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Promenade en Simca (*)

Chroniques du temps qui passe

Promenade en Simca (*)

Les putschistes vieillissent mais ne se démodent pas : pour réussir son coup d’Etat de 2004, Abdelaziz Bouteflika ressort donc la formule gagnante de 1965, celle qui lui a servi avec bonheur pour évincer Ben Bella et s’installer au pouvoir durant quinze longues années. Mêmes hommes, mêmes méthodes, même roublardise mais aussi mêmes appellations. « Tu sais que le mot « redresseurs » a été utilisé pour la première fois par le leader chinois Chou En-Lai le 19 juin 1965 en parlant des organisateurs du putsch contre Ben Bella ? » Non, je ne savais pas. Il n’est jamais inintéressant de prendre un café avec Bachir Boumaza. A 75 ans, l’ancien président du Sénat garde bon pied, bon il mais surtout bonne mémoire. Bouteflika attribue donc à Belkhadem un sobriquet hérité de la sagesse chinoise.

Chou En-Lai, privé de la Conférence afro-asiatique qui devait s’ouvrir à Alger en juin de cette année-là, trouvait en effet le moyen d’être plus mesuré que Fidel Castro pour qui « Bouteflika est un homme de droite, un ennemi du socialisme et de la Révolution algérienne, un réactionnaire » (1). Le Lider Maximo faisait déjà étalage de ses qualités de visionnaire. Mais revenons à Belkhadem. Un ministre des Affaires étrangères redresseur. Bizarrement, c’est le poste qu’occupait Bouteflika à l’heure de renverser Ben Bella. Diriger la diplomatie algérienne confère décidément des vertus insurrectionnelles et il n’est pas insignifiant que le Président Bouteflika s’en soit rappelé pour désigner l’homme chargé de faire tomber Ali Benflis.
 Bouteflika se souviendra aussi de l’homme des pronunciamientos : Mohamed Bedjaoui. Le juriste est l’architecte du socle juridique du « FLN bis ». L’idée d’invalider le 8e congrès du FLN, c’est lui. La plainte devant la chambre administrative, celle qui pourrait déboucher le 9 décembre prochain sur ladite invalidation, c’est encore lui. L’habillage légal du prochain congrès des redresseurs, c’est toujours lui. Or, Mohamed Bedjaoui était déjà chargé du même boulot pour le coup d’Etat contre Ben Bella. « Le 21 juin 1965, deux jours après le putsch, j’ai croisé Bouteflika en compagnie de Bedjaoui. Il ne le quittera plus », se souvient Bachir Boumaza. Le juriste des coups de force aidera à mûrir le concept de Conseil de la Révolution dont il trouvera avec brio les justifications juridiques et mariera avantageusement le Dalloz avec le kalachnikov.

Voilà que, quarante ans après, il lui échoit la besogne de trouver un alibi procédurier aux dobermans. Il le trouvera, qui peut en douter ? Il sera toujours temps pour le juriste des missions impossibles de mijoter une confortable Constitution pour son commanditaire, un texte qui enverrait enfin au diable ces petites contrariétés qui empêchent Bouteflika d’être monarque à vie dans une République libérée, à deux reprises, par le sang. La question est cependant autre : à quel prix fomente-t-on, quarante ans après, le même putsch avec le même putschiste et les mêmes hommes de main ? L’heure n’est pourtant plus aux arrogances. Il y a quelque folie à vouloir imposer un orgueil grabataire à une société convertie définitivement aux juvénilités modernes, le droit à la parole ou celui de garder son prof. Voyez nos potaches : ils hurlent déjà colère dans les rues. On n’ose pas imaginer les combats des mouhafadhate si, d’aventure, la chambre administrative donnait raison aux redresseurs. Or, il n’est plus un secret pour personne qu’Abdelaziz Bouteflika cherche à éliminer quelques journaux indépendants de la scène avant la fin de l’année, à briser le dos d’une certaine opposition, à nettoyer la route qui mène au second mandat.

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 A quel prix, Monsieur le Président, assouvit-on de vieilles ambitions de pouvoir ? De 1965, il ne subsiste que vous, Yazid Zerhouni et deux ou trois Simca qui font la curiosité des jeunes quidams. ce combat-là n’est, hélas, pas qu’excentrique. Il est vital même si, et je devine d’ici les objections d’analystes rompus aux joutes du système, tout n’est que luttes internes d’appareils. Oui, mais pas seulement. Le danger, avec l’offensive qu’a choisi de mener Bouteflika contre le pays, ce ne serait pas seulement risquer de retourner à 1965, c’est surtout de rendre 1965 possible, envers et contre tous, envers et contre les poitrines offertes aux balles, les citoyens indignés, les lycéens révoltés, les patriotes révulsés. Une réélection de Bouteflika consacrerait la primauté de la force sur une certaine espérance du droit, légitimerait la primauté des coalitions mafieuses sur les institutions aussi imparfaites soient-elles. Une réélection de Bouteflika, avec les méthodes de la flagornerie et des crapules, serait la preuve que dans ce pays, il ne servirait plus à rien de résister : autant abandonner aux clans des lobbies ce qu’on a arraché à Bigeard et Hattab. Il y a pire : un triomphe de Bouteflika, pour rester dans les références gaulliennes de notre Président, ce serait la victoire de Pétain sur de Gaulle. Cela hérisse sans doute les poils de nos antimilitaristes toujours réticents à voir dans l’Armée un pilier de l’Etat-nation, mais le clan présidentiel est, historiquement, le groupe politique qui a pactisé avec l’ennemi et dont la félonie a été avortée de justesse par les résistants anti-intégristes et les chefs militaires. Bouteflika réélu, c’est la porte ouverte aux déserteurs de la République. C’est Belkhadem au Pouvoir, c’est l’Algérie des héros qui met genoux à terre. Ce serait, oui, la démonstration que la lutte, comme les Simca, sont passées de mode. C’est cela, aussi cela, être pour ou contre le départ de Bouteflika. L’histoire enregistre déjà les réponses de chacun.

M. B.

(1) Le Monde du 29 juin 1965.

(*) Cette chronique est publiée le 03 décembre 2003

Auteur
Mohamed Benchicou

 




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