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Printemps berbère : euphories des années 80 et déboires du XXIe siècle

Printemps berbère

Indubitablement, la date du 20 avril est ancrée en nous. Elle nous rappelle la grande répression de l’Université de Tizi-Ouzou, puis de la Kabylie. Elle nous rappelle aussi le soulèvement de la population qui s’en est suivi. Il y eut quelques avancées telles que la reconnaissance de la langue amazighe (langue nationale et officielle). Des désillusions vinrent cependant altérer le tableau au fil du temps.

La grande victoire de cette date est qu’elle a fait sortir la Kabylie de son « silence », de sa peur, elle l’a faite émerger dans la rue pour braver une dictature anti-amazighe voulant achever son projet d’arabisation et d’islamisation forcées des citoyens. Elle a même débordé la Kabylie pour s’étendre à l’ensemble de Tamazgha. Elle est chaque année célébrée chez les Rifains, les Chleuhs et d’autres régions de Tamazgha occidentale, chez les Guanches des Iles Canaries, chez les Touaregs, et depuis 2011 dans des villages berbères de Tunisie ainsi qu’à Adrar n Ifusen et à At-Willul en Libye. Elle est également célébrée par la diaspora amazighe en Europe et en Amérique du nord. Mais dans toutes ces contrées, le fait berbère est soit frontalement combattu (Azawad), ou insidieusement laminé par les pouvoirs en place.

Depuis plusieurs mois, les Touaregs de l’Azawad mènent un combat existentiel ; l’armée malienne, appuyée par les milices russes Wagner, leur fait une guerre éradicatrice et cela avec le silence scandaleux des médias et de la Communauté internationale. Les Amazighs libyens subissent des difficultés liées aux intrusions de leurs ennemis locaux et font face à différentes tentatives visant à les fragiliser et à les priver de leurs forces pour mieux les contrôler et, à terme, les soumettre.

La monarchie marocaine maintient toujours, injustement et arbitrairement, en prison des militants rifains dont le seul tort est d’exprimer leur ras-le-bol des injustices que la monarchie leur fait subir.

Quant à la Kabylie, elle est tout simplement à terre, bâillonnée. Une terreur ouverte y touche les militants et intellectuels. Ils sont comme paralysés ou inertes depuis les centaines d’arrestations opérées notamment après l’été 2021. Les avocats eux-mêmes, tétanisés, n’osent plus défendre les légitimes causes politiques : ils ont même « admis » un simulacre de « procès » ayant abouti à condamner à la peine capitale 38 personnes en moins d’une semaine.

Comme nous pouvons le constater, la situation des Imazighen n’est ni rassurante ni réjouissante. Et c’est en Kabylie que la situation est aujourd’hui la plus inquiétante. L’environnement étant encore plus hostile que celui des années 1970, le mouvement berbère est devenu zombi. Nous redescendons graduellement vers « moins l’infini ». Le plus dramatique n’est pas tant la haine, la violence ou l’attitude hyper-répressive et totalitaire du régime militaire d’Alger.

Ce qui nous trouble et nous inquiète est la quasi-indifférence et la passivité actuelle du citoyen kabyle qui laisse faire une voyoucratie qui se permet toutes les exactions. Les attitudes irresponsables émanant de groupes nuisibles à la Kabylie et à son combat pour la liberté et la dignité ne doivent pas inhiber la détermination qui doit être celle de tout un chacun pour combattre un régime illégitime et disqualifié. Cette entité illicite sert notamment à broyer les femmes et les hommes qui résistent à la politique d’assimilation par l’idéologie arabo-islamique.

Bien entendu, en cette occasion, nos pensées vont aux familles des victimes de la barbarie commise dans l’Azawad par l’armée malienne et les milices russes Wagner ainsi qu’aux populations civiles qui vivent dans la peur permanente. Nos pensées vont à tout.e.s les détenu.e.s d’opinion en Kabylie et au Rif. Nos pensées particulières vont aux condamnés à mort qui croupissent dans des conditions inhumaines dans les prisons de l’État algérien.

Nous apprenons que les condamnés à mort de Kabylie envisagent de mener une grève de la faim illimitée. Une telle grève pourrait éventuellement secouer l’opinion et obtenir une révision de leur procès avec la présence d’avocats internationaux. Ceci étant, nous sommes sceptiques au vu de la morosité ambiante.

Les grèves de la faim n’ont de sens que lorsqu’un large courant favorable les soutient. À ce titre, nous demandons fraternellement aux condamnés de sursoir à une telle initiative qui risque d’être lourde de conséquences sur leur santé et leurs vies. Gardons toujours à l’esprit que la voyoucratie algérienne est criminelle et n’a aucun respect de la vie humaine.

Nous le savons, notre déclaration se contente de faire le constat, par ailleurs amère, et de dénoncer les exactions et injustices des États. Nous aurions aimé, bien évidemment, formuler des propositions et évoquer des perspectives. Notamment pour ce qui est de la Kabylie. Mais il se trouve que la situation est tellement chaotique et les rangs kabyles n’ont jamais vu une aussi grave division et pareil éclatement. Or les perspectives n’ont de sens que si elles émanent d’initiatives collectives qui engagent les différentes forces et énergies kabyles.

L’avenir de la Kabylie est l’affaire de toutes ses composantes sociales et idéologiques/politiques qui ont le devoir de se mettre au-dessus de toutes considérations pour réfléchir ensemble à la meilleure façon à même de faire face à l’acharnement des barons du régime algérien.

Pour permettre à la Kabylie de renouer avec ses capacités de mobilisation, il est impératif de reprendre la main sur la situation. Les femmes et les hommes de Kabylie ont le devoir d’agir et ne pas la laisser livrée à ses destructeurs, aussi bien ceux de l’extérieur que ceux de l’intérieur.

Tamazgha ,
Paris, le 19 avril 2024.

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