Jeudi 5 novembre 2020
Nna Aldjia : une battante s’en va
À 89 ans, Nna Aldjia Matoub, déjà affaiblie depuis plusieurs mois, s’est éteinte paisiblement après son hospitalisation à Paris.
D’habitude résiliente, elle a fini par céder et s’éteindre ce jeudi 5 novembre 2020 vers 11h.
Nna Aldjia Matoub née Mahari, était une grande artiste, une poétesse admirable qui a pu, consciemment ou inconsciemment, transmettre son talent à son fils, le rebelle. Son chant est une méditation des profondeurs qui plonge ses racines dans le souffle ancestrale du monde kabyle côté femmes.
Sa poésie est l’expression d’une souffrance tissée dans un verbe qui émeut, captive et libère. Un verbe à la fois doux et ferme qui a nourri, dès sa tendre enfance, le fils tant aimé, le fils prodigieux, le fils trop tôt disparu.
Quand Nna Aldjia entame un acewwiq (chant méditatif), il se déploie en frisson continu, il traverse l’auditoire de cœur en cœur. Il dévoile une vie attendrissante, généreuse et discrète qui a pris racine à Taourirt Moussa-Ouamer au pays d’At Ddwala. Sur toutes les scènes artistiques, politiques, culturelles, la voix de Nna Aldjia a retenti avec tendresse et résistance pour défendre les siens, pour exiger que vérité soit dite.
La vie de Nna Aldjia bascule en 1998 quand elle apprend, avec effroi, l’assassinat de son fils unique Lounès. Depuis cette tragédie familiale et nationale, elle n’a jamais cessé de pleurer celui sur qui elle avait toujours fondé les raisons de son existence.
Malgré un courage hors normes, une force inébranlable qu’elle a mobilisées pour faire éclater la vérité sur le meurtre de son fils, Nna Aldjia n’a jamais pu surmonter l’épreuve épouvantable qui l’a frappée. La vie n’avait plus qu’un seul intérêt pour elle : retrouver les assassins, les faire condamner et voir aboutir, en même temps, les revendications de libertés et d’amazighité tant clamées par Lounès.
Elle a harcelé, par principe et avec constance aussi bien Liamine Zeroual qu’Abdelaziz Bouteflika pour exiger d’eux le courage de « faire toute la lumière sur l’assassinat de son fils ». Cette lutte permanente, elle l’avait soulignée dans une lettre ouverte en mars 1999 et son combat pacifique a déteint considérablement sur la jeunesse kabyle en révolte.
À chacune des dates anniversaires de ce drame, à chaque opportunité qui se présentait, Nna Aldjia prenait le temps de rendre hommage à Lounès, à tous ceux qui sont morts pour le même idéal que lui. Elle honorait leur mémoire et s’associait avec héroïsme à toutes les manifestations des printemps amazighs et printemps noirs ou toute autre occasion de lutte contre le « pouvoir assassin ».
Va Nna Aldjia, c’est tout un peuple qui, un jour ou l’autre, te rendra justice.
Que Malika, que Nadia, que toute la famille Matoub trouvent dans ce petit hommage, l’expression de mon entière solidarité et l’expression de mes condoléances les plus sincères.
Le combat continue