Mustapha Sedjal ne crée pas pour décorer, il crée pour déranger. Né à Oran et formé entre Alger et Paris, son œuvre interroge les silences de l’histoire, fouille les mémoires enfouies, fait vibrer les absences.
Entre installations, dessins, performances et vidéos, il construit un langage artistique en tension, où chaque geste est une tentative de faire parler l’indicible. Loin des récits figés, son art cherche à réveiller les consciences, à faire trembler les certitudes, à transformer la mémoire en acte vivant.
Mustapha Sedjal est né à Oran en 1964, dans une Algérie encore marquée par les secousses de la guerre d’indépendance, mais c’est à Paris qu’il choisit de faire éclore son langage artistique, comme on choisit un terrain fertile pour y semer les graines d’une mémoire longtemps étouffée.
Il est diplômé de l’École régionale des Beaux-Arts d’Oran, de l’École nationale des Beaux-Arts d’Alger, puis de l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs et des Beaux-Arts de Paris. Il a également obtenu une maîtrise en arts plastiques à l’Université Paris 8.
Son art ne s’inscrit pas dans une logique décorative ou illustrative : il est une fouille, une excavation, une mise à nu. Mustapha Sedjal ne peint pas, il exhume. Il ne compose pas, il dissèque. Il ne raconte pas, il interroge. Chaque trait, chaque image, chaque installation est une tentative de déplier les strates du passé, de faire parler les silences, de faire hurler les cicatrices.
Son œuvre est une danse, oui, mais une danse qui ne cherche pas l’harmonie : elle cherche la vérité. Elle vacille entre les récits officiels, souvent aseptisés, et les murmures des oubliés, des effacés, des invisibles. Elle mêle les médiums comme on mêle les langues pour mieux dire l’indicible : dessin, photographie, vidéo, installation, performance… autant de gestes pour faire vibrer les fibres de la mémoire collective.
Parmi ses œuvres et expositions majeures, on peut citer « Trans-Fusion » (2008, Paris), une exposition solo interrogeant la mémoire coloniale.
Mustapha Sedjal ne cherche pas à reconstruire une histoire, il veut la faire respirer, la faire transpirer, la faire pleurer. Il est l’aiguille qui perce la peau du récit, non pour le refermer, mais pour en extraire le pus, le poison, et peut-être, un jour, la guérison.
Chaque exposition est une ruche où la mémoire butine, où les souvenirs se déposent comme du pollen sur les alvéoles du papier, du tissu, du mur. Il ne s’agit pas de figer le passé, mais de le polliniser, de le faire fructifier dans le présent.
Actuellement, il présente l’exposition « Hors champ » au Centre Culturel Algérien à Paris (du 17 octobre au 7 novembre 2025), où il explore les silences et non-dits de la guerre d’Algérie à travers dessins, installations et vidéos.
Mustapha Sedjal refuse l’oubli comme on refuse l’amnésie d’un corps blessé. Il convoque les douleurs, les non-dits, les mensonges, non pour les dénoncer frontalement, mais pour les faire résonner, pour les faire vibrer dans l’espace du regardeur. Son art est une danse du souvenir, une chorégraphie de la mémoire, une partition de l’indicible.
Et dans cette démarche, Mustapha Sedjal ne se contente pas d’être artiste : il devient passeur, guérisseur, archéologue du sensible. Il nous invite à plier et déplier l’histoire, à la toucher, à l’écouter, à la faire nôtre. Car dans ses œuvres, ce n’est pas seulement le passé qui parle : c’est notre présent qui se révèle, dans toute sa complexité, ses tensions, ses espoirs.
Son apport à l’art contemporain ne se mesure pas en volumes d’œuvres produites ni en esthétiques séduisantes, mais en secousses provoquées dans les consciences. Mustapha Sedjal agit comme un ostéopathe du récit : il palpe les vertèbres de l’histoire, détecte les blocages, les torsions, les oublis, et les remet en mouvement. Il ne soigne pas par embellissement, mais par confrontation. Il ne caresse pas la mémoire, il la presse, la tord, la fait craquer pour en libérer les tensions enfouies. Son art est une thérapie du collectif, une pratique du sensible qui refuse les anesthésies culturelles.
Dans ses œuvres, rien n’est laissé au hasard. Même les détails les plus ténus, les gestes les plus anodins, les traces les plus effacées sont réactualisés, déconstruits, réinterprétés. Il ne s’agit pas de reproduire le passé, mais de le réactiver, de le faire vibrer dans le présent. Mustapha Sedjal ne cherche pas à séduire, il cherche à réveiller. Il ne flatte pas le regard, il le bouscule. Il ne propose pas une esthétique du confort, mais une esthétique du vertige. Chaque œuvre est une alarme, un signal, une secousse. Elle provoque ce haut-le-cœur salutaire qui oblige à reconsidérer le récit dominant, à interroger les silences, à rouvrir les plaies.
Artiste butineur, il explore les interstices, les failles, les zones d’ombre. Il ne s’installe jamais dans le centre, dans le consensus, dans le convenu. Il préfère les marges, les friches, les territoires oubliés. Il collecte les fragments, les éclats, les murmures. Il les assemble, les transforme, les fait parler. Son art est une alchimie de l’invisible, une mise en lumière de ce qui ne se dit pas, de ce qui ne se montre pas. Il ne fuit pas les tourments de l’histoire, il les convoque, les interroge, les transforme en matière vive. Il fait de la douleur un matériau, du silence une voix, de l’oubli une mémoire.
Par le passé, il a également présenté Trans-Fusion à Paris (2008), une exposition qui croisait mémoire coloniale et recompositions identitaires.
Il a exposé dans de nombreuses galeries, participé à des festivals d’art vidéo, présenté ses créations dans des lieux où l’art ne se contente pas d’être vu, mais se pense, se discute, se vit. Là où la mémoire est en tension, là où les récits s’entrechoquent, Mustapha Sedjal installe ses dispositifs, ses images, ses gestes. Il ne cherche pas le spectaculaire, mais le juste. Il ne cherche pas à séduire, mais à éveiller. Ses œuvres sont des balises dans le brouillard de l’histoire, des repères pour ceux qui cherchent à comprendre sans simplifier, à ressentir sans se perdre.
Plusieurs critiques soulignent l’importance de sa posture dans le champ de l’art contemporain post-colonial. Son œuvre, bien que reconnue dans divers cercles artistiques, reste en marge des institutions muséales majeures, notamment en Algérie, où sa démarche dérange certains récits officiels. Cela confère à son travail une puissance supplémentaire : il agit comme un contrepoids, un révélateur, souvent difficile à récupérer ou à simplifier.
Mais son véritable territoire d’action dépasse les murs des galeries. C’est dans les esprits qu’il laisse son empreinte, dans les mémoires qu’il réactive, dans les récits qu’il fissure. Il ne propose pas une version de l’histoire, il en propose mille, toutes fragmentaires, toutes partielles, toutes nécessaires. Il construit une cartographie sensible des mémoires blessées, une topographie de l’oubli et du souvenir, une géographie de l’indicible. Il ne cherche pas à réparer les traumatismes, car il sait que l’art n’est pas pansement. Il cherche à comprendre, à faire comprendre, à faire circuler la parole là où elle a été étouffée.
Dans cette démarche, Mustapha Sedjal devient un médiateur entre les temps, un passeur entre les mondes, un artisan du lien. Son impact est celui d’un révélateur : il ne crée pas la douleur, il la rend visible. Il ne fabrique pas la mémoire, il la libère. Et dans ce geste, il transforme l’art en acte, en engagement, en présence.
Et dans cette danse sans fin entre le passé et le présent, Mustapha Sedjal ne cesse de nous interpeller, de nous ramener au cœur des frictions, là où les récits s’entrechoquent et où les mémoires se heurtent. Il ne nous offre pas le confort d’un regard apaisé, il nous invite à regarder là où ça fait mal, là où ça brûle encore. Son art est une convocation, une mise en tension, une invitation à ne pas détourner les yeux. Il nous place face à l’histoire, non comme spectateurs, mais comme participants, comme héritiers, comme responsables. Il nous rappelle que l’art n’est pas un refuge, un cocon, une échappatoire. L’art, chez lui, est un champ de bataille, un lieu où les récits s’affrontent, où les silences sont brisés, où les voix longtemps étouffées reprennent souffle.
Ce champ de bataille n’est pas fait de violence, mais de résonance. C’est un espace où les mémoires se croisent, se répondent, se contredisent parfois, mais toujours dans le souci de faire émerger une vérité plurielle, une vérité en mouvement. Mustapha Sedjal ne cherche pas à clore le débat, à figer le sens. Il ouvre des brèches, il crée des tensions, il installe des dialogues. Sa conclusion n’est jamais définitive, elle est toujours en suspens, toujours en devenir. Chaque œuvre est une question, jamais une réponse. Chaque installation est une respiration, jamais un point final.
Car pour lui, l’histoire n’est pas un livre refermé. Elle est une matière vivante, une feuille qu’on plie, qu’on déplie, qu’on froisse, qu’on lisse, qu’on reconfigure sans cesse. Elle est à plier, encore et encore, jusqu’à ce qu’elle respire enfin, jusqu’à ce que ses plis révèlent les strates enfouies, les récits oubliés, les douleurs tues. Mustapha Sedjal travaille cette histoire comme on travaille un tissu : avec patience, avec précision, avec respect, mais aussi avec la volonté de faire apparaître ce qui a été caché. Il ne cherche pas à réparer, mais à révéler. Il ne cherche pas à panser, mais à penser.
Et dans cette pensée en mouvement, dans cette danse entre les temps, Mustapha Sedjal nous offre une œuvre qui ne cesse de vibrer, de questionner, de nous ramener à nous-mêmes. Une œuvre qui nous rappelle que l’art, lorsqu’il est sincère, lorsqu’il est engagé, lorsqu’il est habité, peut être le lieu le plus puissant de la mémoire vivante.
Brahim Saci