Pierre-Paul Geoffroy, l’une des figures les plus marquantes du Front de libération du Québec (FLQ), est mort samedi dernier à l’âge de 81 ans.
Son neveu, Nicolas Langelier, retrace dans Pierre-Paul Geoffroy, ou la tentation du feu, le parcours d’un homme qui, dans le Québec des années 1960, a choisi la violence pour défendre ses idées. Mais ce récit dépasse la simple chronique historique : il explore les tensions, les frustrations et les choix radicaux d’une jeunesse convaincue que le changement ne viendrait pas par les voies traditionnelles.
Né à Berthierville en 1944, Pierre-Paul Geoffroy grandit dans un Québec encore marqué par la pauvreté et l’influence économique des anglophones. Très jeune, il s’engage au Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN), un parti qui combine nationalisme, socialisme et contestation intellectuelle. Rapidement, il se heurte à ce qu’il perçoit comme l’inefficacité du système parlementaire. Comme le souligne Langelier, « même si le contexte québécois n’était pas celui de l’Algérie colonisée, Geoffroy a trouvé chez Fanon une théorie de la libération par la rupture radicale ». Pour lui, la violence n’est pas un caprice : c’est un levier pour briser l’immobilisme et faire avancer la justice sociale.
L’influence de l’Algérie indépendante sur les militants québécois des années 1960 a été importante. Peu après 1962, plusieurs partisans de l’indépendance du Québec se sont rendus en Algérie, alors tout juste libérée de la colonisation française, pour observer, apprendre et s’inspirer de son expérience révolutionnaire.
Si Pierre-Paul Geoffroy n’a pas, à notre connaissance, voyagé lui-même en Algérie, son engagement et celui de ses camarades s’inscrivent dans un contexte où la lutte algérienne servait de référence idéologique pour justifier la rupture avec les voies traditionnelles et l’usage de moyens radicaux. L’Algérie, à l’époque, symbolisait pour beaucoup la possibilité de transformer la frustration et l’indignation en action concrète.
Le climat des années 1960 favorise ce basculement. La Révolution tranquille a ouvert les yeux des jeunes sur leur force collective, mais les inégalités persistent. La frustration grandit, et l’idée que des changements radicaux exigent des moyens radicaux s’impose à une partie de la jeunesse. Cuba, le Vietnam et les Black Panthers inspirent ceux qui veulent transformer le Québec rapidement et profondément.

C’est dans ce contexte que naît le « réseau Geoffroy ». La première bombe, posée en mai 1968, intervient après une manifestation violente en soutien aux travailleurs de l’usine Seven Up. Geoffroy et ses camarades multiplient ensuite les attentats : des entreprises, des usines, la Bourse de Montréal. En février 1969, la Bourse est frappée par une « superbombe » qui blesse une vingtaine de personnes et cause près d’un million de dollars de dégâts. Langelier écrit : « Pour le réseau Geoffroy, une trentaine de bombes suivent en moins d’un an. La plupart sont posées en appui à des travailleurs en grève ou en lockout. » Ces actions spectaculaires marquent le Québec et alimentent un débat national sur la violence et la légitimité de la contestation.
Geoffroy est arrêté en mars 1969, après que la police découvre son appartement rempli de dynamite, de détonateurs et de bombes prêtes à l’emploi. Il plaide coupable et assume ses actes, refusant de dénoncer ses camarades. Sa peine cumulative atteint 124 peines de prison à perpétuité, une sentence hors norme qui contribue directement à la Crise d’octobre de 1970. Le FLQ, en réaction, organise des enlèvements et des pressions sur le gouvernement pour obtenir la libération de ses membres. Jacques Lanctôt, un des ravisseurs de James Cross, expliquera des années plus tard : « Le tribunal venait de condamner un de nos amis, Pierre-Paul Geoffroy, à 124 peines de prison à perpétuité. Cette sentence me révoltait. »
Geoffroy sort de prison en 1981, après 12 ans d’incarcération, mais ne cherchera jamais à réhabiliter son passé ni à publier ses mémoires. Il reste discret jusqu’à la fin, loin des projecteurs. Pour Langelier, son histoire est avant tout un témoignage : « Honorer la vie de Pierre-Paul Geoffroy, ce n’est pas réhabiliter la clandestinité armée, ni relativiser la violence. C’est reconnaître que l’histoire n’avance pas seulement par des récits héroïques ou consensuels. »
Le nom de Geoffroy évoque aujourd’hui surtout un écho historique, mais son parcours interroge encore. Il rappelle que derrière chaque mouvement social, il y a des individus avec des convictions fortes, parfois poussés à l’extrême par la frustration et l’urgence ressentie. Son engagement radical et sa fidélité à ses camarades offrent un aperçu unique du Québec en pleine mutation, à un moment où la violence était perçue par certains comme le seul moyen de faire bouger les lignes.
Comprendre Pierre-Paul Geoffroy, c’est accepter la complexité de l’histoire et la fragilité des choix humains face à l’injustice. Il n’était ni un héros flamboyant ni un intellectuel médiatique. C’était un homme méthodique, loyal et déterminé, qui a payé le prix fort pour ses idées. Mais son parcours continue de poser des questions : jusqu’où la fidélité à une cause peut-elle justifier de mettre sa vie et celle des autres en danger ? Et comment intégrer dans la mémoire collective un épisode où l’engagement politique a basculé dans la violence, sans qu’il y ait de victimes mortelles ?
Le Québec a changé depuis les années 1960. Si les inégalités persistent, la majorité francophone dispose désormais des moyens d’influencer sa destinée. Mais la trajectoire de Geoffroy rappelle que l’histoire n’est jamais linéaire et que les choix des individus, même extrêmes, façonnent la société. Elle met aussi en lumière l’urgente nécessité de comprendre les frustrations qui conduisent certains à penser que la violence est la seule issue.
Synthèse Djamal Guettala

