La voix de Lounès Matoub a bercé toute mon adolescence. Plus qu’un poète-chanteur, Matoub fut pour moi un symbole de notre identité amazighe millénaire.
Au sortir de la fameuse « grève du cartable » au milieu des années 90, je n’ai d’ailleurs retenu dans mes oreilles que la fibre de sa voix révoltée. Le fan de la J.S.K fut de tous les combats pour le rétablissement de l’identité amazighe usurpée par les troupes de « marsiens » à l’aube de l’indépendance.
Courageux, révolté, visionnaire, le poète a sillonné les quatre coins de la planète, en entonnant son hymne à l’espoir démocratique. Il a cru dur comme fer aux vertus de la laïcité, à la liberté, aux droits de l’homme. « Sans tamazight », il n’y a rien, rien, absolument rien, » chante-t-il dans son dernier opus sorti à l’été 1998.
La guérison de nos racines et l’ancrage dans notre authenticité nord-africaine furent les idéaux auxquels l’enfant prodige des Ath Douala s’est donné corps et âme, sa vie durant. Blessé en octobre 1988 par une troupe de gendarmes sur le chemin qui mène à Aït El Hammam (Kabylie), kidnappé en 1994 par des islamistes de la GIA, puis fauché à la fleur de l’âge le 25 juin 1998, le barde rebelle n’a cessé de clamer haut et fort ses convictions anti-intégristes et anti-militaristes.
Ce fut un militant des causes justes, à l’avant-garde des luttes progressistes. Ce fut notre poète inspiré, sur la voie des grands hommes enfantés par l’Algérie tel l’immortel Kateb Yacine ou les militants amazighs Mohand Harun, Smail Medjeber, Ferhat, Cherifi et les autres.
Le 25 juin 1998, j’avais à peine seize-ans et la nouvelle de son assassinat fut tombée comme tel un couperet dans mon cœur. Je n’arrivais plus à croire qu’un tel résistant soit emporté si vite par des mains de la traîtrise. Matoub Lounès était pour la Kabylie un immense rayon d’espérance, et par-delà sa grande popularité dans les territoires berbérophones, il était adulé partout en Algérie pour son âme patriotique.
C’était, à vrai dire, une voix frondeuse, irrévérencieuse, iconoclaste qui, s’étant écarté des sentiers battus du conformisme, défiait la dictature et ses larbins embusqués dans les rouages d’un système à la fois pourri et valétudinaire, prêt à toutes les combines possibles pour diviser les rangs des Algériens et semer la zizanie parmi ses bonnes volontés.
Matoub Lounès fut un grand espoir et son combat n’était pas local ou régional, mais d’ordre universel. Ce fut un homme d’idées et d’action, pétri dans la pâte du militantisme et des luttes démocratiques. Nul besoin de répéter ici cette interrogation que l’on entendait souvent quand on parlait de lui : « un poète peut-il mourir ? »
Car, le destin du rebelle, outre la dimension identitaire de sa poésie, s’inscrit par ses actions militantes, son riche legs mémoriel digne de celui de Si Mohand Ou M’hand, sa révolte légendaire, ses prises de position on ne peut plus engagées en faveur de la démocratie, dans l’universel. Cet universel qui nous rappelle, à chaque fois, l’immortalité de l’oeuvre poétique de l’Amedyaz kabyle.
Kamal Guerroua