Daniel Aabech Christensen est un écrivain né à Ighil Bouamas, Tizi-Ouzou, en Kabylie, il fut instituteur de français avant de quitter le pays natal à l’âge de 24 ans pour la France. À Paris, parallèlement à des études en informatique, il fréquente les cercles culturels berbères, d’abord comme bénévole à Radio Tiwizi pour les plages nocturnes puis à l’association culturelle berbère de Paris, l’ACB, dans diverses activités.
Puis, Daniel Aabech Christensen rejoint un atelier de traduction, adaptation en kabyle d’œuvres universelles avec le groupe du dramaturge Abdallah Mohia dit Muhya, de ces ouvres on peut citer, Xénophon, Knock ou les Fourberies de Scapin, un livre édité chez Achab éditions, en 2007.
Daniel Aabech Christensen est un auteur qui navigue entre la France, l’Algérie et la Norvège où il vit actuellement. Cinquante ans ont passé, il décide de raconter dans un livre émouvant, par un récit romancé ses années d’enfance à l’internat des Pères Blancs N’At Yenni : Pensionnaire à l’internat des Pères Blancs de Béni Yenni.
Daniel Aabech Christensen était l’invité de l’écrivain journaliste Youcef Zirem au café littéraire parisien de l’Impondérable, pour parler de son livre, Pensionnaire à l’internat des Pères Blancs de Béni Yenni, comme à l’accoutumée la présentation du livre faite par Youcef Zirem fut de haute volée, on découvre un récit chronologique romancé passionnant, captant l’attention du public présent, à travers cette expérience personnelle c’est un pan de l’histoire de l’Algérie post-indépendante que vient nous raconter Daniel Aabech Christensen.
L’émotion était grande et l’ethno-psy Hamid Salmi a brillé par sa présence et son intervention en apportant un éclairage culturel, de cœur à cœur. Les échanges avec le public étaient chaleureux.
En 1976, l’Algérie nationalise tous les établissements privés, cette année sonne le glas des écoles des Pères Blancs qui ont dispensé un enseignement laïque de qualité, formant plusieurs générations.
Le Matin d’Algérie : De la Kabylie à Paris, puis de la France à la Norvège, qui est Daniel Aabech Christensen ?
Daniel Aabech Christensen : Je dirais, un Franco-Kabyle qui aime l’aventure. J’ai vécu plusieurs vies, presqu’autant que le nombre de pays que j’ai faits miens. Un être aux facettes multiples avec un esprit scientifique, grisé par le challenge. Un goût très prononcé pour les arts et les cultures. Toujours en quête de savoir et découvertes, jusqu’à l’écriture de ce premier roman. J’ai dans la peau l’humour et l’autodérision. Féru de langues, notamment le français, à mon sens, la plus poétique et raffinée de toutes, moi qui aime le raffinement, le beau, et tout ce qui a trait à l’esprit. Tel que le distillent, Sacha Guitry et Brel, ou encore le monde onirique et fabuleux, d’Ennio Morricone et le jazz éthéré d’ECM Records.
Le Matin d’Algérie : Vous venez de publier un livre passionnant, émouvant, Pensionnaire à l’internat des Pères Blancs de Béni Yenni, qui raconte votre histoire personnelle mais c’est aussi un témoignage sur ce pan d’histoire de l’Algérie contemporaine interrompu, racontez-nous la genèse de ce livre ?
Daniel Aabech Christensen : Pendant longtemps je croyais à tort qu’il y avait déjà un livre de ce genre, retraçant la vie d’un élève chez les Pères blancs. Mais en dehors du récit de Bahia Amellal sur les Ruches des sœurs Blanches et le travail didactique de Dahbia Abrous et Karima Dirèche, il n’y avait pas de récit de ce genre. Puis reprenant contact avec une centaine d’anciens camarades via les réseaux sociaux, je me suis rendu compte que tous étaient nostalgiques et regrettent profondément ces temps bénis des années d’internat, des années 1960 et 1970. De fil en aiguille, je me suis retrouvé acculé par le temps, voyant que le dernier Père Blanc encore vivant, du contingent occidental depuis Mgr Lavigerie jusqu’en 1976 était Père Jan, notre directeur. Alors plus une minute à perdre, ce livre doit voir le jour au plus vite. De son vivant. Pour un hommage collectif, aux Pères, Sœurs et professeurs laïcs. Tous les missionnaires, qu’ils soient P-B ou Sœurs et Pères Jésuites. Et bien évidemment à mes camarades devenus amis 50 ans après.
J’étais ému de voir que désormais cet hommage m’incombait vu que j’ai fait partie de la toute dernière promotion 1975-1976 et que j’ai la chance d’écrire ce roman de l’intérieur, en employant à la fois le « je » mais aussi en me mettant dans les chaussures de mes ainés, comme Idir (chanteur), Arkoun, Rebrab, Lamdjadani, Mahroug et bien d’autres pointures ayant fait leur cursus dans les écoles congrégationnistes de l’époque. Maison Carrée, L’Inter-collèges …
De fait j’ai grande fierté à dire qu’à part une autre version de la couverture, ce livre je l’ai fait tout seul de A jusqu’à Z, en un temps record, sans aucune aide. Je suis un homme heureux et comblé.
Le Matin d’Algérie : Vous êtes venu de Norvège pour faire ce café littéraire à Paris avec Youcef Zirem, c’est un long voyage, j’imagine que de tels espaces de rencontres sont rares en Norvège, Paris demeure toujours la ville des arts et de la culture, qu’en pensez-vous ?
Daniel Aabech Christensen : Une invitation de l’ineffable Youcef Zirem m’honore toujours, d’autant que, tombant pile en période de Noël, j’en ai profité pour voir aussi des proches.
En Scandinavie, peu lisent le français et ils ont leur espace culturel inhérent à leur propre socle, bien qu’ouverts sur le monde. Mais étant citoyen Français et ex’ parisien, c’est là que je suis susceptible de retrouver ceux à qui ce livre parle et qui m’attendaient d’ailleurs avec joie. Si j’ajoute l’accueil chaleureux que vous m’avez tous réservé et la rencontre de personnes de grande valeur, l’illumination de la rencontre, par l’ethnopsychiatre Hamid Salmi et son savoir, les discussions denses qui ont suivi, alors je reviendrais tous les mois si l’on m’invite à nouveau (éclats de rire).
Le Matin d’Algérie : Quels souvenirs retenez-vous de cette expérience chez les Pères Blancs N’At Yenni ?
Daniel Aabech Christensen : Je ne suis pas le seul à le dire ni à l’écrire. Comme dit plus haut, les filles devenues grands-mères, interrogées par Bahia Amellal sur leur passage chez les Sœurs et la totalité de mes camarades garçons, tout ce beau monde pense que c’est la meilleure tranche de leur enfance, voire de leur vie. Et évidemment moi-même marqué à vie par cette année inoubliable, j’ai capté l’énergie fabuleuse qui régnait entre les 4 murs de notre pensionnat, pour foncer conquérir le monde. À tel point que tous, surtout mes profs sont stupéfaits par ma mémoire si précise à tout détailler, notamment dans les 3-4 premiers chapitres. Alors je ne remercierais jamais assez ces bienfaiteurs qui ont célébré l’excellence, et aussi, feu mon grand-père qui a bien accepté de payer ma pension pour m’y scolariser. Aujourd’hui, sachant ce qu’il en est, j’aurais été très malheureux si j’avais raté ce coche. À plus forte raison, que tout cela n’existe même plus désormais, hélas.
Le Matin d’Algérie : Comment ces Pères Blancs N’At Yenni, ces religieux, ont-ils pu dispenser un enseignement laïque avec 100% de réussite au baccalauréat ?
Daniel Aabech Christensen : Oui. Merci de me permettre d’apporter deux éclairages sur la confusion à l’évocation de nos missionnaires toutes ces décennies. Alors aussi bien chez les Pères que chez les sœurs, notamment à la meilleure école de filles (Collège-Lycée) Ste-Élisabeth d’Alger, qu’à Maison Carrée, Beni Yenni etc. pour les garçons, il n’y avait pas de cours religieux. Je n’ai pas récité, le moindre Pater-Noster ni un seul Avé Maria. Donc il est temps de rétablir la vérité sur la prétendue évangélisation.
Ensuite, par leur enseignement des plus pointus, durant un nombre d’années successives, on a eu des élèves qui réussissant à100% au bac. Ces mêmes Pères ont dû braver l’insistance de beaucoup de notables à accepter leurs enfants, mais ils avaient réservé 80 à 85% des places à des démunis et orphelins comme moi, la revanche du pauvre, car bon à l’école, et avoir notre chance dans la vie.
Fidèles à leurs valeurs chrétiennes et universelles jusqu’au bout.
Le Matin d’Algérie : L’Algérie indépendante a mis fin à l’enseignement privé et aux internats des Pères Blancs, est-ce regrettable d’après-vous ?
Daniel Aabech Christensen : Extrêmement. C’était une façon déguisée de chasser ces valeureux missionnaires, car en réalité je ne connaissais aucune école privée appartenant à un autochtone. Cependant, une double hypocrisie insupportable, s’y est glissée. D’abord les premiers cadres surtout les majors de promos, nommés pour construire notre pays, fraichement libre, beaucoup étaient « d’anciens pères blancs » à l’image de l’un des meilleurs ministres des finances, Smail Pierre Mahroug. Les autres dans les nombreux secteurs ont œuvré anonymement, mais en quelques années le pays était sur une ascension fulgurante.
La deuxième hypocrisie, ceux qui ont tué cet espoir, n’ont pas jeté le bébé avec l’eau du bain. Ils ont récupéré tous les édifices de ces belles écoles et leur infrastructure de très haute facture. À telle enseigne qu’elles ont encore meilleure allure que des centaines de collèges et lycées construits dans les années 1980, plus récents. Mais par-dessus tout, c’est l’anéantissement de ce degré d’excellence qui plus est, nous est tombé dessus par providence à un moment crucial qui fait le plus mal. Et un jour, l’on décidât, contre tout bon sens que l’arabisation était l’avenir du pays.
Voyons aujourd’hui dans quelle catastrophe cela nous a précipités.
Le Matin d’Algérie : À Paris vous avez rejoint l’atelier de traduction et d’interprétation en kabyle des œuvres universelles, le groupe du dramaturge Abdallah Mohia dit Muhya, un mot sur ce travail avec Muhya ?
Daniel Aabech Christensen : Mohia (paix à son âme) était un boulimique et un cartésien, il a rencontré et rassemblé des gens passionnés puis les a ralliés à sa cause. Le savoir et les œuvres sont universels. Ils nous tendent les bras. Alors comme le dit l’expression populaire : « Y’a qu’à ». Et alors, les forts en français ont rencontré les forts en kabyle et l’alchimie a opéré.
Cela a économisé des décennies voire des siècles de recherche aux nôtres, puisque les grands auteurs traduits, avaient déjà enrichi l’humanité de leurs écrits. Nous restait, alors, à atteindre l’extrême exigence de la fidélité de l’adaptation de l’œuvre initiale. La suite est un enchantement pour l’esprit. Et une satisfaction personnelle.
Le Matin d’Algérie : Avez-vous des projets en cours ou à venir ?
Daniel Aabech Christensen : Oui, j’ai des ébauches ci et là, commencées d’ailleurs en même temps que ce roman paru, car je m’ennuie vite. Alors je saute de l’un à l’autre. Astuce trouvée tout seul. Mais souvent, j’attends, la capricieuse muse, l’inspiration. Le moment venu, j’en publiera d’autres, car beaucoup apprécient déjà ma plume et mon style que j’ai mis sept ans à trouver. En revanche, ç’en est fini de l’adaptation, j’ai tourné la page et changé de pays.
En attendant, mon plus grand bonheur, c’est d’avoir rendu tous mes camarades et profs heureux, émus aux larmes à la sortie de ce livre, à la vision des photos et des souvenirs. Et bon nombre l’ont lu d’une traite en une nuit, impatients de se revoir enfants, les plus heureux du monde, oubliant pour un instant, leur cheveux gris.
Le temps passe, mais l’espoir est revenu, quand ils ont pu parler à Père Jan, à d’autres profs et surtout, désormais, l’occasion de pouvoir se retrouver aux salons du livre ou aux réunions d’anciens.
En occident mon livre est sur Amazon et pour ceux qui en Algérie, me le réclament, il sera bientôt disponible dans les grandes librairies de Tizi-Ouzou et Alger notamment, voire d’autres villes.
Le Matin d’Algérie : Un dernier mot peut-être ?
Daniel Aabech Christensen : D’abord merci de m’avoir reçu et permis d’évoquer mon livre qui parle non seulement aux anciens des Pères Blancs, mais en réalité à tous les internes du monde. Même si ce système tend à disparaitre. Ensuite, attirer l’attention sur le fait que cette histoire commune, à bien des pères, grands-pères et grands-mères, sans ce livre, a failli ne jamais être transmise à leur progéniture sur leur vaillant passé. Soudain il y a de l’engouement, de l’émotion, de la fierté. Et alors j’enjoins tout le monde à éveiller nos générations à la lecture. À acheter des livres, à soutenir les éditeurs et libraires. À multiplier les salons et les cafés littéraires. C’est comme cela que nous avons atteint ce niveau, chanceux qu’on nous ait mis sur les bons rails. Et je ne peux terminer sans apporter mon soutien à tous ceux qui œuvrent pour la liberté d’opinion, parfois au péril de leur vie. Le débat et l’esprit doivent toujours occuper l’espace public, en maitres-mots.
Entretien réalisé par Brahim Saci
Livre publié :
Pensionnaire à l’internat des Pères Blancs de Béni Yenni.
© – Daniel Aabech Christensen. Octobre 2024 – Autoédition.
Pour commencer, merci. Je n’y suis pas alle’, mais j’ai connu l’ecole. De la generation de juste apres, j’ai vecu la catastrophe le passage de l’ecole elementaire des Peres Clairs a celui des Sombres. Cet Interview vient de me convaincre que ce chapitre-la est a ecrire aussi. Dans mon interview, je ferais attention de remplacer le mot rails par bancs, dans « C’est comme cela que nous avons atteint ce niveau, chanceux qu’on nous ait mis sur les bons rails. » de votre conclusion. Bref, le detail de comment les Kabyles, et pas que, sont passe’s d’assis sur le posterieur la tete haute et yeux & oreilles ouverts, a agenouille’s la tete parterre et le posterieur expose’.