Site icon Le Matin d'Algérie

Oued Souf : la patate tueuse de palmiers ou le scandale environnemental du siècle

Palmeraies
Palmeraies noyées en voie de mourir

Le Souf est une région sableuse et hyper aride situé au Sahara dans le Grand Erg oriental. Elle est constituée d’un ensemble exceptionnel d’oasis implantées en plein erg qui forment un réseau villageois d’une soixantaine de localités séparées par de courte distance comprises entre 3 et 5 km.

Sa capitale régionale est la Ville de Oued-Souf connue aussi sous l’appellation sortie des mille et une nuits « la ville aux mille coupoles » à cause de son architecture traditionnelle typique formée par des toits en coupole.

Cette région est exceptionnelle par son système unique au monde d’implantation et d’irrigation de ses oasis, appelé « Ghout ». Selon la FAO qui a inscrit les Ghouts dans le patrimoine universel agricole, ces derniers seraient apparus au XVème siècle. Certains auteurs pensent que leurs origines remontent à beaucoup plus loin.

« Ma d tamsalt n pollution di tmurt, ma nniɣ-ak… ! »

Les Ghouts sont des systèmes hydrauliques traditionnels typiques qui permettent d’utiliser l’eau ressource rare, de manière extrêmement économique et sans aucune perte par évaporation dans ces régions très chaudes et hyper arides. Dans ce système, les palmiers sont plantés dans des cuvettes artificielles d’une dizaine de mètres de profondeur creusées manuellement  dans le sable par les paysans.

De forme ronde, leur diamètre varie entre 80 et 200 mètres et couvre une surface d’environ 0,5 ha à 2 ha. En rabaissant le niveau du sol par le creusage, cette technique permet de déblayer le sable, de détruire parfois la croûte gypseuse qui empêche les racines de pénétrer le sol et planter les palmiers à un niveau proche de celui de la nappe phréatique sans toutefois l’atteindre.

Pollution au chlordécone : les cancers de la prostate…

Le fond de la cuvette s’arrête à environ un mètre au-dessus de la nappe phréatique. Par cette technique, les racines du palmier explorent en permanence les horizons humides du sol sans être inondé par l’eau libre de la nappe souterraine.

L’irrigation de surface n’est donc pas nécessaire, l’eau remontant par capillarité de la nappe vers les horizons supérieurs est suffisante pour maintenir l’humidité de ces derniers. Pour éviter l’ensablement de ces cuvettes on dispose tout autour de ces dernières, des haies à base de palmes sèches ou on lève des dunes artificielles.

La pollution menace la santé des Algériens

Ces dispositifs sont entretenus au besoin ou périodiquement. Faisant référence à ce système particulier « d’irrigation » qui se fait naturellement sans intervention humaine ni utilisation d’énergie, le texte sur le site web de la FAO qui traite de ce sujet, écrit : «partout on utilisait l’eau, nulle part on la voyait ».

Figure II.1 : Vue aérienne d’un Ghout dans un environnement sableux et hyper aride sur le grand Erg oriental avec palmeraie et culture maraichère associée

Mais le paysan du Souf et le système du Ghout qu’il a inventé et a traversé les siècles est en voie de disparition, s’il n’a pas déjà disparu. Dans une publication datée de 2018, Salima Rayene Kadri et Salah Chaouche mentionnent que sur 9 700 Ghouts que comptait la région, il y a une quarantaine d’années, il ne reste à la date de la publication que 2 355 Ghouts soit une perte de 7345 Ghouts. En nombre de palmiers cela représente environ 1 100 000 palmiers tués.

Quelle est l’origine de cette tuerie de masse des palmiers et la disparition des Ghouts ? Pour comprendre ce phénomène, il faut savoir que la région d’El Oued repose sur trois importantes nappes phréatiques : Une nappe superficielle dite phréatique « renouvelable » alimentée par le réseau hydrographique de surface régional et deux nappes fossiles profondes dites captives, la nappe du Complexe terminal (CT) et la nappe du Continental intercalaire (CI). Les Ghouts reposent sur la nappe phréatique superficielle.

Les deux autres nappes, formées aux dernières périodes pluvieuses du quaternaire aux époques du pléistocène et de l’holocène sont fossiles et non renouvelables mais avec de très grands volumes d’eau. Ces deux nappes atteignables par forage profond seulement n’ont commencé à être exploitées que récemment. D’abord à partir des années 1970 pour alimenter la ville d’El Oued en eau et à partir des années 80-90 pour l’irrigation agricole.

La pollution plastique menace la Méditerranée

Avant l’apparition des forages profonds, les Oasiens utilisaient uniquement les eaux de la nappe phréatique superficielle tant pour les besoins en eau potable qu’agricole. Il existait un équilibre entre les prélèvements et les rejets des eaux usées et agricoles et le niveau piézométrique de cette nappe restait stationnaire.

A partir des années 90 s’est développé un nouveau modèle agricole dit « de surface » rendu possible par les forages dans les nappes profondes qui fournissent des volumes d’eau considérables. Dorénavant les cultures ne sont plus pratiquées dans le fond du Ghout (ou de l’entonnoir si on veut), sur un sol naturellement humidifié par une eau qui remonte par capillarité à partir de la nappe phréatique superficielle mais en dehors de celui-ci et en surface avec une irrigation par aspersion utilisant l’eau remontée à partir des nappes profondes.

Les palmiers sont alors plantés sur des grandes surfaces en dehors du Ghout, en lignes espacées sur un terrain nu et plat dépourvu de culture de manière à permettre une mécanisation éventuelle. Ce palmier est irrigué par goutte à goutte en surface, contrairement à celui des Ghouts, qui prend son eau en profondeur. Les cultures maraîchères également hors-ghout sont disjointes de la culture du palmier et occupent maintenant des champs irrigués en surface comme les cultures plein champ du nord, avec une différence dans la forme, circulaire à cause de l’arrosage par pivot au lieu de carré ou rectangulaire.

Mais du fait des températures sahariennes élevées, elle doit utiliser une quantité pléthorique d’eau. Comme il reste toujours une partie de l’eau non utilisée par la plante, celle qui ne s’évapore pas, s’infiltre dans le sol sableux et alimente par gravité la nappe phréatique superficielle.

Les volumes des eaux usées de la ville se rajoutant par défaut du réseau d’assainissement, élèvent alors le niveau piézométrique de cette dernière et fait monter le niveau d’eau dans les cuvettes des Ghouts qui noient les palmiers et les fait mourir par asphyxie. Et c’est ainsi que s’explique la disparition de 1 100 000 palmiers, morts par « noyade » et la disparition de 7345 Ghouts. Si on compte environ une famille paysanne par Ghout, c’est la disparition de 7345 familles paysannes au profit d’une dizaine de nababs subventionnés par l’état (eau, électricité et autres) propriétaires de ces immenses palmeraies en surface. Voir photos ci-après.

Figure II et III : cultures maraichère (pomme de terre) sous pivot d’irrigation, disjointes de la culture du palmier irrigué par goutte à goutte, le tout cultivé en surface et hors Ghout.

Figure II.3 : Noyade des Ghouts et Mort lente des palmiers par asphyxie

Comme la pomme de terre valorise bien les sols sableux et cette quantité pléthorique d’eau, elle devient la culture principale. Mais en l’absence d’assolement, de rotation ou autres techniques, les champs sont abandonnés au bout de trois ans d’exploitation par suite de salinisation et semble-t-il infestation par les nématodes (on voit sur la photo de gauche de la figure II.2, les champs abandonnés). L’agriculteur déplace alors le pivot sur un autre terrain et redémarre un nouveau cycle de trois ans.

Une forme étrange d’agriculture itinérante s’installe associant un système primitif d’agriculture sur brulis au droit d’accès à la propriété foncière par la mise en valeur agricole, permis par la loi de l’APFA. La vente et l’achat de la terre alors inconnue dans le système des Ghouts se pratique maintenant à l’occasion de ces déplacements sans que ni les uns ni les autres ne s’embarrassent du statut réel de la terre transigé : propriété ou jouissance par concession. La transaction est faite en présence de témoins, actée sous seing privé chez l’écrivain public et payée cache par la « chkara ».

Une vingtaine d’années de gestion chaotique et aléatoire d’un biotope saharien fragile, une vingtaine d’années d’un modèle agricole vorace en eau, en intrants chimiques et en financement public, sans fondement environnemental, ni économique, ni managériale, une vingtaine d’année d’affairisme et de corruption présenté faussement et de manière trompeuse comme une vision libérale de l’économie et du monde, ont suffi à mettre à terre 76 % d’un patrimoine du génie humain resté pendant au moins, plus de 600 ans debout et vivant par sa biodiversité et son humanité.

La pollution plastique menace la Méditerranée

Ce type d’agriculture saharienne qui, de surcroît, a été pompeusement élevé, ces derniers temps, au rang d’industriel, excusez du peu, sonne le glas pour l’agriculture oasienne mais par effet boomerang, le sien aussi. Ce n’est qu’une question de temps et ce temps pour elle, ne se mesure pas sur l’échelle des siècles comme pour le système oasien, mais sur celle dérisoire des années.

Et le désert revient au désert. On déplace le pivot, on change de place et le rêve de l’hacienda se transforme en système préhistorique de l’agriculture sur brulis. Un cultivateur entre agriculteur sédentaire et pasteur nomade antique est né du miracle de l’agriculture saharienne industrielle qui tue par noyade 1 100 000 palmiers pour produire des patates ! Tant qu’il y a de l’espace dans un Sahara infini et tant qu’il y a de l’eau …

El-Hadi Bouabdallah, agronome à la retraite

Quitter la version mobile