Mercredi 11 mars 2020
Procès Fillon: la défense tente de déminer le féroce réquisitoire du parquet
Au dernier jour du procès de l’ancien Premier ministre François Fillon et de sa femme Penelope pour des soupçons d’emplois fictifs de Mme Fillon, la défense a commencé mercredi à plaider la relaxe, soutenant que le dossier est prescrit et s’élevant contre la thèse « simpliste » de l’accusation.
« Il y a une injustice sociale entre ceux qui travaillent dur pour peu et ceux qui ne travaillent pas et perçoivent de l’argent public », déclarait François Fillon en septembre 2012, à Poitiers (Vienne). C’est avec ces mots que le procureur financier Aurélien Létocart a introduit son propos, mardi 10 mars. Un réquisitoire implacable et sévère de quatre heures, au terme duquel les deux procureurs financiers ont requis cinq ans de prison, dont deux ferme, à l’encontre de François Fillon.
Cette sévérité tranche avec la relative clémence dont ils ont fait preuve en réclamant trois ans de prison avec sursis contre son épouse, Penelope Fillon, et deux ans avec sursis contre son ancien suppléant à l’Assemblée, Marc Joulaud. Car leur cible était bien l’ancien Premier ministre. « Du cynisme à l’aveuglement, il n’y a parfois qu’un pas », tacle le magistrat du Parquet national financier (PNF). Le ton est donné.
Le procureur financier ne se prive pas d’évoquer le « statut à part de la classe politique ». Mais les temps changent. Aurélien Létocart salue le rôle du PNF dans ce tournant. Et le voilà qui revient sur la genèse de ce qu’on appelle le « Penelopegate » : les révélations du Canard enchaîné, dans son édition du 25 janvier 2017, et l’ouverture d’une enquête préliminaire le jour même. Trois ans plus tard, nombreux sont ceux qui s’étonnent encore de cette rapidité. François Fillon le premier. « Oui », l’ouverture de cette enquête est « inédite », lui répond Aurélien Létocart. « Non », elle n’est pas « surprenante ». « Il faut évidemment que les faits présentés par la presse soient caractérisés », souligne-t-il. Pour le représentant du PNF, les débats ont montré qu’ils le sont.
Pour le procureur financier, il n’y a pas de doute : les activités de Penelope Fillon dans la Sarthe auprès de son mari député et auprès du suppléant de ce dernier, Marc Joulaud, « relèvent davantage de l’impressionnisme que du figuratif ». Et les documents fournis par le couple pour attester de la réalité de l’emploi de Penelope Fillon n’ont rien changé. Au contraire. « Ils n’ont fait que traduire en creux l’inconsistance du travail », cingle Aurélien Létocart. Il s’exprime d’une voix forte et claire, mais avec un débit rapide. Lance de temps à autre des coups d’œil au pupitre posé devant lui. Et avec ses formules ironiques, amuse par moments le public.
« Venons-en à la clé de voûte de la défense : l’atteinte supposée à la séparation des pouvoirs, érigée comme une muraille de Chine », poursuit le procureur financier, qui demande au tribunal de ne pas retenir une « telle conception ». Pour appuyer sa démonstration, il cite Montesquieu… mais aussi Bruno Retailleau, sénateur LR, proche de François Fillon. Une manière de dire qu’il a toujours l’ancien Premier ministre dans le viseur. « Les assistants parlementaires sont des salariés comme les autres, employés par des employeurs pas comme les autres : des élus de la République qui se doivent d’être exemplaires », déclame-t-il.
La défense contre-attaque
Les six avocats du couple Fillon et de Marc Joulaud, ancien suppléant de François Fillon à l’Assemblée national, plaident au lendemain d’un féroce réquisitoire du parquet national financier (PNF), qui a demandé cinq ans de prison, dont deux ferme, contre un François Fillon « cynique », appâté par le « gain ».
« Au fond », les débats démarrés le 24 février « étaient un peu vains », a attaqué Joris Monin de Flaugergues, l’un des avocats de M. Fillon, devant le tribunal correctionnel de Paris. « Car en tout état de cause, les faits qui vous sont soumis aujourd’hui étaient prescrits ».
Aux yeux de la défense, les délits de détournement de fonds publics ou complicité reprochés aux prévenus, dans le cadre des contrats de Penelope Fillon comme assistante parlementaire entre 1998 et 2013, n’étaient pas « dissimulés » au sens de la loi puisque ces contrats étaient déclarés aux organismes sociaux et à l’Assemblée. Dès lors, le délai de prescription de trois ans commence à courir au moment de ces contrats, pas de la révélation de l’affaire par le Canard enchaîné, donc les poursuites engagées en 2017 étaient trop tardives.
De même pour l’emploi de Mme Fillon à la Revue des deux mondes du milliardaire Marc Ladreit de Lacharrière, dûment déclaré. Mais aucune pièce ou presque n’a été avancé pour cet emploi.
« Si on fait une instruction à l’acide sur un dossier sorti de la naphtaline, on ne fait pas pour les prévenus un procès équitable », a mis en garde l’avocat.
Pierre Cornut-Gentille, l’un des avocats de Penelope Fillon, contre qui le PNF a requis trois ans avec sursis et 375.000 euros d’amende, s’en est ensuite pris à la « thèse manichéenne, simpliste » de l’accusation « comme quoi tout ça, c’est fictif ».
L’avocat s’est attaché à décrire les emplois d’assistant parlementaire pour lequel Mme Fillon a perçu 613.000 euros nets d’argent public: il s’agissait d’être « les yeux et les oreilles de son mari », « d’entretenir entre (le député Fillon) et les électeurs des cantons ruraux une relation personnelle », a-t-il assuré. « Aux yeux d’électeurs, c’est la femme du député, pas un simple collaborateur ».
« Mépris »
Quant au courrier arrivé à leur manoir de Beaucé, « elle l’ouvre, elle le lit, elle le trie », un « gain de temps » pour un député « suroccupé », comme pour les revues de presse qu’elle rédigeait. « Tout homme politique important aime avoir auprès de lui quelqu’un qui ne fait pas carrière, qui est extérieur à ses ambitions politiques », a assuré l’avocat.
Pour l’accusation, Mme Fillon, bien qu’active sur les plans social et culturel, n’était que « l’épouse » du député, pas une assistante parlementaire.
Quant au « nombre réduit » de preuves matérielles du travail de Mme Fillon, brandi par l’accusation, il ne saurait constituer un élément à charge puisque les notes anciennes dont elle se prévaut n’avaient pas vocation à être conservées, assure Me Cornut-Gentille, et que des courriels plus récents relatifs au courrier apportent « la preuve de son implication ».
« Chacun d’entre nous garde des documents administratifs », avait souligné Me Monin de Flaugergues. « Mais personne ne garde dans un local à archives l’intégralité d’un travail passé avec un écriteau +pour le PNF en cas de soupçons d’emplois fictifs+ ! »
L’avocat de Penelope Fillon s’en est aussi pris au « mépris » de l’accusation, qui en la présentant comme la « victime consentante » des agissements de son mari lui « dénie son libre arbitre, son identité »: « C’est d’une violence inouïe ! »
En préambule, sa consoeur Pauline Lambouroud avait attaqué l’Assemblée nationale, seule partie civile. Invoquant les « fautes multiples » de l’institution, son « absence de contrôle sur l’utilisation par le député de son crédit collaborateur », elle a demandé le rejet de ses prétentions financières.
L’affaire, révélée par un article du Canard enchaîné en janvier 2017, avait atomisé la campagne présidentielle de François Fillon, alors donné favori. Depuis le début, M. Fillon a dénoncé une procédure « à charge » et invoqué la « séparation des pouvoirs ». Son avocat Antonin Lévy devrait notamment plaider sur ce point dans l’après-midi.