Hussein-Dey, Alger, 31 août 1981. Les ruelles de ce quartier, qui doit son nom au dernier dey d’Alger, Hussein, vibrent des histoires d’Algérie. Sur les rivages de Hussein-Dey avaient échoué en 1541 les navires de la flotte de Charles Quint.
C’est dans ce lieu chargé d’histoire qu’Omar Boulakirba voit le jour, observant les gestes, les regards, les silences, accumulant en lui cette mémoire vivante qu’il fera un jour résonner à l’écran. Chaque rue, chaque odeur, chaque conversation devient matière pour un acteur qui cherchera toujours à capturer la vérité humaine.
Un jour d’hiver, à Marseille, la pluie fine tombant sur la Rue Foch glissait sur les pavés. L’affiche du film La Mer au loin orne la façade du cinéma Pathé. Je n’avais pas mis les pieds dans une salle depuis longtemps. Dès les premières minutes, le film me saisit par sa véracité. Les acteurs ne jouent pas : ils vivent. Aux côtés d’Anna Mouglalis et Grégoire Colin, un visage attire irrésistiblement mon attention : Omar Boulakirba. Son rôle secondaire, pourtant, déborde de présence. Un Charles Bronson algérien, discret mais imposant. Chaque silence, chaque mouvement, chaque inflexion transforme le personnage en pivot émotionnel, conférant à ses scènes une intensité rare. La réalité et la fiction s’entrelacent, et le spectateur ressent pleinement l’épaisseur de ses personnages.
À la sortie, surprise et choc cinématographique : Omar est là. Je lui demande, presque incrédule : « C’était toi ? » Il sourit simplement. Nous prenons quelques photos souvenirs, l’envie de discuter reste suspendue : nous devons chacun prendre un vol vers Alger, à des heures différentes. Quelques mois plus tard, je le retrouve dans Frantz Fanon, et la décision s’impose : il mérite ce portrait, par mérite et respect.
Dans Les Harkis (2022) de Philippe Faucon, Omar incarne Si Ahmed, traversant la guerre d’Algérie avec sobriété et intensité. Le film, sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes et récompensé par le Prix Général François Meyer, révèle au monde l’évidence que l’Algérie connaissait déjà : Omar Boulakirba a cette présence qui ne se décrit pas mais se ressent.
Dans Frantz Fanon (2024), l’hôpital psychiatrique de Blida-Joinville devient théâtre de sa maîtrise. Omar est M. Charef, responsable du pavillon musulman. Ses gestes sont mesurés, ses regards lourds de sens, et chaque plan traduit la tension entre autorité et humanisme, tradition et réforme. Le film, projeté et primé à Louxor et au FESPACO 2025, le révèle enfin comme un acteur central et incontournable, capable de tenir le récit par sa seule présence.
À la télévision, Omar a exploré une palette impressionnante. Dans Achour El Acher (saison 2), il insuffle humour et malice à son personnage. Dans Biban Dzair, il devient le « Rais Hamidou », et montre sa prestance et son aptitude à incarner l’histoire. Ma Neskonsh Ma’ Ymak l’immerge dans un drame social où il capte l’âme des réalités algériennes.
Dans Al Ard et Al Rawi, il déploie sa force dans des fresques historiques, tandis que Lagazates révèle son aisance dans le comique satirique. À chaque apparition, Omar transforme le secondaire en figure mémorable.
La Mer au loin (2024) de Saïd Hamich Benlarbi lui offre un espace subtil mais décisif. Marseille au crépuscule, le port scintillant sous les lumières orangées, le bruit des bateaux et des conversations flottant dans l’air : chaque inflexion de sa voix, chaque silence capte l’attention. Omar transforme le rôle secondaire en pivot émotionnel, rappelant l’intensité discrète d’Anna Mouglalis ou de Grégoire Colin. Ses scènes deviennent des respirations dramatiques, des instants où la réalité et la fiction se confondent, et où le spectateur ressent pleinement l’épaisseur de ses personnages. Un Charles Bronson algérien, discret mais imposant, qui fait résonner chaque geste et chaque regard.
Aujourd’hui, Omar ne cherche pas la lumière éphémère des vitrines ou des artifices. Il aspire à une clarté qui éclaire les vérités humaines, qui fait résonner les silences et les mémoires, et qui transforme chaque scène en émotion partagée. Son regard, dans l’ombre d’une salle obscure ou dans la lumière du quotidien, impose le respect et la contemplation. Omar Boulakirba est un acteur qui fait résonner chaque rôle, et son heure de pleine lumière approche.
Djamal Guettala