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lundi 13 octobre 2025
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Pr Chérifa Bouatta : « La SARP ce sont 35 ans d’engagement au service de la psychologie en Algérie »

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Depuis 1989, la Société algérienne de recherche en psychologie (SARP) s’affirme comme un acteur central de la psychologie et de la santé mentale en Algérie. Fondée par un groupe d’enseignants-chercheurs de l’université d’Alger (Bouzaréah), l’association a pour mission de développer la recherche, de former les professionnels et de diffuser une pratique psychologique rigoureuse.

Au-delà de la science, la SARP s’engage auprès des populations vulnérables, apportant soutien et accompagnement psychologique dans les situations de crise, qu’il s’agisse des catastrophes naturelles ou des traumatismes liés à la décennie noire.

Ses activités reposent sur trois axes principaux : la consultation et la prise en charge psychologique, la formation des psychologues et la recherche scientifique. La SARP publie la revue Psychologie, organise des conférences, élabore des outils d’évaluation et collabore avec des experts algériens et internationaux pour renforcer la qualité des interventions.

Dans cet entretien, Pr Chérifa Bouatta revient sur les fondements, les méthodes, les partenariats et les défis de l’association. Elle décrit le quotidien d’une institution qui conjugue expertise scientifique, engagement social et action citoyenne, et qui œuvre depuis plus de trois décennies à structurer et promouvoir la psychologie en Algérie.

Le Matin d’Algérie : Quelles étaient les motivations scientifiques et sociales qui ont conduit à la création de la SARP en 1989 ?

Pr Chérifa Bouatta : La SARP a été créée par un groupe d’enseignants-chercheurs de l’université d’Alger (Bouzaréah). Avant sa création, ce groupe se réunissait dans les locaux de l’université pour réfléchir à des projets de recherche, à des initiatives scientifiques… qui pourraient alimenter et enrichir la psychologie en Algérie. Lorsque la loi sur les associations a été promulguée, ce groupe a décidé de créer l’association SARP pour disposer d’un cadre officiel permettant de développer des activités de recherche et de perfectionnement en direction des psychologues et de contribuer au renforcement et à la diffusion de la psychologie en Algérie. Au-delà, il s’agissait aussi d’être un acteur important dans le champ scientifique algérien, d’animer et de susciter, à notre niveau, la recherche en sciences humaines et sociales.

Le Matin d’Algérie : Comment l’association s’inscrit-elle dans le paysage scientifique algérien et quelles sont ses relations avec les instances publiques de santé et d’éducation ?

Pr Chérifa Bouatta : La SARP est l’une des associations les plus anciennes en Algérie. C’est la première association de psychologues algériens. Aujourd’hui, elle est connue sur tout le territoire algérien. Les psychologues et les psychiatres de toutes les régions du pays font appel à nous pour des sessions de perfectionnement dans le domaine de la santé mentale, des tests psychologiques, de la documentation et de l’organisation de supervision. Il arrive aussi que des instances publiques fassent appel à la SARP pour l’expertise de ses membres en matière de santé mentale ou de violences contre les femmes, comme le Ministère de la Santé, le Ministère de la Solidarité, le Ministère de la Justice ou l’ONPPE.

Le Matin d’Algérie : Quels sont aujourd’hui les principaux axes de recherche et d’intervention de la SARP, et comment les priorisez-vous ?

Pr Chérifa Bouatta : La SARP s’articule autour de trois axes principaux :

1. La consultation : accueil des personnes en souffrance et en détresse psychique, adultes et enfants. Il s’agit de soins psychiques, mais aussi d’orientation et de prévention en cas de besoin. La SARP est intervenue aux moments les plus difficiles que notre pays a connus : tremblement de terre de Boumerdès (mai 2003), inondations de Bab el-Oued (novembre 2001), inondations de Ghardaïa (2008). Nous avons également ouvert un centre d’aide psychosociale à Sidi Moussa pour soutenir les victimes de violences terroristes. Les psychologues de la SARP ont assuré les soins psychiques aux traumatisés de la décennie noire — adultes, enfants, familles — et les ont accompagnés face aux difficultés administratives, juridiques et médicales.

2. Le perfectionnement des professionnels : organisation de sessions de formation pour psychologues et psychiatres afin d’actualiser leurs connaissances et pratiques.

3. La recherche : développement de projets scientifiques et études épidémiologiques sur des thématiques sociales et psychologiques, élaboration d’outils d’évaluation et publication des résultats pour enrichir la pratique psychologique en Algérie. Il est difficile d’instaurer des hiérarchies ou des priorités entre ces trois axes, car chacun constitue un pilier essentiel de l’association et de sa mission.

Le Matin d’Algérie : Pouvez-vous préciser le rôle respectif des trois centres (prise en charge psychologique, formation, recherche et documentation) et leur articulation ?

Pr Chérifa Bouatta : Le centre de documentation et de recherche, appelé Le Crédo, dispose d’une très riche bibliothèque à la disposition des étudiants et des chercheurs. Il initie également des recherches, par exemple des études épidémiologiques sur les victimes de violences terroristes, le phénomène de la Harga, ou l’élaboration de tests pour diagnostiquer le PTSD chez l’enfant. Il organise aussi des conférences mensuelles sur des thématiques relatives à la psychologie et à des problématiques intéressantes pour la société algérienne. La revue Psychologie y est également publiée.

Le pôle perfectionnement propose des formations pour psychologues et psychiatres. Une commission formation réfléchit sur l’introduction de nouveaux contenus, se documente et fait appel à des experts étrangers pour se tenir informée des pratiques à l’international. L’axe consultation inclut la prise en charge psychologique et l’organisation d’une journée scientifique annuelle pour réfléchir sur la pratique psychologique en Algérie.

Le Matin d’Algérie : Quelles méthodologies privilégiez-vous dans l’accompagnement psychologique, en particulier pour les femmes victimes de violences ?

Pr Chérifa Bouatta : Il y a plusieurs approches psychologiques qui interviennent au niveau de la prise en charge des personnes en difficulté. Chaque psychologue recourt à la technique qu’il maîtrise et/ou à celle qui lui paraît la mieux adaptée à la population qu’il reçoit. Il n’y a pas de technique imposée. Le psychologue choisit en fonction de sa formation, de son expérience et de ses options théorico-cliniques. Les techniques utilisées sont les TCC, les PIP, l’EMDR, la relaxation et la thérapie familiale. Il n’existe pas de consensus sur la supériorité d’une technique par rapport aux autres. Des séances de synthèse et de supervision regroupent régulièrement les psychologues afin de discuter des cas et des pratiques cliniques.

Le Matin d’Algérie : Comment vos travaux et vos actions contribuent-ils à l’avancée de la recherche en psychologie et en sciences de l’éducation en Algérie ?

Pr Chérifa Bouatta : Difficile de répondre à cette question. Nous espérons que notre travail contribue à la réflexion, à l’enrichissement et à la diffusion d’une pratique psychologique rigoureuse et scientifique, qui outille les psychologues algériens pour l’accomplissement de leur noble mission au service des plus vulnérables.

Le Matin d’Algérie : Quels contenus de formation proposez-vous pour les psychologues et spécialistes ? Comment veillez-vous à intégrer les avancées internationales dans vos programmes ?

Pr Chérifa Bouatta : Nous proposons plusieurs contenus pour les professionnels de la santé mentale : psychothérapies TCC, EMDR, PIP, thérapie familiale, relaxation, outils d’évaluation (tests, échelles, questionnaires…). Nous nous tenons évidemment au fait des développements internationaux. Nous documentons nos contenus, consultons des spécialistes étrangers pour avis, et réfléchissons à leur adaptation au contexte socio-culturel algérien, en gardant un regard critique pour éviter certaines productions commerciales. Nous faisons aussi appel à des institutions internationales et à des Algériens de la diaspora pour enrichir notre travail. Une commission formation valide et propose de nouvelles formations, en tenant compte des besoins de la population algérienne et des contenus produits ailleurs.

Le Matin d’Algérie : La revue Psychologie et vos supports psychopédagogiques constituent des références en Algérie. Comment assurez-vous leur validation scientifique et leur diffusion ?

Pr Chérifa Bouatta : La revue paraît régulièrement. Cela nécessite un travail très laborieux : réunir des articles de niveau scientifique, les expertiser et trouver les financements pour les publier. La revue dispose d’un comité scientifique composé de spécialistes algériens et étrangers et d’un comité de rédaction. La diffusion est difficile, car les lecteurs algériens se font rares. Nous distribuons la revue aux universités, aux professionnels et aux bénévoles de l’association. La SARP publie également les résultats de ses recherches et met à disposition des membres des outils d’investigation. À un certain moment, la SARP s’est proposée comme éditrice et a publié quelques ouvrages, mais faute de financement, cette activité a pris fin.

Le Matin d’Algérie : Disposez-vous d’indicateurs ou d’évaluations permettant de mesurer l’impact de vos interventions auprès des bénéficiaires et du milieu académique ?

Pr Chérifa Bouatta : Chaque fois que nous organisons une activité — perfectionnement, conférence… — nous fournissons aux participants une fiche d’évaluation. En fonction des retours, nous modifions et corrigeons nos actions.

Le Matin d’Algérie : Quels sont les principaux obstacles auxquels vous êtes confrontés (financement, reconnaissance institutionnelle, ressources humaines) et comment tentez-vous de les dépasser ?

Pr Chérifa Bouatta : Nous avons réellement des problèmes de financement, nos ressources sont très limitées, et en tant qu’association, nous n’avons pas le droit de développer des activités lucratives. Notre objectif essentiel est de durer. Notre mission est de contribuer à la formation des professionnels de la santé mentale, de les ouvrir à des problématiques nouvelles et novatrices, et d’inscrire cette profession dans le cadre de principes éthiques et déontologiques.

Le Matin d’Algérie : Quels types de collaborations avez-vous développés avec les universités, centres de recherche ou institutions internationales ? Quels en sont les résultats les plus probants ?

Pr Chérifa Bouatta : Nous avons des partenariats avec plusieurs CHU algériens, EPSP et universités. Nous organisons parfois des colloques avec certaines universités. Nous avons aussi des relations avec des spécialistes d’universités étrangères qui participent à nos formations, à des conférences via Zoom, à l’élaboration de la revue Psychologie, et qui sont membres de son comité scientifique.

Le Matin d’Algérie : Quels projets scientifiques et pratiques envisagez-vous pour les années à venir afin de renforcer la place de la psychologie dans les politiques publiques et dans la société algérienne ?

Pr Chérifa Bouatta : Difficile de parler de perspectives. Il y a pour nous un défi existentiel : maintenir l’existence de la SARP et développer les axes qui la structurent.

Transmettre et diffuser les travaux, les résultats des recherches que nous menons aux professionnels de la santé mentale, aux instances publiques, et rester un acteur vivant dans le champ scientifique algérien.

Entretien réalisé par Djamal Guettala

Biographie 

Chérifa Bouatta est une psychologue clinicienne et professeure des universités algérienne aujourd’hui à la retraite. Spécialiste de la psychologie clinique et sociale, elle a longtemps enseigné à l’Université Abderrahmane Mira de Béjaïa, où elle a dirigé un magistère sur les traumatismes psychiques. Ses recherches portent sur les traumatismes collectifs, les violences faites aux femmes et les rapports de genre. Auteure de plusieurs ouvrages, dont Les traumatismes collectifs en Algérie et Des corps et des mots : Sexuation, genre et violences contre les femmes, elle a aussi publié de nombreux articles et chapitres d’ouvrages consacrés aux effets psychiques de la guerre, du terrorisme et des violences sociales.

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