22 novembre 2024
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Pouvoir militaire : Ali Mebroukine, ma vie à combattre votre thèse

DEBAT

Pouvoir militaire : Ali Mebroukine, ma vie à combattre votre thèse

Ali Mebroukine

Que les choses soient claires, je réponds à un homme honorable qui vient de rédiger une opinion sur Le Matin d’Algérie (La vision de la transition démocratique de Saïd Sadi est erronée, 10 avril). Mais on peut être, même violemment, avec des mots rudes, en totale opposition avec un honnête homme lorsqu’il s’agit d’une opinion libre.

Monsieur Ali Mebroukine vient de rédiger un plaidoyer absolument incompréhensible pour la pensée des démocrates, des juristes et des humanistes. La lecture de ce papier est invraisemblable pour un francophone universitaire en 2019, après ce qu’a vécu l’Algérie.

Avec toutes les précautions de langage posées par mon préambule du départ, je dirais que cette lecture m’a provoqué une nausée car ce qui est écrit est condamnable puisque c’est exactement le discours qui a légitimé le régime algérien depuis plus d’un demi-siècle.

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Je ne suis pas l’avocat de Saȉd Sadi même si j’ai rendu un grand hommage à son parcours de militant lorsqu’il a annoncé son retrait de l’organisation politique qu’il a si longtemps dirigée. L’article d’Ali Mebroukine énonce une thèse contradictoire aux propos de Saïd Sadi. Je suis tout à fait à l’aise pour m’offusquer de cet article d’autant qu’avec Aït-Ahmed nous avions été en « guerre  politique » avec Saȉd Sadi pour des raisons qu’il n’est pas utile de rappeler.

Dès le départ de son analyse, l’auteur se place au niveau du droit pour défendre la légitimité de l’action des généraux algériens. J’en suis estomaqué. Je pourrais dire, en écartant d’un revers de la main, que défendre l’armée algérienne par le biais du droit est une bouffonnerie, une plaisanterie presque insultante à notre égard, juristes. Je ne sais pas à quels interlocuteurs Ali Mebroukine s’adresse habituellement mais je vais lui rappeler que notre formation en droit constitutionnel n’est pas la sienne, très loin s’en faut.

Faisons donc cet effort et allons dans le domaine du droit auquel cet article nous convie, essayons juste de ne pas s’esclaffer de rire, par politesse. Et pour cela, je voudrais rappeler un principe intangible du droit, universellement reconnu dans toutes les démocratie du monde, ce que semble ignorer cet article.

Tout contrat privé ou public (le contrat entre la nation et son armée est une image) est entaché de nullité absolue, sans écarter les poursuites pénales, lorsqu’un vice de consentement est constaté, à priori le plus grave d’entre eux, la violence, physique et morale.

Il est vrai que j’ai quitté l’Algérie depuis 1975, nous ne vivons pas dans le même pays, pourrait me rétorquer l’auteur. Je lui répliquerai que nous ne vivons même pas dans la même galaxie. Car il semble oublier des faits objectifs et criminels causés par les grands officiers de cette armée à qui il trouve des vertus protégés par le droit.

Pour lui, silence sur les coups d’Etat, sur les emprisonnements et tortures, voire plus, de dizaines de milliers de citoyens. Nous avons rêvé lorsque l’armée algérienne a tiré sur la foule, lorsqu’elle a mis à genoux un peuple par la terreur. Mensonge que celui d’affirmer que les intellectuels et les journaux ont été muselés et emmurés dans une nasse de pression et de terreur. C’est un mirage que prétendre dénoncer l’abominable emprisonnement de dizaines de journalistes et de blogueurs dans les geôles d’un pays contrôlé par la puissante armée des généraux.

L’auteur fait parfois une digression humoristique comme le titre d’un chapitre « L’armée a assumé son rôle ». J’adore !

Mais laissons l’humour, revenons à la réalité, il semble avoir oublié que le dernier des imbéciles est au courant des immenses fortunes spoliées au pays et partagées par leur progéniture. Tout cela n’existe pas, nous avons fantasmé. L’armée algérienne est dans les clous du droit et agit, selon Ali Mebroukine, en faisant son devoir de protecteur des libertés et de la démocratie.

Alors, l’auteur nous oppose, un à un, les arguments juridiques et sociaux qui portent son raisonnement. Nous y sommes attentifs, tout d’abord par l’article 102. Il nous rappelle, comme à des ignorants du droit constitutionnel, que la mention de l’article ne fait pas état de l’armée comme déclencheur de son application.

Mais alors, pourquoi ne l’avoir pas fait, même illégalement, lorsque l’Algérie était en souffrance d’un homme grabataire, tremblant et bavant sur sa chaise d’infirme, puisqu’elle peut se le permettre maintenant ? Bien entendu, nous ne sommes pas au courant de la colère d’un peuple dans les rues algériennes. Ce ne doit pas être la raison de leur action pour sauver l’Algérie. Ali Mebroukine nous traiterait d’affabulateurs, ces jeunes organisent une fun-parade, c’est de leur âge. Ils sont si contents de cette armée qu’ils sont débordants de reconnaissance, ils veulent la crier à la planète entière.

Et pourquoi ne se sont-ils jamais émus, depuis 1962, d’une armée coloniale qui a terrorisé ce pays et mis au pouvoir un FLN et des présidents marionnettes ? Ali Mabroukine semble ignorer tout cela, l’amnésie est une maladie, pas un crime. L’armée coloniale, c’est celle qu’il défend, par le droit constitutionnel. On n’a jamais vu un despote se juger, se condamner et s’enfermer de lui-même en prison.

Et puis, le pire du pire, ce fameux aggiornamento de l’armée algérienne, celui pour lequel nous avons rédigé des tonnes d’articles pour dénoncer la supercherie. Ali Mabroukine nous rappelle même les dates des sermons par lesquels l’armée a juré, craché, ne plus s’occuper de politique. C’est le moment le plus rigolo de l’article. Et si cela n’était pas aussi grave pour notre pays, j’en attraperai une apoplexie de rire, à en mourir.

Arrêtons là cette mascarade de l’exposé de droit, nous sommes à des millions d’années de ses principes et de ceux de la démocratie. Si vous voulez parler du droit, du vrai, je vous fais face, monsieur Mebroukine. Et faire face, ce n’est pas exactement l’attitude à laquelle sont confrontés habituellement les défenseurs de la thèse légitimant l’armée car, nous, nous étions interdits de parole au pays des généraux.

Comme j’ai promis une certaine courtoisie envers un honorable homme (et promis au rédacteur en chef de m’en tenir à cette courtoisie lorsque je suis violent politiquement), je m’arrête dans l’analyse de cet article stupéfiant.

Monsieur Ali Mabroukine, j’ai écrit des dizaines de fois que lorsque nous étions revenus avec Aȉt-Ahmed, nous avions perdu le combat, non pas à cause de ces guignols en képi, mais parce que la population leur vouait une adoration sans borne, surtout parce qu’ils distribuaient des milliards.

Je ne vous accuse surtout pas de compromission car vous utilisez votre droit d’opinion, sacré pour moi. Je ne suis pas comme ceux que vous défendez, je respecte votre position. Il ne me viendrait pas à l’esprit cette horreur absolue de mettre mes contradicteurs en prison, ce qu’a fait votre armée dont vous trouvez légitime la présence dans le processus de transition. Mais sachez que nous sommes, tout de même, à des milliards d’années-lumière, l’un de l’autre.

Et vous saluer, il se passerait donc des années lumières pour que mon signal vous parvienne. Et même parviendrait-il rapidement, le comprendriez-vous ? Nous ne sommes apparemment pas nourris de la même compréhension du droit.

« L’armée a assuré son rôle », franchement, comme diraient mes anciens élèves de banlieue,  j’ai « kiffé grave! » sur votre humour.

Sid Lakhdar Boumédiene

Enseignant (d’une autre planète)

Auteur
Boumediene Sid Lakhdar, enseignant

 




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