19 mars 2024
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Quand la médiocrité règne, l’incompétence est une règle, la roublardise une culture

 

Tebboune
L’équipe Tebboune est loin d’être à la hauteur de la situation.

Sommes-nous sûrs de savoir, en Algérie, ce qu’est un Etat et de quoi parlons-nous lorsqu’on aborde la gouvernance ? Personne n’est jamais incompétent, chacun possède à des degrés divers et dans différents domaines des capacités.

Ce que nous savons c’est que la médiocrité règne c’est son droit. Ce que nous comprenons moins c’est que la compétence obéit, c’est génial. L’incompétence des hommes a souvent pour corollaire la compétence des structures, et gouverner par défaut c’est aussi gérer la compétence des hommes et/ou des structures. Les structures élaborées par les hommes conduisent parfois ceux-ci à développer de l’incompétence en les figeant dans des cadres bannissant initiative et faculté d’adaptation. Qui contrôle un gouvernement et comment s’évalue son action sur le terrain ? Qui remet en cause les bilans présentés ? Ce n’est pas de gouvernance politique qu’il sera question ici. C’est la gouvernance au sens de gestion et d’administration qui est abordée dans ce papier. Cette compétence est manipulée de façon à multiplier les routines d’une administration férocement bureaucratique, les dysfonctionnements d’une économie rentière et l’archaïsme d’une culture rétrograde de la supercherie et du mensonge. Pour l’administration, l’incompétence c’est l’impossibilité où se trouve un fonctionnaire de faire tel ou tel acte qui n’est pas de son ressort.

Dans le quotidien, c’est le manque de connaissances pour juger une chose, pour en parler et pour agir. On comprendra que l’incompétence, c’est tout à la fois l’incapacité pour un fonctionnaire de prendre une décision, que l’ignorance qui caractérise l’exercice d’une fonction. Ne sachant pas ce que représente sa fonction, souvent usurpée, il s’érige en mode d’une gouvernance sans « normalisation » des comportements. C’est à dire leur attribuer des règles afin qu’un ordre, ici la bureaucratie comme système d’organisation du travail, soit régi par la règle (M. Weber).

Comment cela se produit-il alors ? La dilution des responsabilités, la non-représentativité des institutions concourent à un sentiment de vide institutionnel et une fragilisation de la société. Lorsque de hauts responsables avancent une décision, puis affirment le contraire, il se produit un effet « dé crédibilisation » des institutions.

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Quelles sont les vertus de l’incompétence, nous en avons dénombré un certain nombre lorsqu’elle est érigée en mode de gouvernance. Parmi lesquels nous comptons les routines administratives comme seconde nature, la gestion des clientèles comme faire valoir, l’incohérence des décisions comme certificat de compétence, la gabegie comme critère de promotion, l’incurie comme vecteur de réussite sociale, l’impunité comme critère par excellence de la responsabilité, enfin le mépris stade ultime de l’irresponsabilité.

Si l’ordre est régi par la règle, il ne peut sombrer dans la dictature des routines administratives qui constituent le virus d’inertie de la bureaucratie. Qu’est-ce qu’une routine administrative ? Lorsqu’on regarde les pratiques de l’administration, on est frappé par les routines incongrues qu’elle s’ingénie à mettre en place pour reproduire l’inertie. Une réforme exige de la rénovation, celle des esprits d’abord, donc des personnes ! Il est contreproductif qu’une personne demeure dans une fonction ad vitam aeternam, de surcroît après la preuve de son incompétence.

Nous vivons dans un système politique qui pratique l’exercice du pouvoir par la rente et qui fonctionne à l’allégeance plus qu’à la compétence. Une gouvernance par allégeance va diriger une administration dans un océan d’incompétence. Un pouvoir qui ne veut (ou ne peut) jouer son rôle de réflexion et de conception, marionnettiste d’une administration impotente, coupé de ses élites (même s’il fait du tam-tam pour mobiliser des élites exilées, oubliant qu’il les a formées, tout en précarisant et marginalisant ses élites locales), n’a d’autre alternative pour actionner ses routines administratives que de fabriquer des clientèles.

Cette fabrique de clientèles l’illusionne du sentiment d’agir sur la société, alors qu’elles sont le paravent d’une société méprisée qui lui tourne le dos fuit ou se suicide Le seul opportunisme de la gouvernance sera tributaire non pas de la promotion de la valeur travail créatrice de richesses ; mais de l’allocation d’une rente à des clientèles nuisibles qu’un euphémisme trompeur qualifie de «mafia politico-financière», alors que c’est une oligarchie prédatrice, corruptrice autant que corrompue.

L’organisation fait la force d’une société. Une politique qui manque de cohérence, programmant une chose et son contraire, contribue à dégrader l’architecture et le comportement de l’administration. L’absence de visibilité, l’insuffisance de prévisibilité et la versatilité des règles de gouvernance, dans l’exclusion des compétences, ne sauraient assurer un fonctionnement cohérent des institutions avec la fâcheuse impression que tout est décidé par un seul homme. Il est crucial d’assurer la crédibilité des institutions par une structuration qui ne soit pas remise en cause entre lever et coucher du soleil, assurant une discipline administrative et un respect des règles.

Il est important d’assurer l’intégrité dans le corps institutionnel et diminuer l’iniquité dans l’appareil administratif. A titre d’exemple d’incohérence, les rémunérations des députés, apparues astronomiques et qui ont pu faire scandale, ne le sont qu’au regard de celles qui sont servies aux directeurs d’entreprises publiques ou aux hauts fonctionnaires de l’Etat. La gouvernance exige la rémunération équilibrée et négociée de chaque partie responsable afin de maintenir son adhésion au système.

Cette pratique incohérente de la rémunération, dans une économie rentière, constitue le principal facteur du génome de la corruption. Et ce ne sont ni les appels à la morale ni la création d’observatoires de la corruption qui stériliseront cette fécondation engendrée par un système qui refuse la question « qui dirige qui et pourquoi  ?». Avec l’embellie financière tout à fois illusoire et réversible, des dépenses publiques sont gaspillées dans le luxe du train de vie officiel de l’Etat et dans les privilèges inutiles des hautes fonctions. L’inconséquence, ajoutée au laxisme du contrôle des crédits alloués, l’incompétence du suivi des opérations bancaires et le nombre d’intermédiaires ont favorisé la prédation et conforté une justice aux ordres, érigeant l’impunité des crimes économiques comme règle de gouvernance. De facto, la corruption de l’administration, voire de la société, devient systémique. Un pouvoir prédateur engendre des fonctionnaires véreux et une administration frauduleuse avec corruption des cadres et exclusion des élites.

La promotion se fera sur le mode du donnant-donnant, dès lors que des sommes colossales inondent les caisses de l’Etat. Les scandales financiers touchant banques, ministères, entreprises publiques, et tant d’autres, ne sont pas dus à de simples dysfonctionnements, mais sont révélateurs d’une culture qui sévit au cœur de l’Etat et constituent la marque de fabrique du système. Aujourd’hui, il est instauré une réduction des dépenses pour rationner la distribution de la rente. Du moins en réduire la part qui revient à la masse. Mais il serait équitable de commencer à réduire le train de vie et les privilèges de ceux qui dépensent sans compter, en toute impunité et sans contrepartie quant à la valeur ajoutée. Le salaire minimum, quant à lui, n’a pas suivi l’embellie et son niveau autorise tous les avilissements. Dans un Etat de droit, la justice s’efforce de ne pas être au service du pouvoir, et les institutions concourent à cela.

« L’échec est orphelin mais le succès a beaucoup de parents» : pas de responsabilité, pas de risque, pas de sanction, pas de relation stable entre l’Etat et le commis. Quand le débat politique est absent, le gouvernement n’entend personne et des auditions de ministres ne rendront jamais compte de la mauvaise gestion. De surcroît, comme ce sont les mêmes qui gèrent depuis des décennies, sauraient-ils remettre en cause leur gouvernance et reconnaître des erreurs.

Quand on n’a pas comptes à rendre sur sa gestion, il devient naturel de n’agir que pour son propre compte, et de ne faire que ce que bon nous semble. L’irresponsabilité crée ainsi la fiction d’un espace public mal géré et bute sur le fatalisme décliné par ces gouvernants sur l’incantation de l’ingérable «Allah Ghaleb !». Si l’on veut se prémunir des dérives du pouvoir autocratique, il y a nécessité de mettre en œuvre des procédures où l’exécutif doit rendre compte de sa gestion. Il n’existe pas d’homme omniscient. Un système d’évaluation fonctionne pour éviter de se tromper, ou du moins se corriger. Les élus du peuple, quand ils existent, font le travail qu’exige leur mandat et ne se contentent pas de bénéficier des privilèges pour flatter le prince du moment.

Il est donc nécessaire de promouvoir l’alternance aux responsabilités. Réhabiliter la fonction de gouvernance dans un pays où, malgré leur échec, rares sont les responsables qui démissionnent, n’est pas chose aisée. Ils ne sont en réalité jamais responsables de leur incurie. On dira : «C’est le système ! ». Slogan qui bannit l’individuation.

L’exercice du pouvoir par la rente produit la corruption du pouvoir. De la même façon que l’avidité des Conquistadors a fait disparaître l’empire aztèque, l’incompétence des incapables fait disparaître les règles de l’administration. Cette impéritie structurelle, provoquant inaptitude des uns et des autres à résorber la crise de confiance, contrecarre la marche des affaires publiques. Face à une autorité qui a la prétention de vouloir tout contrôler, c’est l’improvisation et l’absence de rigueur gui caractérise l’action des gouvernants.

La «règle» des fonctionnaires qui renvoient la responsabilité d’un manquement sur une autre structure administrative entraîne un affaiblissement de la puissance régalienne et conduit à sa déliquescence. Là où la politique est organisée pour cultiver les simulacres institutionnels et les apparences du jeu démocratique, dans un contexte économique verrouillé par de puissants intérêts occultes, il s’instaure le règne du chacun pour soi et dieu pour tous. Chacun assumant sa gestion sans respect pour la chose publique. L’obsession de l’Etat de tout contrôler se traduit par une impuissance à réguler, produisant une anarchie continuelle.

L’administration qui s’est affranchie du plan dans un pays déséquilibré est inconsciente des enjeux stratégiques d’un avenir incertain et porteur de dangers. Face aux crises profondes, ce sont des remèdes conjoncturels qui sont proposés.

La gouvernance en Algérie devra commencer par une rupture dans l’organisation du travail de l’administration et la méthode de nomination des hommes afin de situer les responsabilités de chacun et l’évaluation institutionnelle de l’action gouvernementale. Un changement de système de gouvernance des hommes et des ressources est-il possible ? Nous répondrons par la négative.

C’est un système qui repose sur la négation de la société. Que ce soit dans l’armée ou dans l’administration,  des secteurs éminemment improductifs, nous sommes en présence de dirigeants qui sont des hommes d’appareils ayant fait toute leur carrière dans l’armée et/ou dans l’administration, ils connaissent tous les mécanismes, tous les rouages, toutes les ficelles et dans lesquels les liens de vassalité l’emportent sur les qualités professionnelles.

Des hommes qui obéissent aux ordres et non aux lois. Ils sont constitués de fonctionnaires et non d’entrepreneurs, des gens qui « fonctionnent » et non qui « produisent », des hommes de pouvoir et non des hommes d’Etat. Ils raisonnent à court terme et non à long terme.

Les appareils qui les ont projetés au-devant de la scène n’ont pas pour vocation, de construire une économie productive ou de fonder un Etat de droit mais d’assurer la stabilité et la pérennité d’un régime politique autoritaire et bureaucratique devant résister « aux évènements et aux hommes ». Des appareils étatiques aux soubassements idéologiques affirmées, financés exclusivement par la fiscalité pétrolière et gazière se passant de la contribution fiscale des citoyens comme dans toute nation qui se respecte. C’est la raison pour laquelle, les dirigeants n’éprouvent pas le besoin de rendre compte de leur gestion aux citoyens du moment que les gisements pétroliers et gaziers sont la propriété de l’Etat et non de la nation.

L’Etat étant une propriété privée quant à la nation algérienne, elle reste à définir. Plusieurs courants de pensées se disputent l’hégémonie mais aucun n’a réussi à convaincre. Ils se regardent comme des chiens de faïence, ils n’osent pas affronter le débat de peur de déplaire et de perdre leur estime de soi et mériter le respect de l’autre. Ils sont désarmés face à un débat libre, fécond et novateur. C’est pourquoi, ils s’accrochent à leurs certitudes, à leur camisole. Nietzsche disait « Ce n’est pas .l’incertitude qui rend fou, c’est notre certitude ».

Dr A. Boumezrag

(*) Le titre est une citation de Bihmane Belattaf