Qui se souvient d’Ahmed Ben Bella ? Non ? La honte ! Pour faire court, c’est le Tebboune d’aujourd’hui avec plus de cheveux et de jeunesse ! Avec plus de « légitimité historique » aussi !
Tu ne peux pas t’imaginer à quel point tes grands-parents, les gens du terroir et des villes, les villageois crédules, semblaient l’aimer. Et pour beaucoup, il incarnait, en 1963, l’espoir d’une Algérie nouvelle (déjà !). On convulsait presque en sa présence ! On se jetait à ses pieds comme pour implorer un marabout !
Des mises en scène d’El Yatima (encore en rodage) le présentaient comme un homme adulé, érigé, en peu de temps, en une véritable divinité ! Survint le temps du désenchantement, et l’euphorie s’est dissipée au contact de la bestialité imposée. La dictature était bien installée, et la damnation ne nous quittera plus !
Puis se joua un match de football au stade Zabana d’Oran, qui le mit définitivement hors-jeu à la minute historique du 19 juin 1965 (il n’y avait pas la VAR à l’époque) ! Il a joué les prolongations dans les prisons de son successeur, Boumediene !
Les mêmes geôles qu’il avait fait construire pour ses opposants lui ont servi de maison de redressement ! Comme quoi, il ne faut jamais siffler la fin de la partie avant le temps réglementaire ! Le stade du coup d’État fut rebaptisé stade du redressement… révolutionnaire ! Ça a de l’humour, un dictateur !
Et c’est ce même Boumediene, alors colonel des armées, avec sa silhouette chétive d’escogriffe mal en point (il s’est bien rattrapé par la suite), et ses yeux noir corbeau, qui est devenu le nouveau Calife ! Et revoilà ton grand-père, ou peut-être déjà ton père (pas tous, mais la plupart), par peur ou par ignorance, qui se mettent à lui vouer un culte pharaonique ! Ben Bella, le marabout, a été promptement enterré vivant, sans mausolée, sans épitaphe, pendant plus de 15 ans ! Le temps que durera le règne du pharaon ! Et ton père, ton grand-père, que crois-tu qu’ils aient fait ? Ils ont applaudi l’incarcération du premier et pleuré, comme des orphelins, la disparition du second, malgré les années de plomb et de misère ! M3a louaqef ya jeddek (avec celui qui reste debout !)
Mais ils ont tout de suite cherché le salut dans son successeur : Chadli Bendjedid, l’artisan de la continuité, de la ruine et de l’apocalypse islamiste ! On ne va pas raconter toute l’histoire des successions et des spoliations répétitives, du viol systémique de la Constitution et des espoirs, des assassinats politiques, de l’arbitraire ou de la guerre civile.
On ne va pas non plus raconter l’histoire déjà bien connue de Bouteflika, qui t’a gouverné, vingt années durant, toi et tes diplômes de l’école fondamentale… sur une chaise roulante, puis avec un cadre, sans prononcer un seul mot pendant six longues années, jusqu’au Hirak béni ! Étonnant, non ?
Tu l’auras compris : tu appartiens à une lignée qui aime louer ceux qui l’écrasent ! Qui les attire comme les victimes des violences conjugales ! Et si ça peut te rassurer, tu peux toujours te dire que ce n’est pas une malédiction, mais El Mektoub ! El Mektoub a le dos large et peut porter même les plus grandes lâchetés !
L’Algérien aime la figure du père autoritaire. Celui qui rugit à la maison parce que le couscous est sec ou trop arrosé. Celui qui manie le bâton et la ceinture. Celui qui ordonne par le frémissement de moustache ou de sourcil. Qui casse les assiettes parce qu’il ne trouve pas de fourchettes. Celui qui ordonne une sieste-surprise par décret à 15h !
L’Algérien aime aussi la figure du prophète sorti du désert. Il croit aux miracles et aux livres saints. Il rêve de vivre une épopée mystique, l’ascension d’un berger qui devient roi ! L’Algérien est candide parce qu’il est profondément croyant ! Tes grands-parents partageaient leurs maigres récoltes avec le marabout du coin pour avoir sa bénédiction ! Tu as toi-même, (sans le savoir ?), une appétence presque naturelle pour le mythe et le surnaturel.
Tu cohabites avec les interdits et tu t’en accommodes. Tu as l’habitude du dieu invisible qui dicte ce qui est sacré, halal ou haram ! C’est ainsi qu’un Tebboune devient un messager et pas un usurpateur ; Boumediene, Aïssa et pas Juda ! À cela se rajoute l’ordonnance prophétique de l’allégeance envers le commandeur des croyants, qui scelle définitivement une structure mentale prédisposée à la soumission !
L’Algérien est envieux, même contre son propre intérêt ! Il aime ouvrir un commerce parce que le voisin est potelé depuis qu’il en a ouvert un ! Il aime construire un garage à la place du jardin, parce que le voisin construit déjà le 4e et semble plus riche !
C’est avec un raisonnement similaire qu’on s’est fabriqué les zaïms Ben Bella et Boumediene, parce que les voisins avaient Nasser et Saddam ! L’envie érigée en modèle de gouvernance ! Quelle absurdité… et pourtant, c’est la réalité des sociétés tribales, qui peinent à se défaire d’un fonctionnement profondément archaïque, voire reptilien ! Arabiste plus que les Arabes, islamiste plus que les musulmans ! Le rêve de puissance par la taille du minaret ! Et ça a failli dégénérer en une République islamique avec un Khomeiny made in bledek (avorté celui-là). Al hamdoullah !
L’esprit de la tribu — avec le chef, le clan, les peurs, les lâchetés et les ignorances — c’est le package dont hérite l’enfant algérien à la naissance. Et ce n’est pas en homme libre qu’il se rêve, mais en chef de clan ! Ce n’est pas en révolutionnaire qu’il se conçoit, mais en réactionnaire. Une h’chicha plutôt qu’un papillon ! Car, croit-il, un avenir morose, mais certain vaut les plus beaux avenirs incertains ! Et il perpétue instinctivement la tradition de la soumission par loyauté à une structure sociétale et mentale qui l’écrase, et dont il ne conteste ni l’utilité, ni l’efficacité !
C’est pour cette raison qu’il défendra Tebboune, jusqu’à ce qu’il soit déposé par un autre dictateur… qu’il glorifiera à son tour!
K.H