’affiche engagée, où chaque portrait est un manifeste silencieux.
Ce qui distingue immédiatement son travail, c’est sa technique : un art du collage exigeant, composé de fragments de magazines de luxe soigneusement découpés, assemblés, superposés jusqu’à former des visages d’une densité saisissante. Ces visages ne sont jamais anodins. Ce sont ceux des résistants, des oubliés de l’histoire, des figures de luttes contre le colonialisme, le racisme, l’oppression.
Larbi Ben M’hidi, Djamila Bouhired, Mehdi Ben Barka, Angela Davis, Frantz Fanon, Sankara, Lumumba, mais aussi des figures de la mémoire tzigane ou de la Shoah. À travers eux, Boutadjine ne dresse pas une simple galerie de portraits : il restitue des présences, redonne corps à des engagements, rend justice à des causes trahies ou effacées.
Ses œuvres, à la fois graphiques et politiques, puisent dans l’esthétique de l’affiche militante tout en la transfigurant. Le regard est d’abord happé par la composition, par cette précision presque chirurgicale du papier, puis saisi par ce que le visage convoque : une histoire, une douleur, un combat. Ernest Pignon-Ernest a d’ailleurs salué cette capacité à faire des visages de véritables paysages, traversés par les plis de l’histoire et les strates de la mémoire.
L’impact de Boutadjine tient autant à la puissance de ses images qu’à leur portée symbolique. En choisissant de représenter ceux que les récits dominants ont souvent marginalisés, il redéfinit les contours de la mémoire collective.
Il ne cherche pas à flatter une mémoire nationale figée, mais à ouvrir des brèches, à rappeler que la liberté s’est construite sur des sacrifices que l’histoire officielle peine à reconnaître.
En cela, il est un artiste profondément politique, au sens le plus noble : il agit sur le sensible pour interroger le collectif, il travaille la mémoire pour nourrir la vigilance.
Son exposition Les Résistants, présentée à Alger en 2024, a marqué les esprits. Vingt-quatre grands portraits mêlant figures algériennes et internationales s’y répondaient dans un dialogue silencieux mais vibrant. Ce n’était pas seulement une exposition, mais une leçon d’histoire humaine, une cartographie des luttes. Le succès populaire et institutionnel de cette présentation a confirmé ce que son œuvre laisse déjà entendre depuis longtemps : que l’art peut être un lieu de transmission, un creuset d’engagement et de beauté.
Boutadjine est également un pédagogue. Fondateur du département de design aux Beaux-Arts d’Alger dans les années 1980, il a formé des générations d’artistes avant de poursuivre l’enseignement en France. Ce travail souterrain, moins visible que ses expositions, est pourtant essentiel. Il témoigne d’une volonté constante de transmission, d’un souci de dialogue entre les formes, les cultures, les générations.
En 2015, il publie Collage Résistant(s), une monographie magistrale de plus de 300 pages regroupant 152 œuvres accompagnées de textes d’intellectuels. Cet ouvrage est à la fois un manifeste esthétique, un hommage aux luttes et un outil de mémoire. Il incarne ce que Boutadjine défend depuis toujours : un art exigeant, beau, mais jamais neutre. Un art qui attire, séduit, et puis, une fois qu’il a capté l’attention, interpelle, interroge, éveille.
L’œuvre de Mustapha Boutadjine s’inscrit dans une tradition où l’art ne se replie pas sur l’objet mais s’ouvre au monde. En plaçant les figures de résistance au centre de son travail, il en fait des icônes modernes, non pas figées, mais actives, réactivées. Il nous rappelle que le passé est toujours en dialogue avec le présent, et que le rôle de l’artiste n’est pas seulement de créer du beau, mais de rendre visible ce que l’on voudrait oublier. Son apport à l’art contemporain algérien et international est ainsi immense : il est l’un des rares à conjuguer aussi étroitement exigence plastique et force politique, sans céder à la tentation du spectaculaire ni du didactique.
Avec Mustapha Boutadjine, l’image devient un espace de lutte, de dignité et de mémoire. Un lieu où les vaincus, les effacés, les sacrifiés retrouvent une gloire, non pas de façade, mais intérieure, patiemment reconstruite, image après image, visage après visage.
L’œuvre de Mustapha Boutadjine nous invite à regarder autrement, à écouter ce que disent les visages quand ils sont faits de silence et de mémoire. En rendant hommage aux résistances oubliées, il redonne souffle et dignité à ceux que l’histoire a trop souvent effacés. Son art, à la fois minutieux et bouleversant, ne cherche pas à séduire, mais à éveiller. Il nous rappelle que créer, c’est parfois reconstruire ce qui a été brisé — une mémoire, une vérité, une humanité. Dans chaque collage, c’est un combat qui continue, sans bruit mais avec éclat. Et c’est peut-être là que réside la vraie gloire : dans cette fidélité têtue à la justice, portée non par la clameur, mais par la beauté.
Brahim Saci
Mustapha Boutadjine est une légende vivante emmitouflée dans une humilité proverbiale et dont les convictions aux racines si profondes, sont devenues une oeuvre de mémoire de vie dans la continuité de notre immence KATEB YACINE…
Merci cher ami Brahim Saci de nous rappeler les grands noms de nos artistes , dont Mustapha Boutadjine qui , j’en suis sûr , se fera un plaisir de t’offrir un café ☕️ en partageant le bonheur de découvrir les oeuvres d’art dans sa galerie Parisienne…..
Beau travail …..respect…!