Vendredi 29 juin 2018
Où va l’Algérie ? Vers un 5e mandat de la chaise roulante Monsieur Boudiaf !
C’était la question qui vous tourmentait Monsieur le président au sortir des 132 ans du colonialisme et de sept de Guerre de libération sans relâche.
C’était la question qui vous préoccupait en 1964 Monsieur l’artisan de la lumière, l’architecte de la Révolution, l’accoucheur de la lutte libératrice. Tandis que vous prôniez la solution politique et appeliez à une gouvernance collégiale du pays le temps de retrouver sa stabilité, les autres se livraient une lutte sans merci pour un pouvoir sans partage braquant leurs armes sur un peuple résiduel, après les massacres de l’armée coloniale française, et la poignée de révolutionnaires qui voulaient un débat serein entre toutes les factions pour une transition démocratique en douceur et dans l’ordre. Au lieu d’un été de l’euphorie et du partage de la joie de l’indépendance entre frères et sœurs du combat, entre juste Algériens et Algériennes, c’est la raison du sang qui l’a emporté, et vous avez assisté amer et impuissant à une opération de nettoyage général dans le pays, notamment à Alger, de toutes velléités d’opposition, et les méthodes sont celles déjà rodées par le sortant : enlèvement, séquestration, liquidation en toute clandestinité de celles et ceux qui ont rendu possible le rêve d’une Algérie libre indépendante.
Oui, à peine deux ans après l’indépendance, vous vous êtes posée quand même cette question, qui, peut-être, n’a jamais visité votre esprit durant toute votre carrière politique même pendant les jours sombres de votre vie, en l’occurrence lors du détournement de l’avion qui devait vous emmener du Maroc en Tunisie par l’armée française le 22 octobre 1956.
Et si cette interrogation vous a habité et hanté, à peine deux après l’indépendance, vous qui a su traverser toutes les turbulences et côtoyé la mort et la souffrance au quotidien, c’est qu’elle vient de la profondeur de vos entrailles, c’est qu’elle s’est échappée du désespoir, de la déception, de l’indignation qui vous rongeaient de voir ce pays pour lequel vous vous êtes battu, pour lequel vous aviez sacrifié votre enfance et votre jeunesse, votre famille, car en réalité, vous avez vécu pour l’Algérie et mort assassiné pour l’Algérie, vous n’aviez pas connu autre chose à part l’exil forcée au Maroc. La joie de voir l’Algérie meilleure et prospère, libre et démocratique, nettoyée de fond en comble de tous relents du colonialisme et de servitude ainsi que vous l’aviez imaginée dans votre tête, dessinée dans vos cahiers d’écolier, pensée et conçue dans votre plan d’architecte de Révolutions, vous a été volée.
Votre interrogation n’est fatras pas un fatras de mots, une question bâtarde, une interrogation simple, elle a une origine, elle vient de loin, elle a une histoire, elle a une âme, un élan, elle est née de votre frustration et de privation de voir votre Algérie longuement attendue et chérie entre les mains de la « mafia politico-financière » pour reprendre votre appellation à juste titre, car elle est franchement appropriée à cette bande qui gouverne à vue d’œil le pays.
« Où va l’Algérie ? » était le titre de votre livre Monsieur le Président où vous revenait longuement sur la lutte intestine et la guerre fratricide qui marquèrent les années de l’Algérie post-indépendance. Votre question date de 1964, elle est presque vieille, c’est une cinquantenaire, elle est l’aînée de trois ans de l’Algérie indépendante, et ni l’une ni l’autre n’ont trouvé leur chemin de réponse. Aussi bien votre question que l’Algérie les deux sont dans la tourmente et malheureuses.
Cependant, il convient de souligner de tout de même une chose importante et nécessaire Monsieur le Président, depuis votre question, il s’est passé bien des choses en Algérie.
D’abord, Monsieur le Président, vous n’êtes plus là, vous êtes assassiné en direct pendant votre conférence à Annaba, on vous a logé des balles dans le corps qui vous ont mis par terre, puis, on vous a lâchement et tranquillement achevé par quelques coups brefs à la Meursault, et en toute impunité, puisque vos meurtriers sont toujours en liberté et sans procès ni sur le dos ni sur leur conscience. Ça c’est réglé et indiscutable, vous êtes bien couché là où vous êtes, on ne badine pas avec ces gens-là. Après eux c’est le néant ou Néron.
Donc votre affaire est classée et on n’en parle plus. Le meurtrier a été bien identifié, apparemment il a agi seul, c’est un cas isolé, c’est juste un coup de flingue et s’est tombé sur vous par hasard, car votre « présumé tueur » ne vous connaît, ne vous a jamais vu, et ne sait même pas ce que vous faites dans la vie, mais rassurez- vous, il a été arrêté, jugé et condamné et c’est fini, le film est coupé et on n’en parle plus, c’est interdit, ça fait partie de la réconciliation nationale et la vie continue, d’ailleurs nous en sommes au quatrième mandats depuis.
Pour vous Monsieur le Président, il n’y a aucun problème, la nation est reconnaissante envers votre œuvre bienfaisante et vous êtes bien sûr enterré, et même à côtés de vos vrais assassins. La nation ne peut pas faire mieux que ça ! Elle a été très généreuse et réconciliante avec vous.
Donc résumons un peu les choses Monsieur le Président, vous n’êtes plus de ce monde de barbouzes, puisqu’on vous a tué, vous n’êtes plus là pour reposer et renouveler votre question. Ça c’est terminé ! Vous ne dérangerez plus, même au cimetière d’El Alia, apparemment votre tombeau est entourée de barbelés de crainte que, par miracle, vous parliez aux visiteurs et leur dire discrètement, à peine si on vous entende : « Non pas, où va l’Algérie ? Car vous le savez maintenant de là vous êtes, mais elle en est où depuis le 29 juin 1992 ? ». Et la foule unanimement comme une seule voix, comme la voix synthétisée de l’Algérie, vous répondra : « au quatrième mandat de la chaise roulante et d’un président absent et aphone, et on se prépare et s’ébruite pour le cinquième, et ainsi de suite, on vous tiendra au courant dans nos prochaines visites. Merci pour votre patience Monsieur le Président.
Et puis, après vous Monsieur le Président, on a eu un grand nettoyage. Le pays s’est débarrassé de tous les opposants, un plan d’extermination programmée de l’intelligentsia du pays a été mise en œuvre : Tahar Djaout, journaliste et écrivain à la plume corrosive et impondérable, Said Mekbel, directeur du quotidien indépendant Le Matin, Djilali Lyabès, sociologue et votre ancien ministre, Mahfoudh Boucebsi, figure emblématique de la psychiatrie en Algérie, Laadi Flici, pédiatre, Rachid Tigziri, militant et dirigeant dans le parti le RCD, Nabila Djahnine, architecte, féministe et responsable de l’Association « Cris de femmes », Abedkader Alloula , dramaturge algérien, Rabah Stambouli, promoteur d’un islam tolérant et progressiste, Ismail Yefsah, le journaliste ayant filmé votre assassinat en direct, et le dernier bien sûr, c’est celui qui vous a vu mourir et vous a rendu un vibrant hommage dans sa chanson « Mass Boudiaf », c’est Lounès Matoub, poète, artiste et chantre de la cause berbère.
Certes, vous, Monsieur le Président, vous ne voyez pas trop où va l’Algérie, car vous vous posez trop de questions et vous très attaché à ce pays, mais eux, ceux qui tuent et dirigent le pays d’une main de fer et droit dans leurs bottes, savent très bien que c’est indéniablement et irréversiblement vers le gouffre qui l’emmènent. D’ailleurs, quand ils vous ont ramené en janvier 1991, c’était pour sortir le pays du gouffre où ils l’ont jeté par leur gestion approximative depuis 1962.
Enfin, Monsieur le Président, s’il y a une réponse sûre à votre interrogation aujourd’hui et qui est irréfutable, c’est celle-ci : l’Algérie va droit vers un éclatement et assiste malheureuse au massacre de ses terres et de ses enfants et à la spoliation de ses richesses par le clan au pouvoir.
Et pour le renouvellement de votre interrogation, pour ne pas vous oublier, croisons les doigts de croiser votre livre de temps en temps chez un marchand de livres et nous faire heurter en pleine figure par le titre « Où va l’Algérie » afin qu’on essaie de la se poser. En attendant, reposez-vous bien Monsieur le Président et paix à Votre âme.