Dimanche 1 novembre 2020
Notre Novembre, leur Novembre
Le mot est d’Abdelmalek Sellal, devant le juge qui l’interrogeait : « Je ne me plains pas des conditions de mon incarcération ; je regrette seulement d’être privé du bonheur de célébrer le 1er Novembre, cette année… »
Ainsi a fini Novembre : en subterfuge dans la bouche de coquins, en outil de propagande et de légitimation du pouvoir autoritaire et totalitaire, ce qui a conduit à associer Novembre, qui ne fut qu’action, à l’unanimisme, à l’immobilisme et au statu quo imposés par les dirigeants algériens depuis l’indépendance.
Comme chaque année, ils nous rappellent que les grandes épopées des nations sont toujours arrachées à ceux qui les ont accomplies et célébrées, en catimini, par ceux qui les ont trahies.
Nous ne manquons pas d’individus experts dans l’art de s’approprier le prestige des morts. Il y eut jusqu’à ce ministre imberbe et présomptueux pour brandir Novembre comme un bâton à la face des « mauvais Algériens » à qui viendrait l’idée de boycotter le référendum.
Voilà ce qui reste de novembre : des phrases creuses et une histoire détournée, réquisitionnée pour les besoins de la perpétuation du pouvoir illégitime. Novembre, symbole du triomphe sur le colonialisme, n’est plus qu’une kermesse pour ministres endimanchés en même temps qu’une interminable énigme pour les jeunes générations, dont il est à redouter qu’elles ne se rangent définitivement à l’idée que les guerres de libération n’ont été, en fin de compte, que des joutes impulsées par des maréchaux de l’ombre, des combats dont personne ne se rappellera s’ils furent gagnées ou perdues ni encore moins des prétextes qui ont servi à les déclencher. Et à quoi bon chercher à savoir ?
Les guerres, cela a toujours été l’affaire des puissants. Qu’attendre d’autre d’une révolution qui a commencé par des promesses solennelles [« Cette victoire sera la vôtre, témoignez, témoignez, témoignez »] et qui finit par une si éloquente faillite d’un régime qui s’autoproclamait « révolutionnaire» avant d’être chassé comme un malpropre et tout son gouvernement jeté en prison.
Tout peuple a besoin de dates fondatrices pour édifier une nation cohérente, fière et ouverte sur son époque. Mais ceux qui se proclament héritiers des artisans de novembre auront tout accompli pour installer l’ignorance et les contre-vérités sur notre propre histoire.
On continuera d’ignorer que la revendication de l’indépendance ne date pas de 1954, mais de bien avant, d’au moins du Congrès de Bruxelles de 1927 où fut formulée, par le chef de l’Etoile Nord Africaine, l’exigence d’une indépendance totale de l’Algérie.
Novembre 1954 n’aura été que l’aboutissement de la longue résistance des indépendantistes algériens, absents de l’histoire officielle, depuis les années 1920, une histoire que ne raconte aucun livre scolaire. Et ça se comprend !
Comment laisser les jeunes Algériens apprendre que l’indépendance algérienne, telle que revendiquée à l’époque, prévoyait l’avènement d’un nouvel ordre social fondé sur l’égalité, la séparation des pouvoirs, la légitimité institutionnelle, l’élection d’une assemblée constituante au suffrage universel et chargée de désigner un Etat démocratique ? C’est-à-dire tout l’inverse du système hégémonique qui gouverne le pays 60 ans avec les résultats que l’on sait.
Le Hirak et les soulèvements qui l’ont précédé constituent sans doute des tentatives de parachever novembre 54. Mais la perspective de déboucher sur un Etat enfin démocratique est fortement contrariée par la répression et semble, une fois de plus, hypothéquée par les calculs des islamistes très actifs dans le Hirak, qui pour l’heure en appellent à un « Etat civil, pas militaire », évitant, toutefois d’expliquer ce que pourrait bien ressembler cet « Etat civil » que l’on érigerait une fois les généraux éloignés de la scène politique.
Les Algériens qui ont tant souffert, sont-ils condamnés à choisir entre l’hégémonie militaire et la Charia ?