Mercredi 7 mars 2018
Pour l’émancipation de tout le « ciel » !
Voici une histoire très bizarre. C’est celle d’une (j’ai bien écrit une) être sans laquelle la vie humaine n’existerait pas sur cette planète, d’une être dans laquelle est accueilli et se forme tout spécimen du genre humain, lequel, ensuite, en est nourri, chauffé, caressé, tranquillisé. C’est, enfin une être sans laquelle un autre être semblable, mais de sexe opposé, n’existerait pas : on l’appelle homme.
Quant à l’autre être, on l’appelle femme.
Et, pourtant, cette dernière être, la femme, est depuis trop longtemps et partout dominée et exploitée par l’homme : économiquement, politiquement, socialement, psychiquement, sexuellement.
Et, pourtant, cette femme est la mère de l’homme, sa sœur, sa camarade de travail, sa compagne de vie. Et, pourtant, cette femme a su combattre les armes à la main, quand la situation l’exigeait. On a même constaté que, généralement, la femme résiste davantage que l’homme à la torture.
L’histoire enseigne que l’espèce humaine mit longtemps avant de reconnaître que l’être humain ne se réduit pas en esclavage, parce que tout être humain a « une âme », autrement dit pense, éprouve de la joie et de la douleur. Il a fallu à cette espèce humaine encore plus de temps pour reconnaître à la femme le droit à ne pas être réduite en esclavage, pour les mêmes motifs.
Hélas ! Les conceptions antiques, laïques ou religieuses, demeurent encore dominantes dans le cerveau humain : que la femme est « inférieure » à l’homme. Dès lors, ce dernier en justifie l’exploitation et la domination.
Des tentatives de révolte féminine ont eut lieu partout ; elles ont abouti à quelques résultats. Rappelons que le droit de vote des femmes est tout récent, et qu’il a été le résultat de luttes populaires immenses, parfois sanglantes, et cela d’abord dans les nations dites « civilisées » et « avancées ».
Mais, tout le reste demeure à conquérir. Bien que les femmes aient participé aux mouvements révolutionnaires, une fois la victoire acquise, les hommes ont accaparé le pouvoir, reléguant les femmes au rôle subalterne. Ce phénomène eut lieu partout ! C’est que l’homme, même révolutionnaire, soit a peur de la femme comme sujet social paritaire, soit il aime jouer un rôle de dominateur. Que dire quand même un Joseph Proudhon traite la femme d’une manière totalement inacceptable dans ses écrits, pareillement au pire des clercs macho ? Même les épouses de Karl Marx, de Lénine, de Trotski, de Mao Tsé Toung, Che Guevara, etc., quel fut leur rôle, sinon de subalternes ? Même Mao Tsé Toung, qui lança la belle et juste métaphore « La femme est la moitié du ciel », ne se distingua pas par une promotion conséquente des femmes. Même le mouvement de mai 1968 en France a obligé les femmes à rappeler à leurs compagnons : « Révolutionnaires ! Qui vous lave vos chaussettes ? »
C’est que la mentalité autoritaire, exploiteuse et dominatrice se manifeste d’abord dans le rapport de l’homme avec la femme. Et seulement ensuite dans la relation du possesseur de capital vis-à-vis du possesseur de sa seule force de travail.
Mais le combat contre ce second type d’exploitation a toujours occulté la première forme d’exploitation. Prétexte ?… Que le « prolétariat » ou le « peuple », c’est-à-dire les hommes se libèrent, alors on pensera ensuite à l’émancipation des femmes. Nous avons vu le lamentable résultat.
Dans le camp dit « progressiste » et même « révolutionnaire », de très rares hommes et de rares femmes (Louise Michel, Emma Goldman, Alexandra Kollontaï, par exemple) ont agi en considérant que l’émancipation sociale exigeait celle de l’homme en même temps que de la femme. Hélas !… Les hommes (et la plupart des femmes qui les suivaient) ont préféré accorder la priorité à l’homme, au nom d’un « réalisme » opportuniste qui se révéla n’être qu’opportunisme.
Bien entendu, les considérations présentées ici ne visent pas à cette forme de « libération » des femmes dans le système capitaliste. Car, une femme actionnaire, capitaliste ou personnage politique se conduit exactement comme l’homme du même statut : exploiteuse et dominatrice comme lui.
L’émancipation féminine dont il est question ici est celle des femmes qui n’aspirent pas à devenir, à leur tour, pareillement à certains hommes, exploiteuses et dominatrices, mais veulent bannir toute forme d’exploitation et de domination. Par conséquent, la libération de la femme, pour être authentique et efficace, devra également signifier la libération de l’homme, les deux étant exploité-e-s et dominé-e-s.
Il est vrai, cependant, que la femme est plus exploitée et dominée que l’homme qui partage son statut social d’exploité et de dominé. Si l’homme est exploité et dominé au travail, la femme l’est, en plus, à la maison, exploitée et dominée par l’homme, notamment en ce qui concerne les travaux domestiques et l’attention aux enfants.
C’est dire avec qui mener le combat global contre l’exploitation et la domination dans l’espèce humaine.
Cependant, n’oublions pas la part de responsabilité de la femme dans la formation de l’être humain, qu’il soit féminin ou masculin, donc la part de responsabilité de la femme dans l’état actuel de la société humaine. Certes, tant de femmes sont exploitées et dominées par les hommes. Mais n’avons-nous pas, également, tellement de femmes qui élèvent leur fille ou leur garçon dans le but d’en faire d’autres exploiteurs et dominateurs ?… Rappelons-nous l’antique pièce de théâtre grecque : les femmes, lassées de voir leurs maris guerroyer, ont décidé la grève dite du sexe : refus de faire l’amour avec leur époux tant que la guerre ne cessera pas. Et elle cessa. N’est-ce pas à méditer ?… Cela ne porte-t-il pas, tout en dénonçant les injustices dont sont victimes les femmes, de ne pas perdre de vue leur responsabilité dans l’existence même de ces injustices ? La mère, la sœur ou l’épouse (ou l’amante) qui montre de la fierté à voir son fils, son frère, son mari (ou son amant) plastronner comme patron capitaliste, policier, général d’armée, prêtre, etc., bref assumer un rôle d’exploiteur ou de dominateur, ce genre de femmes luttent-elles pour leur libération ?
Voilà pourquoi le mouvement « féministe » a déçu et failli. Comme dans le cas du mouvement « ouvrier », le but véritable ne fut pas réellement l’abolition de toute forme d’exploitation et de domination, mais de copier la bourgeoisie (autrement dit les exploiteurs et les dominateurs) en prenant son rôle, sous une forme inédite. Les marxistes ont appelé cela la « dictature du prolétariat » ; ce fut en réalité la dictature de la nomenklatura marxiste. Et les « féministes » ont appelé cela « libération de la femme » ; elle se limita à libérer généralement celles qui aspiraient à occuper une place, à coté des membres masculins de la caste exploiteuse et dominatrice.
Il reste donc à « ajuster le tir », à reprendre l’action de manière claire et intransigeante : pour libérer la femme, il faut libérer également l’homme. De quoi ?… De leur mentalité servile, pour qu’elles-ils comprennent qu’une « moitié du ciel » ne peut pas être libre sans l’autre « moitié », qu’il faut débarrasser le « ciel » de toutes les formes, sans exception, d’exploitation et de domination. Cela exige le droit pour tout être humain, femme ou homme, de gérer sa propre vie de manière libre et solidaire avec les autres, dans tous les domaines de la vie sociale.
K. N.
P.S. Les détenteurs du pouvoir en Algérie ont fêté à leur manière la journée internationale des femmes. Ils ont fermé les locaux de deux associations de défense des droits des femmes à Oran : FARD (Femmes algériennes revendiquant leurs droits) et AFEPEC (Association féministe pour l’épanouissement de la personne et l’exercice de la citoyenneté). Ayant constaté l’ampleur de la solidarité qui s’est manifesté en faveur de ces deux associations, les mesures répressives ont été levées, permettant à ces deux associations de poursuivre leur travail. Cependant, ces mêmes autorités ne répondent encore pas, comme la loi le prescrit, à la normalisation légale de l’existence de ces associations. Ces dictateurs croient-ils pouvoir ainsi arrêter le mouvement d’émancipation des femmes dans le pays ? Concluons avec une élémentaire et banale question : l’homme qui a peur ou s’oppose à l’égalité des droits avec la femme, quel genre d’homme est-il ? Et la femme qui ne revendique pas l’égalité des droits avec l’homme, quelle femme est-elle ?
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