La personne qui m’est la plus proche, chacun devinera laquelle, m’a redit le nom de sa collègue, Agnès. Pas une fraction de seconde ne s’était passée pour que ma réplique sorte spontanément, « le petit chat est mort » de Molière, la plus célèbre réplique dans l’École des femmes.
La chronique d’aujourd’hui se propose de réfléchir sur la pertinence ou non de souvent faire référence à une œuvre écrite par une citation retenue dans la conscience collective. J’exclus le cas qui m’exaspère le plus dans les réseaux sociaux, celui des citations « balancées » sans explication de la raison du choix, du contexte ou de l’opportunité du moment. J’avais écrit une autre chronique à ce sujet dans ce journal.
Il s’agit aujourd’hui de réfléchir sur l’utilité de se souvenir d’une expression ou d’une phrase qui déclenche un rappel de l’œuvre dont elles sont l’origine.
Personnellement, je les nomme « accroches mémorielles ». Elles ont une importance fondamentale pour incruster l’œuvre dans le fond de culture d’une personne.
Dites à cette personne « il y a de l’orage », il y a de fortes chances qu’elle vous réplique instinctivement « Oh rage oh désespoir ! ». Et tous les deux, si vous avez le même fond de culture, ce qui est normalement le cas pour les œuvres classiques, vous vous remémorerez la complainte du père de Rodrigue dans Le Cid.
Voilà que la mémoire se réveille un instant pour raviver par effet de dominos le souvenir de l’histoire et de l’auteur Corneille. Et peut-être même aller au-delà, se souvenir du sens que le professeur en avait donné.
Alors, la phrase devient l’une des matrices d’un fond culturel d’une personne. À jamais elle sera l’accroche dans un raisonnement ou un écrit dont le sujet est le dilemme de l’interdiction familiale d’une union entre deux personnes amoureuses. Quoi de plus classique, dans la littérature autant que dans la vie réelle qui lui sert de matrice ?
Inévitablement surgit dans la mémoire l’autre référence, aussi célèbre à ce sujet, l’amour contrarié de Roméo et Juliette par le même dilemme des oppositions familiales.
Si la réflexion ou l’écrit va plus loin dans l’évocation alors défilent tous les recoins du fond de culture. La période qui permet de situer les idées et les thèmes littéraires du siècle concerné, les liens avec les autres thématiques, comme les mœurs sociales, les faits historiques et les polémiques entre les auteurs et ainsi de suite.
C’est l’un des réflexes de l’instruction, utiliser une phrase pour dérouler le fil de la trame culturelle. Plus les références sont importantes et plus le fond de culture est solide car les liens tisseront un réseau de connexions qui prépareront et enrichiront sa propre réflexion.
Que le lecteur ne se méprenne pas, l’approche qui est la mienne est celle d’une génération francophone d’instruction que l’histoire algérienne a forgée. Le raisonnement présenté dans ce texte est universel pour toutes les cultures et langues du monde. Bien entendu qu’il en est de même pour des jeunes lycéens qui maitrisent bien mieux que moi la culture des œuvres arabes et berbères.
Si nous revenons à notre sujet, cela n’a absolument rien à avoir avec le fameux adage, « La culture, c’est comme la confiture, moins on en a et plus on l’étale » des citations de nombreux algériens, comme de ceux du monde, dont nous avons déjà rappelé mon agacement envers elles.
Le fil mémoriel est infini. Il a une résonance encore plus forte lorsqu’il est tiré d’un incipit (phase qui démarre une œuvre), le plus célèbre étant «aujourd’hui ma mère est morte, ou hier, je ne sais pas ». Alors rejaillit dans la mémoire L’Étranger de Camus et le thème du détachement qui déroule à son tour dans la mémoire le même thème dans les autres œuvres littéraires ou philosophiques. Le cas inverse est tout aussi vrai, le souvenir du livre permet également de rappeler l’incipit. Dans un sens ou dans l’autre, le fond de culture est nourri sans cesse.
La littérature n’est pas le seul art qui provoque les déclics mémoriels. Prononcez devant moi le nom de Rouiched et comme pour Angèle, un éclair jaillit toujours pour reprendre les deux phrases « Vous aviez des oliviers… » du film Les années de braises ou ma préférée « Zakia, ton mari est terroriste ! » dans Hassen Terro.
Inévitablement reviennent à l’esprit l’époque historique, le sens de la réplique et l’ensemble des œuvres cinématographiques algériennes de cette époque. C’est ainsi que le cinéma est aussi une source de culture lorsque la phrase n’est pas détachée de tous ses liens.
Mes chers lecteur, Hasta la vista, baby !, je ne doute pas un seul instant que cette célèbre phrase d’au-revoir ne déclenche pas chez vous un retour de mémoire.
Bon, je vous l’accorde, comme référence culturelle avec Arnold Schwarzenegger dans Terminator, ce n’est pas tout à fait un bon exemple de fond culturel.
Boumediene Sid Lakhdar