21 novembre 2024
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Procès de Genève : la dernière déclaration de feu Khaled Nezzar

Le général-major, Khaled Nezzar, décédé ce vendredi, a fait la dernière déclaration au sujet du procès qui allait avoir lieu à Genève l’été 2024.

«Le 20 octobre 2011, lors d’un bref passage à Genève, j’ai été interpellé dans mon hôtel par la police suisse. Présenté devant la procureure fédérale Laurence Boillat, j’ai été informé qu’une procédure pénale me visait pour «soupçons de crimes de guerre» dont je me serais rendu coupable pendant la décennie 1990 en Algérie. Les plaintes émanaient alors de deux militants du FIS qui s’étaient exilés en Suisse, l’un et l’autre introduits et soutenus par l’association non gouvernementale TRIAL. Cette dernière était elle-même à l’origine d’une dénonciation à laquelle les deux plaignants se référaient.

Khaled Nezzar, général à la retraite, est mort

Ainsi s’ouvrait contre moi une instruction pénale qui devait durer près de douze ans. Au cours de celle-ci, cinq autres plaignants, tous militants, élus, responsables et même idéologues du FIS, et tous également introduits par TRIAL, se sont joints à la procédure. Par ailleurs, le ministère public de la Confédération a auditionné de nombreux témoins sollicités par les plaignants, qui tous ont exprimé les thèses des officines de l’ancien parti du FIS dissous.

Les hautes autorités politiques suisses ont été parfaitement informées de ce qui s’est produit en Algérie, lorsque les appels à la guerre sainte lancés par le FIS ont plongé le pays dans une décennie de terrorisme et d’horreurs sanguinaires. En outre, le gouvernement algérien avait, par la voie diplomatique, exprimé son refus de l’ingérence et donné au Parquet fédéral toutes les explications nécessaires afin qu’il ne se méprenne pas sur le but politique et l’écho médiatique recherchés par mes accusateurs.

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J’ai été, j’en suis profondément convaincu, victime d’un règlement de comptes politique de la part de mes accusateurs. En ma personne, c’était l’homme tenu pour responsable de l’échec du FIS qui était visé. De fait, la lutte contre le terrorisme islamiste ne s’est pas arrêtée en janvier 1994, date de la fin de mission du HCE et des fonctions que j’ai eu l’honneur d’assumer pour l’Etat algérien. Et de nombreuses personnalités algériennes impliquées dans cette lutte se sont trouvées en Suisse à un moment ou à un autre. Aucune d’elle n’a jamais été inquiétée ni par TRIAL ni par un quelconque militant islamiste.

Le ministère public de la Confédération a pourtant poursuivi son instruction à charge contre moi.

Conformément à mon engagement, je ne me suis pas dérobé. Je me suis présenté aux audiences auxquelles j’ai été convoqué, le 2 mai 2013, le 17 novembre 2016 et les 2, 3 et 4 février 2022.

Je ne me suis pas dérobé parce qu’il m’était difficile de croire que la justice d’un grand pays démocratique puisse se laisser manipuler au point de se prêter à l’entreprise de vengeance qui me visait. Je le croyais d’autant moins qu’en début d’instruction, le procureur général de la Confédération, Michael Lauber, lorsqu’il avait reçu la délégation algérienne de haut rang venue traiter de la question de mon interpellation, avait déclaré à celle-ci : «Informez-nous, nous savons peu de choses de ce qui s’est passé chez vous». J’ai voulu croire que cette demande était formulée de bonne foi et que le Parquet fédéral suisse, lorsqu’il aurait reçu toutes les informations utiles, refuserait de prêter son concours à une manipulation.

Dès le début de l’instruction, je n’ai reconnu aucune compétence à une justice étrangère de connaître de nos torts ou de nos raisons, considérant que si je devais rendre des comptes, ce ne pouvait être qu’à la justice de mon pays, devant laquelle je dirai que j’ai agi selon ma conscience en barrant la route à l’intégrisme, que j’assume mes actes et que j’agirais de la même manière si c’était à refaire. Pourtant, je me suis fait un devoir d’être présent et debout pour affronter mes accusateurs.

Je ne me suis pas dérobé parce que ma dignité d’homme, mon honneur de soldat, l’image de marque du chef de l’armée que j’ai longtemps été, le regard de mes enfants, m’imposaient de faire face et de me défendre.

Je ne me suis pas dérobé, parce que pendant toute la durée de mon ministère, je n’ai cessé de combattre les brutalités ou la torture, les considérant comme des salissures inadmissibles, comme je l’avais publiquement déclaré à l’époque.

Je ne me suis pas dérobé parce que je ne pouvais tolérer que mes compagnons d’armes soient accusés d’être des massacreurs du peuple et des tortionnaires.

J’ai envoyé, sur demande du Parquet fédéral, des exemplaires de mes Mémoires, des livres où je dis pourquoi le HCE a pris certaines décisions, comme l’ouverture des centres de sûreté et combien ces décisions nous ont pesées. Des décisions que le péril imminent rendait nécessaires.

Pour amener le Parquet fédéral à mieux appréhender les réalités algériennes de la décennie 90 et satisfaire ainsi au vœu du procureur général, Michael Lauber, j’ai fourni un mémorandum expliquant le contexte qui prévalait en Algérie au moment où le parti intégriste voulait renverser l’Etat républicain. J’ai présenté des témoins dont certains étaient dans ma proximité pendant des années. Des militaires de haut rang, engagés sur le terrain, sont allés dire comment l’ANP menait son action. J’ai transmis les textes concernant la Charte pour la paix et la réconciliation nationale de 2005, en en clarifiant le sens et la portée. J’ai fait tout ce qui m’a été demandé, parce que, je le répète, j’avais confiance dans la justice suisse.

Malheureusement, tout cela fut vain. L’instruction a continué, à charge.

Ainsi, sur le contexte historique de la décennie sanglante, j’avais sollicité qu’un historien qui soit un universitaire reconnu, rende un rapport scientifiquement sérieux, fondé sur des sources et non pas entaché de biais idéologiques. Le principe de cette expertise avait même été accepté par la procureure fédérale, Laurence Boillat, en début d’instruction et même, un temps, réclamé par les plaignants. Mais cette expertise n’a jamais été conduite, malgré mes demandes. A la place, se sont multipliés des rapports rédigés par la Police judiciaire fédérale, dont les prétendues «sources» étaient des publications parues en ligne, émanant d’ONG activement engagées dans la réhabilitation du FIS et le procès de l’Etat algérien. Ainsi, notamment, un document portant le titre de «Rapport d’analyse concernant les crimes commis par l’Etat pendant la guerre civile et le rôle y relatif de Khaled Nezzar», rédigé par la Police judiciaire fédérale qui, certainement sur mandat du magistrat instructeur, en a orienté les développements et conclusions de manière à épouser en tous points les thèses développées par les plaignants et leurs soutiens.

Ce rapport versé au dossier de l’instruction se fonde en majeure partie, si ce n’est en totalité, sur des sources et références des rapports d’ONG proches de celles soutenant les plaignants (FIDH, Amnesty Internationale, ICG, Algeria Watch) ou de personnes ayant un lien direct avec des tenants de la thèse du «qui tue qui», ceux qui accusent l’armée et les services de sécurité algériens d’être les véritables auteurs des massacres collectifs, des disparitions de personnes et des tortures pendant la décennie 1990 en Algérie.

Le rapport précité affirme, par exemple, qu’«il est incontesté que l’Etat algérien a massivement usé de violences contre les civils lors de la guerre civile des années 1990». Il affirme aussi que «l’Etat algérien était institutionnalisé dans la guerre civile de 1992 à 1999 et commettait systématiquement des crimes d’envergure massive».

L’Algérie, présentée de cette façon, devenait un pays de non-droit absolu. Ses commissariats de police, ses casernes et ses prisons étaient décrits comme des lieux de torture d’où l’on sortait rarement vivant. Cette dérive voulue et assumée par le Parquet fédéral suisse a fait sortir la procédure pénale de son cadre initial. Ce n’était plus Khaled Nezzar qui était visé, mais le ministre de la Défense et membre du HCE confondu, ès qualités, avec l’Etat algérien qui se trouvait de ce fait directement incriminé.

En date du 2 mars 2015, la procureure fédérale, Laurence Boillat, transmet aux autorités algériennes une commission rogatoire. Cette demande d’entraide judiciaire internationale rédigée dans des termes attentatoires à la dignité et à la souveraineté de l’Algérie, a été retournée par le gouvernement algérien sans être exécutée, en date du 19 mars 2019, date anniversaire de la victoire sur le colonialisme français. Ce n’était pas une coïncidence.

Un nouveau procureur, M. Stefan Waespi, a été chargé de l’instruction après le départ, en juin 2015, de Mme Laurence Boillat. Après évaluation du bien-fondé des déclarations des plaignants, lesquels disent, à l’unisson, qu’ils ne me connaissaient pas, qu’ils ne m’avaient jamais rencontré et que, de ce fait, il était difficile de soutenir qu’ils avaient subi des violences de ma part et, à la suite de l’analyse du contexte qui prévalait en Algérie pendant la période sous enquête, M. Stefan Waespi a prononcé une ordonnance de classement au motif que les troubles à l’ordre public qu’avait connus l’Algérie entre 1991 et 1994 n’étaient pas un conflit armé non international, et qu’en conséquence, le ministère public de la Confédération ne pouvait mener une instruction pour crimes de guerre.

Cette ordonnance de classement a été cassée par la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral de Bellinzone, dans une décision du 30 mai 2018.

Lorsque j’ai pris connaissance de cette décision, j’ai compris que la justice suisse m’avait déjà condamné par anticipation et que la suite de l’instruction n’était plus qu’une formalité.

En effet, la Cour des plaintes ne s’est pas bornée à trancher la question qui lui était posée, à savoir si les événements survenus en Algérie entre 1992 et début 1994 entraient dans la définition juridique d’un «conflit armé non international». Elle a rendu un véritable jugement de condamnation à mon encontre. Evoquant des faits allégués de tortures et d’assassinats, dont elle affirmait la réalité, la Cour des plaintes n’a, en effet, pas hésité à retenir qu’il ne faisait «aucun doute» que j’étais «conscient» de tels actes et qu’ils étaient «commis sous mes ordres». A l’appui d’une affirmation aussi grave, pourtant, aucune référence, aucune preuve, sinon les déclarations d’un plaignant qui prétend que je me serais rendu en Allemagne pour y rencontrer un agent des services de renseignements en poste sur place et lui demander d’assassiner deux dirigeants du FIS. Or, ces déclarations fantaisistes sont démenties, à la procédure même, par l’agent en question qui accuse – à tort, je veux le croire – un autre que moi de lui avoir fait cette demande.

On peut ainsi juger du sérieux des accusations que la Cour des plaintes de Bellinzone, se faisant autorité de jugement, a retenues contre moi, alors même qu’elle n’avait pour mandat que de trancher le recours formé contre l’ordonnance de classement du procureur Waespi.

Dans cette même décision, la Cour n’hésite pas à instruire le ministère public de me poursuivre également pour «crimes contre l’humanité» en relation avec de possibles assassinats dont je serais, selon elle, responsable, sans même indiquer qui en seraient les victimes et dans quelles circonstances celles-ci seraient décédées.

Enfin, dans cette décision de la Cour des plaintes, les groupuscules armés – les sinistres GIA – étaient décrits comme «une armée belligérante, occupant des parties du territoire algérien et l’administrant».

Pas une seule phrase, pas un seul mot de compassion pour les horreurs et les dévastations que le peuple algérien a subies du fait du terrorisme islamiste. La thèse de la «guerre civile» accréditait celle qui faisait de ces atrocités, dont l’histoire a peu d’exemples, l’œuvre de l’armée et des services de sécurité algériens.

Il n’a pas été tenu compte des explications, des documents, des témoignages, ainsi que des écrits de la presse qui montraient que l’Etat algérien a toujours été présent sur chaque pouce du territoire national, y exerçant pleinement son autorité, que les GIA n’ont sévi sporadiquement que dans certains quartiers de quelques villes du nord de l’Algérie, qu’ils n’ont jamais eu le nombre de recrues ni possédé l’armement qui auraient pu les poser comme «forces belligérantes» face à l’armée nationale. Ces évidences qui ont fondé la décision de classement du procureur Waespi ne convenaient pas aux juges du Tribunal pénal fédéral bien ancrés dans leurs certitudes.

A partir de février 2022, les charges qui me visent, en ma double qualité de ministre de la Défense et de membre du HCE, sont devenues la «complicité» dans la commission de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Cette «complicité» était un développement inattendu. Jusque- là, j’étais implicitement présumé «auteur principal» des faits allégués par les plaignants. L’incrimination désormais retenue, permettait à la justice suisse de contourner l’écueil de la preuve sur laquelle butait l’accusation. Aucun des plaignants, aucun des témoins à charge, aucun service de police n’a, en effet, pu apporter la moindre preuve de mon implication personnelle dans une exaction, quelle qu’elle soit, ni même que j’aurais seulement été informé d’une quelconque exaction à laquelle j’aurais négligé de réagir. Ce constat avait même arraché, en son temps, ce cri du coeur à la procureure fédérale, Laurence Boillat : «Mais, j’ai un problème moi !».

Pourtant, lors de mon «audition finale» en février 2022, ce «problème» d’importance a été passé sous silence. A cette occasion, on m’a exposé les charges que le ministère public de la Confédération envisageait contre moi. Exclusivement sur la foi des dires des plaignants, ce dernier voyait en moi le «complice» de tortures qu’auraient subies des personnes qui ne me connaissaient pas, par des personnes qui ne me connaissaient pas davantage et qui n’ont d’ailleurs même pas été identifiées par la procédure. On retient aussi que j’aurais sur la conscience les décès d’une douzaine d’anonymes dont les cadavres auraient été ramassés dans les rues de Blida pendant l’année 1993, sans autre précision, ou la mort d’un prisonnier désigné par un simple surnom dans un centre de détention en avril 1993, sans que, je le répète, aucun indice ne puisse laisser croire que j’aurais été informé de ces exactions – si tant est qu’elles aient eu lieu –, a fortiori que je les aurais ordonnées, ou seulement tolérées. A cet égard, le Parquet fédéral suisse est réduit à invoquer les déclarations que j’ai faites à l’époque, dans lesquelles j’appelais à réduire le terrorisme par les armes, pour prétendre que j’invitais ainsi l’armée algérienne à torturer et à assassiner des civils ! Pareille mauvaise foi laisse sans voix.

La nouvelle construction juridique fondée sur mon prétendue rôle de «complice» supposait implicitement la mise en cause, au-delà de ma personne, d’autres personnes qui, au sein de l’Etat algérien, porteraient la responsabilité principale. Toutes les personnes qui ont exercé des responsabilités élevées au cours de la période sous enquête, ainsi que les exécutants sur le terrain, sont visés. En un mot, l’Etat algérien.

En novembre 2022, pressé de me renvoyer en jugement, le ministère public de la Confédération a écarté toutes les réquisitions de preuves que j’avais formulées en cours de procédure, à la seule exception de deux témoins dont je n’ai malheureusement pas pu assurer la disponibilité. Aucun des autres témoins que j’ai proposés – magistrats, historiens, journalistes, avocats, militants des droits de l’Homme et victimes du terrorisme, tous témoins de premier plan de la décennie noire de l’Algérie et prêts à réfuter les mensonges retenus contre moi –, aucun de ces témoins n’a trouvé grâce aux yeux du Parquet fédéral suisse. L’expertise historique indépendante que j’avais demandée a été refusée également, le Parquet fédéral estimant que les rapports de la Police judiciaire fédérale suffisaient à éclairer le contexte des faits.

Mais le mépris des droits de la défense est allé plus loin encore, puisqu’on m’a même refusé la réaudition de ceux des plaignants qui n’avaient été entendus qu’une seule fois au tout début de la procédure, il y a plus d’une décennie, sans que mes avocats aient pu les interroger à décharge sur une base informée. On a aussi refusé de verser au dossier les déclarations faites par plusieurs plaignants dans le cadre de leurs demandes d’asile, alors que ces déclarations concernent les faits mêmes qui font l’objet de leurs plaintes à mon encontre et sont donc évidemment essentielles pour juger de la solidité des accusations portées contre moi.

A cet égard, il faut peut-être conclure de tous ces refus que même le ministère public de la Confédération nourrit de sérieux doutes sans vouloir les reconnaître.

Ainsi, après avoir refusé d’écouter les véritables connaisseurs du contexte pendant la période sous enquête, après avoir refusé de tenir compte des preuves à décharge que mes défenseurs ont fournies, après avoir refusé de réentendre certains de mes accusateurs, après avoir refusé à mes avocats de prendre connaissance des demandes d’asile des plaignants les plus virulents, après avoir longtemps empêché mes avocats d’avoir un accès complet au dossier de l’instruction, après avoir recherché désespérément à travers toute l’Europe d’autoproclamées «victimes du général Nezzar», après avoir blanchi les tueurs du GIA de leurs crimes abominables en les décrivant comme des «groupes d’opposition armée», après s’être aligné sur les thèses des taliban qui voulaient ramener l’Algérie au Moyen Age, après avoir rendu l’armée algérienne responsable des massacres collectifs de populations civiles, le ministère publique de la Confédération a annoncé la clôture de l’instruction et le renvoi de l’acte d’accusation au Tribunal pénal fédéral pour la tenue d’un procès qui, cela ne fait aucun doute, me déclarera coupable.

Ces développements prévisibles sont l’affaire de la justice suisse. Je déclare publiquement que je ne suis plus concerné par ce que ces juges partisans, aveugles et sourds, concluent ou décident. Je ne cautionnerai pas par ma présence le procès politique que la justice suisse a décidé de tenir. J’ai instruit mes avocats de ne pas m’y représenter. Je ne serai jamais l’alibi commode qui permettra de salir l’Algérie, son Etat et son armée.

Et l’histoire jugera.

Le général-major à la retraite Khaled Nezzar 

Cette déclaration a aussi été publiée par le site algeriepatriotique, propriété du fils du défunt Nezzar.

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