Est-ce une malédiction ou une bénédiction de ce qu’il arrive en Algérie ? Sommes-nous condamnés à subir l’histoire depuis des siècles, sans lever la tête pour dire les choses à nous-mêmes avant de les dire aux autres ? Nous avons une grande part de responsabilité à l’égard de notre histoire et de nos ancêtres !
Nous assistons malheureusement, les mains croisées, à une rupture historique dans notre propre anthropologie. Si nous abordons uniquement les deux derniers siècles, les questions qui empoisonnent nos débats sont : la religion, le nationalisme et l’identité. Je regarde avec amertume des débats dans médias ici et là où sont exprimées des âneries pseudo-scientifiques, piétinant le principe même de l’épistémologie scientifique, confondant ainsi le raisonnement scientifique et l’opinion politique. Un scientifique peut-il affirmer une vérité absolue ?
Il semble que nous nous trouvons dans une situation où les confrontations d’idées n’ont ni tête ni queue, où les débats nécessaires pour avancer sont comme des mirages inaccessibles. Au moment où l’espace de la parole libre se rétrécit et celui du « clash » s’étale à l’ensemble des catégories sociales algériennes, le débat d’idées s’appauvrit.
Nous n’avons plus de débats d’idées, mais des débats de « convictions ». On n’interroge plus le « système », mais les « sujets » (concept d’Alain Touraine). Nous n’essayons plus de comprendre l’histoire, mais nous l’utilisons pour juger, condamner et mettre au pilori les rares personnes qui tentent d’alimenter le débat ! Kamel Daoud, Boualem Sansal, Said Sadi, Nordine Boukrouh, etc. La liste est longue. Ils essaient chacun à leur niveau d’animer les débats intellectuels sur la société algérienne. Cependant, certains intellectuels ne débattent pas des idées, mais jugent les porteurs d’idées et les mettent au pilori (de trahison, de complicité, etc.).
Quand je lis qu’un écrivain s’est inspiré d’une histoire réelle pour écrire un roman, je me demande : quel auteur ne s’est pas inspiré de la réalité pour construire une romance, un imaginaire ? L’acte d’écriture reste fastidieux et personnel, il nécessite des compétences linguistiques et intellectuelles très personnelles.
Comment peut-on réduire un livre de plusieurs centaines de pages à un plagiat ? Le plagiat consiste à reproduire à la lettre l’écriture de l’autre. Nous avons déjà entendu ces accusations à l’encontre d’écrivains comme Yasmina Khadra, Boualem Sansal (pour 2084), etc. Quelle malédiction touche notre élite ! Faut-il briller dans le cadre nationaliste du moment !
Certes, l’histoire coloniale de l’Algérie a laissé des cicatrices profondes, marquées par la méfiance envers les institutions et une peur de la répression. Cette méfiance a contribué à une culture du silence où les vrais débats sont souvent évités pour préserver la stabilité apparente. Mais jusqu’à quand ? Attendons-nous l’arrivée d’une nouvelle génération formatée par l’idéologie « révisionniste » de notre histoire au point de prétendre une identité qui n’est pas la nôtre ? Les sciences humaines et sociales, enseigné en Algérie, abdiquent-elles (ont-elles abdiquées) devant la pensée religieuse et révisionniste ?
L’absence de débat et/ou la répression politique joue un rôle déterminant dans l’embarras à aborder les questions sensibles, mais fondamentales pour construire un État fort et stable. Les médias, souvent (sous) contrôlés par le pouvoir politique, évitent les sujets controversés pour éviter la censure ou les représailles.
Par ailleurs, les normes sociales et culturelles favorisent la conformité et découragent l’expression d’opinions divergentes et critiques. L’obstruction des pouvoir publique (sous influence du discours nationalistes et religieux) d’aborder les vrais problèmes entraîne une stagnation du développement social.
Les questions telles que la stabilité de l’État, la séparation des pouvoirs, une justice indépendante, les droits des femmes, la liberté d’expression, etc., et les réformes de l’Etat restent en suspens, freinant le progrès de la société.
Lorsque les vrais problèmes sont ignorés, la confiance des citoyens envers les institutions et les dirigeants politiques s’érode. Cette perte de confiance peut mener à un désengagement civique et à une montée du cynisme, créant un cercle vicieux de méfiance et d’inertie.
Le manque de courage pour aborder les vraies questions de société en Algérie est un obstacle majeur au développement du pays. Toutefois, en reconnaissant les origines et les racines de ce problème et en saisissant les opportunités pour le surmonter, l’Algérie peut espérer un avenir où les débats ouverts et honnêtes sont la norme, et où le progrès culturel, social, économique et la réconciliation avec son identité est à la portée de tous ses citoyens. Un vœu pieux !
Y. Haddar