Lundi 9 décembre 2019
Pourquoi l’Algérie doit changer de logiciel économique
A la crise politique en Algérie s’ajoute une situation économique préoccupante. Toujours très dépendant des aléas des prix du gaz et du pétrole, le modèle algérien est au bout du rouleau.
L’économie algérienne est malade de sa mono-industrie, presque exclusivement tournée vers l’exploitation des réserves gazières et pétrolières. Malade également de sa nomenklatura politico-militaire corrompue qui confisque une partie de cette rente pétrolière. L’Algérie se classe pourtant dans le top 10 des producteurs mondiaux de gaz et est le 3e producteur africain de pétrole. Les hydrocarbures représentent aujourd’hui encore 95% des recettes d’exportation et 65% du budget de l’Etat.
Captation de la rente pétrolière
Au lendemain de l’indépendance (1962), avec l’aide de Moscou, Alger se lance dans l’édification d’une économie « socialiste » dirigiste, basée sur l’industrie lourde (sidérurgie, cimenteries, pétrole, gaz). Avec les mêmes travers que l’Union soviétique : économie bureaucratique, caractérisée par une faible efficacité, une faible innovation technologique et un secteur public hypertrophié. En 1984, celui-ci représentait 73% de l’emploi total.
Au nom de l’industrialisation, le pays a sacrifié au passage son agriculture, collectivisant les terres, avec pour conséquences une chute de la production et une forte dépendance alimentaire. Laquelle se poursuit aujourd’hui, puisque le pays importe la moitié de ses besoins en la matière.
Une économie spécialisée dans les seules matières premières se heurte à des variations importantes des cours. Si les revenus du gaz sont hauts, ils permettent de subventionner les produits de base, les logements, l’école et la santé (gratuite), les routes et les trains avec un certain succès. Mais lorsque la conjoncture se retourne, comme c’est le cas depuis 2015, alors rien ne va plus. C’est la malédiction qui a frappé le Venezuela, pays gangréné par la mauvaise gestion et la corruption, qui touche également l’Algérie où une oligarchie issue de l’armée et du Front de libération nationale (FLN) capte une grande partie de la rente pétrolière. Une partie de la population pense que les dignitaires algériens cachent leur argent à l’étranger.
Une libéralisation de façade
Face aux limites de l’économie étatisée, le régime a amorcé un timide tournant dans les années 80 en libéralisant et en diversifiant l’activité. 700 000 hectares de terres sont ainsi repassés au secteur privé, mais tout cela a été très insuffisant.
La « fausse » libéralisation des années 1980-90, après l’échec du socialisme, n’a pas permis l’émergence d’une véritable diversité économique. Ainsi, cette ouverture n’a profité qu’à quelques oligarques, proches du pouvoir, qui se sont partagés les secteurs d’importation, au détriment d’une véritable concurrence. En d’autres termes, on a remplacé des monopoles publics par des monopoles privés. Ces arrangements empêchent l’émergence d’entreprises privées réellement indépendantes, en dehors des milieux d’affaires liés au pouvoir.
Le Conseil national des investissements (CNI) exige, par exemple, que 51% du capital des sociétés créées soient détenus par l’Etat algérien, ce qui a refroidi les investisseurs. D’autant que l’Etat peut s’opposer à une transaction en se positionnant prioritairement sur le rachat. Ces mesures anéantissent les flux d’investissements étrangers, déjà affectés par un taux de change (dinar/euro) chaotique.
L’Algérie pourrait également s’ouvrir au tourisme, mais cela voudrait dire plus de transparence et de liberté. Le tourisme est souvent un vecteur d’ouverture aux idées nouvelles.
Une pseudo opération anti-corruption
La situation économique est encore aggravée par l’actuelle paralysie politique et par les dizaines de patrons emprisonnés, en raison d’une campagne anti-corruption menée à la va-vite pour calmer l’opinion. Avec, pour conséquence, une baisse d’activité d’au moins 30% dans les secteurs clés du bâtiment et des travaux publics. Les commandes publiques tournent au ralenti avec des risques importants de faillites et des milliers d’emplois menacés.
Longtemps, la rente pétrolière et gazière a permis de masquer les problèmes et de calmer l’opinion par une certaine redistribution sociale. Mais pour combien de temps encore ? Avec un pétrole à 60 dollars, les caisses de l’Etat algérien se vident à grande vitesse. Le gaz russe, qui monte en puissance en Europe, représente une menace pour le gaz algérien. Sans parler de l’après-pétrole, qui arrivera nécessairement… 58 ans après l’indépendance du pays, l’Algérie a besoin de changer de logiciel politique et économique.