Alléguant que plusieurs nations africaines auraient « expulsé des missions culturelles jugées hostiles à leur sécurité nationale », le provocateur quotidien L’Expression du 14 août 2025 accusait l’İnstitut français d’Alger (İFA) d’être à la fois une base arrière, passerelle, couverture ou façade, en somme un Cheval de Troie conspirant contre l’Algérie.
Nid de traîtres et d’indicateurs, il fonctionnerait contre un pays hôte où, constituant « une question centrale à dimension stratégique », la protection du patrimoine a pour corollaire « la défense de la patrie et la sauvegarde de l’identité culturelle » (Malika Bendouda lors de sa prise de fonction du lundi 15 septembre 2025), se confond avec l’héroïsme et le sacrifice des moudjahidine, la transmission des valeurs de la Révolution et idéaux patriotiques. Telle est l’équation ombilicale que doivent harponner et s’approprier des artistes inlassablement sensibilisés à la restitution des biens culturels par des ministres de la Culture décrétant le patrimoine (auquel un mois est consacré chaque début de printemps, entre avril et mai) socle et enjeu de l’identité ou suprématie nationale.

Sa récupération et mise en valeur constituant dorénavant une question de devoir sacré, le deuxième colloque des efforts de l’État en faveur de sa pérennisation fut organisé (dans le cadre du septième Festival national du costume traditionnel) le 31 août 2025 au centre national de recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques (CNRPH). Ce séminaire solidifiait l’alliance conclue en mai 2025 entre les tutelles de la culture et du tourisme.
L’accord fut signé au nom d’une relance économique durable à mettre au service exclusif du patrimoine, d’une dynamique élaborée en vue d’optimiser au maximum le tourisme saharien et sa clientèle endogène ou exogène. L’investissement dans les ressources culturelles locales devant générer, au titre de la prépotence ou primauté nationale, de la véracité identito-civilisationnelle, il demeurait constitutif à l’émancipation d’une Algérie à destination artistique et cinématographique.
De là, la volonté d’orienter les créateurs et auteurs vers des projets s’enracinant dans les soubassements communs du patrimoine matériel et immatériel, de les doter d’une charte éthique brimant les initiatives de plasticiens et cinéastes de l’art contemporain confrontés en permanence aux censures arbitraires, ingérences bureaucratiques ou administratives, aux omnipotences d’incompétents intervenant, au nom de la bonne lecture socio-historique et de son pilotage centralisé, dans les montages d’exposition et de films, dans le découpage scénique des langages et dialogues cognitifs, dans l’écriture de scénographies et scénarios.
Occupé à veiller au respect des règles légales liées à la pratique des peintres, sculpteurs, photographes, vidéastes, réalisateurs, dramaturges ou performeurs, le Conseil national des Arts et des Lettres (CNAL) chapeaute aujourd’hui le Comité d’éthique de l’artiste tout comme, mais à un degré moindre, l’autorité de médiation et de déontologie de l’activité cinématographique. İl prévient et sanctionne de la sorte les brebis égarées au sein des « (…) méandres d’une mutation multiforme cédant la place à des comportements qui n’ont que peu à voir avec la véritable vocation artistique », avançait début septembre 2025 le ministre de la Culture et des Arts, Zouheir Ballalou.
Profitant de la « Journée de l’artiste » récemment fêtée (chaque 08 juin), il rendait, le 12 juin 2025, hommage au martyr Ali Maâchi, réaffirmait que l’art et le combat libérateur restent inséparables, que le cinéma à agir dans la préservation de la mémoire collective, à jalonner la transmission des repères identitaires. La permissivité de la création étant, d’après lui, incompatible avec les dérives altérant l’essence même de l’art, il y avait donc lieu, en application aux dispositions du décret présidentiel portant statut de l’artiste, de contrecarrer des tentatives néfastes à sa « noblesse originelle ».

L’intégrité disciplinaire ainsi dévolue aux artistes continuera à brider leur liberté d’expression, à maintenir, sous la rigidité des dictats, les entreprises ambitieuses ou audacieuses, à décourager l’émergence de lectures plus nuancées et élargies de l’histoire (celle de l’art, de la Révolution ou des événements politiques).
Alignée sur les injonctions ministérielles ou institutionnelles, la Commission de déontologie de l’artiste a, en conformité à l’enrichissement et l’exploitation touristiques du patrimoine culturel, pour fonction de moraliser les jeunes talents, de les mobiliser en faveur de métiers à cheviller aux valeurs culturelles authentiques. Des symposiums, master class, ateliers et monstrations les sensibiliseront « à la place centrale de l’éthique dans l’acte de création », au respect d’un statut de l’artiste mis « au service des intérêts supérieurs de la nation ».
Également garante de la sécurité culturelle, l’Observatoire national de la société civile (ONSC) soulignera le 30 août 2025, au village des artistes de Zeralda (lors de l’université d’été réunissant, du 29 au 31 août, les associations à caractère culturel), le rôle crucial des partenaires dans le façonnage de l’identité patrimoniale du pays. Une semaine plus tard s’ouvrait à Boudjellil, dans la commune d’İrdjen (daïra de Larbaa Nath İrathen) située à l’est de Tizi-Ouzou, la seconde édition du Festival pour la sauvegarde du patrimoine culturel matériel et immatériel. La première était à mettre à l’actif de Soraya Mouloudji (devancière de Zouheir Ballalou et remplacée par lui-même le 19 novembre 2024) qui insistait (comme ses deux prédécesseurs) le 29 septembre 2024 à Mostaganem sur la préservation du patrimoine, sa défense par les générations montantes et la pérennité d’un legs mnémonique à consolider en tant que rempart de la pureté ou véracité identitaires.
Après avoir supervisé du 09 au 10 juillet 2024 la session extraordinaire de la Commission nationale de biens culturels, la future ministre de la Solidarité nationale, de la Famille et de la Condition de la femme installait le 24 septembre le panel habilité à classer les éléments patrimoniaux en fonction de leur impact sur l’identité nationale et la mémoire collective. Consubstantiel à la commercialisation du patrimoine, à son exploitation comme impulsion du tourisme artistique, l’incubateur des industries culturelles et créatives (dit « İnitiative Art ») était lancé début juin 2024. Celui baptisé le 18 avril 2025 « Moubadara Art » (ou » MoubadArt ») complémentera sa destination proprement socio-économique tant il avait aussi a démontré que les desseins innovants et protecteurs du patrimoine culturel peuvent servir à l’affermissement de l’identité nationale et à rentabiliser les entreprises artistiques. C’est un programme identique (voulu avec l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, l’École supérieure algérienne des affaires, l’Office national du droit d’auteur et des droits connexes) qui avait motivé l’apparition de l’incubateur de l’École nationale supérieure des Beaux-Arts d’Alger (ENSBA). Lancé le 10 mars 2025 par Zouheir Ballalou (alors escorté du ministre de l’Économie de la connaissance, des Start-up et des Micro-entreprises, Noureddine Ouadah, et des représentants du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique), « Artis » projetait de « renforcer et structurer les industries créatives en Algérie », de transformer les idées des plasticiens « en produits et services commercialisables », de devenir l’un des catalyseurs d’une croissance nationale reposant sur l’économie inventive des start-up.
Maître-mot censé décanter toutes les difficultés jusque-là répertoriées, celui de start-up sied d’une part au néo-anglophiles entremetteurs d’une campagne anti-France et d’autre part à un ministre de la Culture et des Arts tout acquis à l’arborescence « d’une économie culturelle et créative en Algérie, d’autant plus que l’industrie culturelle représente un levier stratégique pour la diversification économique et la création d’emplois au profit des jeunes ». Projetant d’épauler ceux de l’institut du Parc Zyriab « dans leur transition à l’entrepreneuriat », il supposait que ce passage à l’étape professionnelle drainerait indubitablement les référents identitaires du patrimoine culturel algérien.
À ses yeux, ce n’est qu’imprégnés de ceux-ci que leurs médiums pourraient émailler le tissu économique, motiver le marché local et international, faire rayonner une « économie culturelle et créative » boostant le PİB des Algériens via des micro-entreprises et start-up capables de convertir « les industries culturelles en une ressource (…) propice aux jeunes talents (…) des Beaux-Arts ».
Celui qui paramétrait la prochaine activité des étudiants fut directeur du programme d’appui à la protection et valorisation du patrimoine culturel. En tant que tel, il coordonnait des projets avec l’ONU, l’UNESCO et l’Union européenne (UE), supervisait des études (dans la wilaya de Ghardaïa) et chantiers (notamment les travaux du mausolée numide d’İmedghassen de Batna menacé par des infiltrations d’eau et éboulements de pierres), interpellait le ministère du Tourisme pour que les jeunes régionaux construisent des gîtes et sympathisent avec les spécialistes des maisons de la culture, musées, cinémathèques ou bibliothèques. Dès sa prise de fonction du 19 novembre 2024, Ballalou incitait les cadres sous sa responsabilité à faire du ministère de la Culture et des Arts (dont il fut le secrétaire général) un « gardien fidèle de la sécurité artistique et intellectuelle, un rempart de la souveraineté culturelle de l’Algérie », la tour de contrôle d’un entreprenariat axé sur « une avancée qualitative dans le processus de soutien à l’innovation artistique et (à sa) consécration », le fer de lance d’un climat favorable à même de jeter « des ponts entre l’art, l’industrie, la créativité et le marché du travail », d’un environnement propice « à la maturation des projets créatifs et à l’obtention de financements ».
L’activité tous azimuts et multidimensionnelle de cet architecte de formation déstabilisera de fonds en comble une école des Beaux-Arts qui n’a plus rien à voir avec l’esprit animant celle de Paris. Réfléchissant en effet plutôt la pensée de l’École nationale supérieure des Arts décoratifs (ENSAD) de la rue d’Ulm, son enseignement repose maintenant sur une assise consumériste laissant croire à des étudiants comparés à des futurs créateurs une réussite sociale garantie puisque stimulée par la transformation manufacturière de leurs idées, par donc le saut quantitatif qu’autorise la start-up (l’octroi de ce label revient à la direction générale de la recherche scientifique et du développement technologique).
Garante de la protection du patrimoine, de l’essor d’une industrie et économie culturelles fondées sur la technologie, l’information et la communication, elle permet (de l’avis du ministre de l’Économie de la connaissance, des Start-up et des mcro-entreprises, Noureddine Ouadah) de tonifier le patrimoine, « d’exploiter notre histoire et d’exporter une bonne image de l’Algérie ».
Première du genre dans le milieu universitaire, celle de l’École nationale supérieure des Beaux-Arts (ENSBA) d’Alger activerait en faveur de « la reconnaissance des arts dans le développement culturel et économique », de la création d’emplois et de la bascule des élèves vers des projets industriels vraiment réalisables. Elle est de surcroît à apprécier comme le ferment « alliant innovation, créativité et savoir», la panacée de toutes les embûches affectant le marché de l’art. İnterrogé sur son état par le journal El Moudjahid du 23 avril 2025, Zouheir Ballalou assertait qu’il était « en train de prendre forme mais qu’il nécessite encore une réglementation pour atteindre son plein potentiel».
Relatant d’un système sommaire, le coopté était convaincu qu’il apporterait tôt ou tard « beaucoup d’argent à l’économie nationale » à partir du moment où ses conventions seront juridiquement encadrées, qu’une « certification des œuvres d’art évitera les contrefaçons (…), les abus et déviations (…) de personnes essayant de vendre des faux tableaux d’artistes algériens célèbres, ce qui peut nuire à la réputation de nos artistes et à la confiance des acheteurs ». La peintre la plus concernée restant Baya, le gouvernement aurait « déjà installé une commission médicale avec la contribution des finances ».
Lutter contre un phénomène touchant de nombreux peintres connus mondialement (à fortiori les ayants droit, acheteurs ou collectionneurs), c’est se doter d’experts en mesure de vérifier la véridicité de toiles à déposer « auprès de l’Agence algérienne pour le rayonnement culturel (qui) joue un rôle clé dans la régulation, promotion et commercialisation du marché de l’art ». Elle serait chargée de surveiller « les fuites de certaines œuvres de grande valeur », d’attester de leur importance, de piloter les plus courantes en direction de la « plateforme de vente en ligne (…) ». İl s’agit là d’un circuit de paiement électronique très peu usité dans un pays où la pénétration d’internet reste faible.
Aussi, il ne facilite ni l’écoulement des médiums de l’art contemporains (ceux inhérents aux chocs perceptifs et conceptuels), ni les imageries de l’orientalisme dont raffole une clientèle prête à acquérir celles que déploie en nombre la dernière génération de peintres. Celle invitée à participer (sous l’égide de la Direction de la culture et des arts) au Salon national de la photographie prévu du 1er au 03 novembre 2025, à la Maison de la culture Malek-Haddad de Constantine, avait comme consigne de « mettre à l’honneur la photographie révolutionnaire et historique, dans le but de préserver la mémoire nationale à travers l’image », écrivait le périodique El Moudjahid du 14 octobre 2025.
Son titre, « La mémoire de l’Algérie à travers l’objectif », laissait entendre que les visiteurs redécouvriront à l’occasion du soixante et onzième anniversaire de l’insurrection armée des « lieux, héros et récits, autant de fragments visuels qui continuent de façonner la mémoire collective ». En ravivant la quintessence du patrimoine ancien et en alliant l’esthétique au sens historique, les photographes (amateurs et professionnels) avaient à documenter les grandes étapes du roman national et à transmettre « aux jeunes générations une conscience révolutionnaire ».
Si des préoccupations similaires motivent les impétrants convoqués à glorifier l’İndépendance du 05 juillet 1962, la plupart des thématiques qui saturent le paysage artistique ont comme point commun la valorisation de la pureté patrimoniale. Elles donnent à des peintres en herbe l’occasion de faire germer des compositions répliquant les minarets, échoppes et porches de vieux bâtis, singeant les venelles ombragées et escaliers pentus de la Casbah d’Alger ou louant une algérienne habillée d’un haïk.
Du 18 au 30 janvier 2025, la galerie Guessoum abritait justement les « Femmes et parfum d’oasis » d’Abdelhalim Selami, soit une trentaine d’essais honorant le « sexe faible » en tant que gardienne du patrimoine identitaire et culturel du Sud, celui d’Oued Righ, Oued Souf, Touggourt, Ouargla, Biskra et Touggourt (sa localité de naissance).
Le diplômé des Beaux-Arts déclinait un substrat culturel issu de broderies, mosaïques, céramiques, portes sculptées et, également certain de « Conjuguer au présent » (intitulé de l’exposition) l’héritage partagé, Nazim Laskri (diplômé de l’École nationale supérieure d’Alger) proposait à la galerie Ezzou’art (du 22 juin au 03 juillet 2025) de perpétuer la mémoire, de transmettre de l’identité collective. Trois semaines plus tôt, la galerie Mohamed Racim décrochait la collection « Trésors d’Algérie » que son propriétaire Badreddine Messigh lui avait confiée (des tableaux d’Algériens et étrangers, comme Ahmed Salah Bara, Suzanne Delbays, Benjamin Pierre Saraillon, Maxime Noire ou Alphonso Birck). Fruit d’une longue pérégrination, elle offrait aux regardeurs férus d’orientalisme un pan méconnu du patrimoine algérien, des « pièces rares, parfois oubliées, souvent dispersées », des scènes de la vie quotidienne en Algérie, la Casbah d’Alger et ses terrasses, des paysages de Laghouat, des mariages traditionnels ou les intérieurs de maisons au style mauresque.
Les mêmes attirances animaient les œuvres que Manel Lynn épanchait, du 31 août au 13 septembre 2025, à la galerie Mohamed Racim. Elle redonnait alors vie aux vieilles pierres de Batna, Souk-Ahras, Tlemcen, Mostaganem, Ténes, Gouraya, Mila, Tipasa et Bou Saâda, réenchantait (par le biais de 36 aquarelles) le ksar Aghlad de Timimoun, l’incontournable Casbah d’Alger et celle de Bejaïa, le Palais de la Djenina ou la mosquée de Sidi Ghanem, le legs architectural et archéologique d’une Algérie soucieuse de son riche passé, celui de l’avant 1830 (la manifestation s’appelant « Patrimoine architectural algérien d’avant 1830).
L’ingénieure en fabrication mécanique fait partie intégrante d’une pléiade d’autodidactes tombant dans la facilité déconcertante d’une approche documentaire s’évertuant à présentifier les monuments et vestiges, édifices ou demeures palatiales que l’on retrouvait presque au même moment (mi-septembre 2025) chez Siradj Bouhafs. Ce natif de Ghardaïa portait au Bastion 23 l’attention sur la palmeraie du ksar, la cérémonie du thé des Touaregs, leurs us et coutumes ou culture séculaire, des habitus que Fayçal Barkat avait précédemment fournis à la galerie Aïcha Haddad du 84 rue Didouche Mourad.
Du 19 au 30 juin 2025, ses trente-six tableaux, majoritairement inspirés des paysages et constructions traditionnelles des diverses localités de Biskra (El Guentra, Chetma, Mchouneche, etc…), laissaient voir la prédominance du blanc sur les façades, l’harmonie des contrastes, ceux d’environnements au milieu desquels coulaient les ruissellements de foggaras (ce système d’irrigation assure la transhumance de l’eau vers les terres agricoles). Persuadé de sentir l’âme profonde de son pays, c’est-à-dire « L’Esprit des lieux » (nom de l’exposition), Omar Saâd plantait un mois plus tard (du 28 juillet au 05 août 2025), et au même endroit (géré par l’Établissement Arts et culture de la wilaya d’Alger), une cinquantaine de travaux affichant plusieurs portes de la Casbah ou explorant, d’Alger à Djanet, la ruralité de paysages et la citadinité de villes dans lesquelles déambulent des femmes en costumes traditionnels. Les portraits de Kabyles parées de bijoux intéressaient davantage Nora Ali-Talha, nouvelle protégée d’un espace étatique décidemment enclin à accueillir « Les expressions du patrimoine et de la nature » puisque, rêvant d’exceller en calligraphie, enluminure et miniature, l’enseignante en informatique faisait apprécier (via une vingtaine d’œuvres déposées jusqu’au 23 juillet) une randonnée menée aux quatre coins du pays, « L’héritage culturel qui est le socle de notre identité ». Plus tôt dans l’année 2025, Bachir Bencheikh (formé à la Société des Beaux-Arts) y validait (du 24 mai au 03 juin) les 26 reproductions de sa ballade champêtre, de ses panoramas de plaines, vallées et montagnes, de ses descriptions agraires ou bucoliques de moissons et récoltes, de ses champs de coquelicots et de blé, de ses laboureurs et bergers en phase avec leur atmosphère méditerranéenne, de ses femmes kabyles revenant de la cueillette pastorale, de ses marines de chalutiers et de barques échouées, de ses échappées urbaines sur la Place des Martyrs et dans les sinuosités des ruelles de la Casbah et de Bab el Oued descendant vers la Baie d’Alger ou l’Amirauté. C’était encore le mode de transmission architecturale qu’Abderramane Kahlane et Maamar Guerziz dévoilaient tour à tour, l’un le 07 mai 2025 à la galerie Ezzou’art, l’autre un jour après à la galerie « Baya » du Palais Moufdi- Zakaria (exposition nommée Filunion). Né à M’Sila, le premier sondait les résonnances de la souche culturelle et cultuelle, humait ce terreau millénaire duquel il extirpait des symboles berbères ou des entrelacs calligraphiques.
Le second livrait quant à lui (jusqu’au 30 du mois) une quarante de tableaux accomplis entre 2023 et 2024, immortalisait un savoir-faire prétendument non colonial, car affiné « avant 1830 ou bien après l’İndépendance » objectait- il au sein du journal El Moudjahid du 10 mai. L’artiste le faisait sans doute pour homologuer le cachet typiquement algérien des villes de Touggourt, Ghardaïa, El M’ghair, Ouled Djellal, Djanet, Djelfa, İllizi, Khenchela, Oran, Mostaganem, Alger, Constantine et Annaba.
Leur mise en relief correspondait au souci premier d’un peintre souhaitant « (…) capturer l’unité et la diversité de l’Algérie, conserver le patrimoine national, le valoriser et le présenter aux prochaine générations ». Son discours se contentait de paraphraser celui répertorié au stade des instances dirigeantes, forcément d’un ministère de la Culture et des Arts plébiscitant un « Voyage au cœur de l’art contemporain algérien » (titre retenu par le quotidien Horizons du 05 septembre 2025). İl s’agissait en vérité d’un méli-mélo de toiles sans cohérence les unes avec les autres, l’important au fond étant surtout qu’elles se marient avec un énoncé invitant à faire contempler « la richesse du patrimoine nationale (…), les multiples facettes de l’identité artistique (…), la richesse du génie créatif algérien ».
Jusqu’au 10 septembre 2025 cohabiteront à la galerie « Aïcha-Haddad » du Palais Moufdi-Zakaria (dans le cadre du programme culturel couplé à la Foire commerciale intra- africaine), la centaine d’œuvres d’une quinzaine d’heureux élus devenus un instant les figurants de « la peinture algérienne contemporaine ». Rappelons ici que le vague terme « contemporain » ne sert pas à désigner en Algérie un travail disruptif en césure avec ce qui a été produit avant 1945 mais récemment finaliser à l’occasion de telle ou telle exposition. Autrement dit, toutes les nouvelles créations ont droit, sans qu’aucune distinction analytique (d’ailleurs inexistante) puisse le contredire, au sceau « art contemporain ». Dès lors, les deux toiles de Samir Osmane, Retour de la caravane et Biskra, la cité Zénète (wilaya de Touggourt) de Bouteba Belkcem ou bien le Vendeur de thé de Maghit Mohamed côtoyaient les motifs post-aouchémites de Karim Sergoua (Mahjoubi Abdelmalek, Djahida Houadef, Ali Koussa, Karima Sahraoui, Tahar Ouamane, Djazia Cherih, Kaci Zahia, Larbi Benatham, Bourahla Yamia, Douali Noureddine et Zerkaoui Abdenour étaient les autres participants).
La fermeture, en octobre 2019, du musée d’art moderne d’Alger (MAMA) et la continuelle politique de capitalisation d’un patrimoine ancien garant de l’identité religieuse du pays ayant largement amplifié la confusion des genres, c’est l’engouement envers la peinture orientaliste qui répond le mieux à la quête d’identité des Algériens. Preuve en est les trois hommages rendus au Belge Édouard Verschaffelt du 11 au 21 décembre 2022, du 14 au 17 avril 2025 et à partir du 09 juin 2025. Étrenné par l’ambassadeur du Royaume de Belgique Alain Leroy (cela en présence d’Ahmed Rachedi, le conseiller artistique et audiovisuel de la présidence), le premier vernissage du Palais de la Culture Moufdi-Zakaria laissait voir une quarantaine de toiles du peintre installé depuis 1919 dans le sud pour poser un « regard authentique, ouvert et sincère sur la société algérienne de son époque, sur Bou Saâda, second foyer et terreau fertile d’inspiration artistique ». Son engouement envers cette cité fait également de lui un pont culturel entre « Les peuples belges et algérien », la concorde protéiforme « (…) de notre passé commun » évoquait avec éloge l’enjoué plénipotentiaire. Les 60 ans de l’établissement des relations diplomatiques entre la Belgique et l’Algérie tombaient à pic pour témoigner d’un attachement algérien, remémorer des reproductions patrimoniales (vie paysanne ou pastorale, climats printaniers, cavaleries, portraits) restituant « Les liens du cœur » et la plénitude de Bou Saâda, ksar où mourut en 1955 l’artiste.
« Le patrimoine culturel algérien à travers un regard belge » fut l’intitulé que choisit (lors du mois du patrimoine, 18 avril-18 mai) le président de l’Assemblée populaire nationale (APN) Brahim Boughali. Réitérant la « volonté de l’Algérie à promouvoir la richesse de ses acquis culturels pluriels et la nécessité de sensibiliser à leur valorisation et préservation, afin de consacrer la culture, l’histoire et l’identité de la société algérienne», il devançait à la chambre basse le ministre de la Culture et des Arts, Zouheir Ballalou, l’ambassadeur de Belgique, Jean Jacques Quairiat, le wali délégué de Bousaâda, Riad Benahmed, la fille de l’artiste, Samia Madeleine Verschaffelt et la commissaire Amel Mihoub.
Des représentants de différentes missions diplomatiques accréditées à Alger, des directeurs de musées, députés et étudiants de l’École nationale supérieure des Beaux-Arts (ENSBA) d’Alger assistaient à « cette exposition exceptionnelle qui célèbre une partie de la mémoire commune entre l’Algérie et le Royaume de Belgique » ajoutait Zouheir Ballalou. Elle honorait un autre citoyen de Bou Saâda où l’exposition du lundi 09 juin 2025 le consacrait de manière permanente au Musée public national Nasreddine-Dinet.
La boucle étant bouclée, la directrice du lieu, Leïla Bouazza, pouvait « mettre en lumière un pan entier de l’histoire artistique de Bou Saâda », Verschaffelt ayant « à l’instar de Nasreddine Dinet, su poser un regard respectueux et sensible sur la culture algérienne, loin des clichés de l’exotisme ». Cachés dans les réserves du Musée, les nus du protégé de Djillali Merhi le resteront à l’occasion de la monstration dite internationale Bou Saâda à travers les yeux des artistes. Elle renouait, du 25 au 29 août 2025, avec l’héritage artistique d’une localité appréhendée en tant que carrefour des arts plastiques, croissement que la présidente de l’association culturelle En- Nour (Madame Nour El Houda Choutla) voulait raviver par le biais des 48 toiles que déplaceront 31 plasticiens de 17 pays. Elle était en cela soutenue par une conservatrice l’assurant de « l’engagement du ministère de tutelle pour le succès de cette manifestation », ministère dont l’une des « pré-voyances » demeure « (…) la mise en exergue des potentialités culturelles et touristiques de l’Algérie ».
La même perspective animait pendant la colonisation les prérogatives de l’Office algérien d’action économique et touristique (OFALAC) qu’administrait le Gouvernement général de l’Algérie. Pour faire de ce pays une destination prisée ou enviée, il éditera des affiches, dépliants, opuscules, magazines, albums photographiques et deux films ventant, dès le centenaire de la Conquête, le voyage idyllique vers l’escale rêvée (parmi les exemples nous retiendrons ici les chroniques « Algérie, terre d’élection du tourisme », « Alger vue par les voyageurs, les écrivains et les peintres » ou « Bou Saâda, cité du bonheur »).

Hormis les campagnes de presse de son service d’information, ses publicités dans les trains et gares (plébiscitant dattes, figues sèches, raisins, conserves de tomates etc….), ses prix, bourses scolaires et missions d’étude, ses foires-expositions et réceptions d’estivants, l’organisme (que dirigera un temps l’écrivain et poète Gabriel Audisio) s’occupait également du Bulletin économique et de la revue Algéria (marque de garantie déposée en 1932). C’est au sein de ce périodique que Louis-Eugène Angeli fit paraître en décembre 1957 (N°52) « Une maison algérienne des artistes. La Villa Abd-El-Tif », article précisant davantage encore les divers propriétaires ou occupants. Ali Agha, le premier de l’année 1715, la vendra pour 350 réaux d’argent à un membre de sa famille, Mohammed Agha, lequel la céda au ministre de la Marine Hadj-Mohammed Khodja. Après la femme d’un secrétaire général de la Régence, elle reviendra finalement en 1795 à Sid Abdeltif, lequel l’acquerra pour la somme de 2000 dinars d’or. Après avoir servi, en 1830-31, de lieu de convalescence aux soldats de la Légion étrangère, c’est au tour de Sid Amoud (ou Mahmoud) Ben Abdeltif de jouir en 1834 (à la suite d’une réclamation envoyée au gouverneur général et au ministre de la Guerre) d’un lieu loué (mille francs l’année) le 24 septembre, et pendant six ans, au juif Mouchi ben Cherebi Boucaya.
Trop humide, l’endroit ne lui convenait pas et il le relouera, seulement deux mois plus tard, à des autorités françaises déboutées le 11 février 1836 (bail résilié pour vice de forme). Récupéré tardivement pour 75.000 francs, le site se dégradait et il faudra donc au bout du bout l’intervention salvatrice de Charles Jonnart pour que des pensionnaires viennent presque continuellement l’habiter. C’est à une partie d’entre eux que (après l’avoir déjà fait en 1990) le Musée national des Beaux-Arts d’El Hamma destina, à partir du jeudi 31 juillet 2025, ses cimaises (conformément au programme estival « Pour la mémoire d’un site »).
İl lui fallait alors ressortir des réserves les peintures, sculptures aquarelles, gravures, esquisses et médailles des boursiers Léon Cauvy (ex-directeur de l’École nationale des Beaux-Arts d’Alger), Paul Élie Dubois, Pierre Brandel, Pierre-Marie Poisson, Albert Pommier, Eugène-Louis Corneau, Étienne Bouchaud. Paul-Charles Ragueneau, Maurice Boitel, François Fauck, André Beaucé, Jean Chabot, Jean-André Cante, Jack Chambrin, Charles Bigonet, Camille Leroy et Marcel Damboise. Distribuées entre le grand hall d’entrée ou vestibule « Bachir-Yelles » et les salles « Hacène-Benaboura », « Baya » et « Azouaou- Mammeri », les soixante œuvres répertoriées pointaient la focale sur des artistes épris d’une atmosphère affective. « Peintres étrangers inspirés par l’Algérie » fut d’ailleurs l’intitulé que publia, depuis le 16 août 2025, le tabloïd El Watan. Ses zooms suivants du 24, 26 et 27 août, du 01, 06, 16, 18, 20, 23 et 28 septembre puis du 15 et 21 octobre dénotaient la prégnance effective de l’orientaliste chez des Algériens trouvant du côté de ses protagonistes leurs satisfactions et quiétudes identitaires.

Aux scènes de vie rurales ou villageoises (cueillette en Algérie, Femmes kabyles décorant des poteries, Femmes autour du bassin, Femme de Ouled Naïl), animalières (La bergère donnant à manger à une chèvre, Odalisque aux gazelles) et paysagères (Scène de Palais) de la française (née à Tizi-Ouzou) Yonne Kleiss-Herzig succéderont, au fil des trois derniers mois, les scènes d’intérieur (La fileuse, La veillée, La préparation du couscous, En famille devant la cheminée, Enfants écoutant une conteuse orientale), panoptiques (Le Souk, Fantasia), personnalisations ou portraits (La femme au moulin. Bou Saâda, Jeune garçon au tarbouche, Jeune berger, Portrait de jeune femmes aux bijoux, Portrait d’homme d’Afrique du Nord) du Belge Édouard Verschaffeld, le café maure (Au café), marchés (Marché arabe à Bous Saâda, Scènes de marché) scènes de vie ou de genre (Vue d’un harem, Jeune beauté orientale, Orientale au sarouel rouge, Odalisque et ses servantes, Jeunes algéroises dans leur intérieur, Musiciennes à Alger, Jour de fête à Alger, Réunion familiale à la campagne) et proche horizon (Vue de la place du gouvernement à Alger) du tchèque Oscar Spielman, les paysages (Les gorges d’El Kantara, Le pont suspendu de Constantine, Effet du soleil couchant) et personnages (Bédouin du désert, Jeunes se baignant dans la baie d’Alger) de l’Espagnol José Garcia Ortega, les figures (Portrait d’une jeune berbère, La belle orientale, Fathma) et représentations (Vue sur la baie d’Alger, Barques à l’amirauté d’Alger, Maison mauresque à Alger), les caravanes (La caravane), ravitaillements (Le marché à Biskra, Fondouk), poses (Femmes au campement, Campement à Souk Ahras, Halte au bord de l’oued), images animalières (Berger de moutons, Bergères trayant leurs brebis ) et oasis, puits ou points d’eau (Oasis de Bou Saâda) du fécond (350 toiles) Russe Gaspard de Toursky (enterré en juin 1925à Souk Ahras sous le patronyme Abderrahmane Labied), les villages et aspects urbains-marins (Village kabyle, Koubba sur les hauteurs d’Alger), vues côtières et panoramiques (Matin sur Alger, Vue de la ville et baie d’Alger, Vue plongeante sur Alger, Vue du port d’Alger, Alger-le port, La baie, La baie d’Alger, La baie d’Alger, vue de Notre-Dame d’Afrique) de l’Algérois et Français Roméo Charles Aglietti, les abris Taouregs (Tente d’Akamouk Aménokal du Hoggar, Campement au pied du mont Akarakar, Campement au Hoggar) et descriptions naturelles ou humaines du Hoggar (Le Hoggar, Femme noble du Hoggar, Joueur de flûte) du Bourguignon Paul Élie Dubois, les environnements de Biskra (La récolte des dattes dans l’oasis de Chetma, L’Oued Chetma en été, La rivière d’El Kantara) et femmes du sud (Ouled Nail de Souskra, La fileuse) de l’Aveyronnais Maurice Bompart, les indigènes féminines (Algériennes autour de la fontaine, La conversation, Jeune femme au puits, Portrait d’une belle algérienne, Marchande fleurs dans la Kasbah d’Alger) du Narbonnais Jean-Raymond Hippolyte Lazerges, les sujets champêtres, d’où le surnom de « Peintre en herbe » (Rentrée des troupeaux au campement, Après la récolte, L’aire de battage, Les moissonneurs) et espaces ou déambulations (Caravane longeant l’oued, Bergère sur un chemin côtier, Le mont Eydough, La vallée du ruisseau d’or, La rivière blanc à El-Kantara) de l’ex-Bônois Antoine Gadan.
Les deux dernières redécouvertes du 15 et 21 octobre 2025 se limitaient à l’Ouest algérien (Côte rocheuse à Mostaganem, Le soir au cap Falcon-côte oranaise, Soir à Sidi-Bel- Abbès, Dans la médina Meknes, Loin de la ville-Oran, Environs de Tlemcen) de l’İtalien Bono Primitif et aux déambulations sahariennes de Gustave Guillaumet que nous avons auparavant commentées.
Puisque l’orientalisme pictural semble bien perdurer en Algérie comme la référence majeure, pourquoi donc ne pas mieux l’interpréter par le biais d’exposition thématiques (sur les marines, bords de mer, paysages typiques, couchers de soleil, sensations d’atmosphères ou combinaisons chromatiques) et des cours d’histoire de l’art basés sur la monographie des « Abdeltifs » ?
Cela aurait pour point positif d’accoutumer les publics à voir autres choses que des ersatz de mauvaises factures. Certains envahiront le Salon national des arts plastiques Abdelkader Guermaz qui en se distinguant « par la richesse des styles et la profondeur des messages portés (…) offre au public un panorama éclatant de la création contemporaine » soutenait le journal El Watan du 22 octobre 2025. En guise de satisfactions, la Maison de la culture Abou Rass Ennaceri de Mascara livrait, dès le lundi 20 (et jusqu’au 22) les peintures, sculptures et miniatures de 21 interpellés parés pour se confronter au vague thème « L’art plastique, phare des civilisations ».
L’introduction dialogique laissant la porte ouverte à nombre d’articulations esthétiques, Ahmed Djahlat investira le creuset identito-mnésique du peuple algérien en fixant les regards sur la culture bédouine, la fantasia et la figure historique de l’Émir Abd-el-Kader. Venue de Biskra, l’architecte Yasmina Bouguern déroulera Le Tissu de la mémoire et L’esprit de la Casbah (nom de ses deux œuvres) pendant que, arrivée quant à elle de Tiaret, sa consœur Aya Keroun versera dans le travers stéréotypé de sujets accolant, sans lien nominatif, les quatre médiums La Moudjahida (dédié à la résistante Hadja Mahdjouba), L’innocence de la Palestine, Personnage de Oued Souf et Le tailleur. Originaires de Béchar, Mohamed Saadoudi et Abdelkrim Houri se penchaient de leur côté sur la cause palestinienne et les hérédités sahariennes. Récemment entrés dans le champ artistique, ces deux compétiteurs pensaient que leur reconnaissance comme créateurs viendrait mécaniquement dès lors où ils se faisaient les vulgarisateurs de la ligne politique du pouvoir militaro-autocratique et les « acteurs essentiels du patrimoine national».

Revenant, le 26 octobre 2025, sur cette 17 édition, le quotidien L’Expression, connu pour être l’un des principaux transmetteurs francophones du pouvoir, pondra un article insistant sur « Le rôle des arts plastiques dans la valorisation du patrimoine » ou leur « importance dans la promotion du riche patrimoine culturel algérien ». Clairement circonscrite au plus haut niveau de l’État, la mission dévolue aux artistes algériens est belle et bien de formaliser la feuille de route patrimoniale conduisant à un cul de sac : à la portion congrue de la création.
Contraints, sous l’œil inquisiteur du Conseil national des Arts et des Lettres (CNAL), de satisfaire au cahier des charge, de le remplir pour se mettre au diapason « des intérêts supérieurs de la nation », peintres, sculpteurs, performeurs, vidéastes ou photographes sont toujours enfermés dans le statut restreint d’animateurs culturels. Vouloir le dépasser, en s’en remettant par exemple au geste, conceptuellement insaisissable, de Marcel Duchamp, c’est de facto se faire rappeler à l’ordre par le Comité d’éthique de l’artiste (ou, en ce qui concerne les acteurs, à l’autorité de médiation et de déontologie de l’activité cinématographique).
Sa Charte conditionne les artistes à demeurer les porte-paroles du discours politico- essentialiste ou idéologico-passéiste, à cautionner les imageries et stratifications traditionnalistes de l’ « art patrimonial ». À ce sujet, l’Agence presse service (APS) donnera (ce même 26 octobre 2025) la parole au dénommé Sofiane Ayadi, de la wilaya d’Alger, convaincu en la circonstance que « les arts plastiques constituent un domaine artistique permettant de faire connaître le patrimoine matériel et immatériel à travers des toiles racontant les coutumes et traditions de notre société, tout en révélant les nombreux sites archéologiques et historiques que recèle l’Algérie (…) notre pays (étant) un véritable musée à ciel ouvert, riche en trésors archéologiques et historiques, offrant ainsi aux artistes plasticiens un large espace pour contribuer à la promotion de cet héritage authentique ».
Encouragé à également devenir le VRP ou commercial touristique de l’ « art patrimonial », Mohamed Rachou, de la wilaya de Tissemsilt, mentionnera (toujours à l’APS) que « les arts plastiques peuvent servir à faire connaître et à promouvoir le patrimoine culturel riche de l’Algérie ». Se consacrant similairement au legs ancien et spécifique de sa région, Siham Adjimi, de la wilaya de Sétif, martèlera dans la foulée que la peinture joue « un rôle majeur dans la mise en valeur et la diffusion du patrimoine culturel, qu’il soit matériel ou immatériel ».
Chambre d’écho de l’écosystème politico-médiatique, la nouvelle génération d’artistes est, comme les précédentes, dans son ensemble chevillée au corpus iconographique de l’orientalisme pictural. Elle l’imprime et le divulgue à outrance, de manière pour ainsi dire systémique, puisqu’il s’agit de saupoudrer le champ culturel des ingrédients visuels d’une identité conjointe à partager au nom de la paix sociale obtenue en 2000 via la Concorde civile. Déroger à ce principe, le dévoyer, c’est être rejeter de la communauté des bons croyants, c’est quitter le navire pour faire escale dans les ailleurs d’une production plastique qui ne peut désormais plus trouver ses justifications au Musée d’art moderne d’Alger (MAMA).
Depuis six années (depuis donc sa fermeture), aucun ministre de la Culture n’a dénié s’étendre sur sa situation. Que va-t-il devenir ? Telle est l’interrogation que se posent celles et ceux en demande d’un véritable espace de visibilité et d’ambitions « consécratoires ». Convoitant l’échelon supérieur de l’acceptation internationale, ils cherchent le terrain et tremplin de leur reconnaissance d’artistes-créateurs, statut indissociable d’une éthique de singularité difficilement identifiable et acceptable en Algérie.
Bien que « Les Ateliers sauvages » tentent à Alger de combler les manques structurels et vides conceptuels ou analytiques, le programme épisodique de ce lieu niché au fond de la cour d’un immeuble de la rue Didouche Mourad suffit à peine à satisfaire une petite population d’intéressés. Son mode de fonctionnement et de financement (il reçoit des subsides provenant de l’Union européenne et des réseaux diplomatiques), n’arrive évidemment pas à dissiper les effets coercitifs et délétères de l’aporie intellectuelle décrite plus haut. Le lapidaire enseignement dispensé en histoire de l’art à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts d’Alger (ENSBA) ne peut lui- même en rien compenser la béance intellective séparant les exécutants algériens des interlocuteurs occidentaux, pas davantage fournir la scène artistique locale des réels baroudeurs de l’expression innovante. À l’écart des pratiques et réflexions de leurs homologues européens, les mordus de l’ « art patrimonial » puisent en Algérie dans le répertoire ou portfolio du voyeurisme ethnographique, catalogue au crédit illimité qui les cantonne dans l’arrière-plan des cités du sud, de la vallée du M’zab ou de quartiers à matelots aux rues pavés, dans les séquences de femmes déambulant parées de bracelets, fibules ou colliers, d’enfants habillés de lambeaux et marchant, pieds nus, d’hommes en prières, bivouaquant proche d’un oued ou dormant sous des tentes.
Avec les schématisations de cet orientalisme tardif, finis donc la délicatesse de soieries transparentes, le raffinement de harems aux murs tapissés de diaprures, l’entrée sournoise dans les intimités érotico-exotiques de sultanes aux mœurs cloîtrés. Place aux spatialités des monts kabyles et du Sahel, aux plaines dépouillées, aux terres verdoyantes coupées d’un horizon aquatique, aux rusticités de casbahs et mausolées immaculés de blancheurs.
La rémanence de l’héritage figuratif des « Abdeltifs » pèse dans le cerveau formaté de celles et ceux affectionnant les virtuosités de l’académisme d’exécution. Persuadés que les chromos de ces pensionnaires servent à consolider la cohésion iconique d’une identité autarcique ou analogique, les décideurs algériens plaident en faveur de l’utilisation à grande échelle de leurs cachets ou griffes artistiques, de leur acclimatation dans les réseaux économiques du tourisme culturel, cela aux dépens du marché de l’art professionnel qu’envisageait de redimensionner en 1985 l’Algérois Mustapha Orif.
Se plaçant alors en tant qu’ « intermédiaire transparent », ce galeriste voulait structurer le marché primaire et le distinguer de celui dit secondaire dans lequel a officié le milliardaire Djillali Mehri. L’intérêt de ce collectionneur fortuné pour l’orientalisme, plus spécifiquement celui d’Étienne Dinet, et le circuit fluctuant des « Faiseurs d’images » avait pour corollaire son affection pour les règles classiques de l’art (figuration, rationalité des images, perspective ou profondeur, illusion du volume, narration historique etc…), pour un type de représentations que les abstraits locaux banniront. İls ne le feront pas par l’approfondissement du processus transgressif inhérent à l’art contemporain (puisqu’ils lui sont aussi étrangers que les « Abdeltifs » étaient détachés des chamboulements esthétiques enclenchés en Europe à la fin du XIXᶱ puis au début du XXᶱ siècle) mais en revendiquant l’appropriation d’archétypes qu’ils diront appartenir au substratum universel ou en adoptant les touches empâtées et surchargées des informels expressionnistes de la seconde École de Paris.
L’intention liminaire du commettant Orif fut d’étayer la cote de ces « Modernes ». Annexé au marqueur métonymique (il baptisa son espace « İssiakhem »), son curseur économique participera concomitamment à la distinction d’artistes à consacrer comme maillons de la chaîne historique, à installer l’échelonnement de leur paternité symbolique et singularité esthétique, à faire savoir à la « fraction avancée » de la société (érudits ou potentiels collectionneurs) sur lesquels d’entre eux il fallait dorénavant miser ou investir. En crédibilisant leur valeur artistique par le biais de catalogues de bonne facture, le gérant du lieu (situé sur l’avant-dernier étages de l’Office Riadh-el-Feth) intervenait positivement dans l’homologation d’ « Avant-corps » déclenchant la production ou transmission d’un univers endocentrique, donnait une consistance à leur montée en objectivité, satisfaisait à leur prétention de précurseurs ou pairs, répondait à une attente de classement social. Tout cela calmait les luttes endogènes de positionnement, donnait une assise aux clauses et modalités du protocole marchand et augurait des transactions plus saines au sein de la communauté de goûts éduquée à l’accaparement intimiste d’une œuvre.
Les règles du jeu veulent effectivement que tout galeriste digne de ce nom délivre un certificat notarié pour chaque toile cédée. L’agrément est encore plus indispensable lorsque le peintre envié ne possède pas de nomenclature résonnée de sa production. C’est ordinairement le cas en Algérie ou, souvent confidentiels ou souterrains, les rapports artiste-acheteur s’opéraient hors de tout cadre législatif, s’accomplissaient sans satisfaire aux obligations fiscales auxquelles toute vente d’œuvre est normalement soumise. On avait à faire là à un commerce clandestin, dit « commerce en chambre », à un circuit parallèle fait de tractations et d’échanges interlopes, des artistes livrés à eux-mêmes négociant en catimini des toiles dont on allait assurément perdre à jamais la trace, faute donc de certificats et de procédures de dation en paiement.
Freiner le développement anarchique du marché de l’art, faire de celui-ci une profession non plus artisanale mais libérale, une activité de service exercée en plein jour et de façon déontologique, telles était les prévalences d’un commissionnaire prêt à sécuriser un secteur moribond et embryonnaire, à élargir le champ de l’offre.
Seulement, en prorogeant les ateliers « Martinez » et Mesli » sans leur adjoindre ceux plus innovants de plasticiens étrangers ou algéro-européens baignant dans les mouvances de l’art contemporain, l’École nationale supérieure des Beaux-Arts (ENSBA) d’Alger (aménagée en octobre-novembre 1985) perpétuera les mêmes discours sur la « plongée fanonienne » et la récupération du patrimoine antédiluvien. Après le premier lot des revenants de l’École de Paris, Orif épuisera très vite celui des diplômés des « Art-Décos » et des « Beaux-Arts » (Hellal Zoubir, Sampta Benyahia, Salah Malek, Akila Mouhoubi) de la capitale française ou de Marseille, se retrouvera dans l’impossibilité d’amplifier, gonfler, étendre ou diversifier l’initial potentiel.
Du trio Ali Kichou, Abderrahmane Ould Mohand et Larbi Arezki, seul ce dernier restera à Alger pour proroger le sillon du groupe Aouchem (tatouage) et apporter de la plus- value à son déjà-là esthétique. Aveuglé par de fausses certitudes et les ambitions égotistes de quelques adhérents, Mustapha Orif n’a pas su déceler en lui la locomotive d’un néo- primitivisme pictural teinté de soufisme, négligera pareillement les préciosités miniaturisées de Noureddine Ferroukhi ou encore les ténébreuses férocités d’Abdelouahab Mokrani.
La tragédie de ces trois Algérois est sans doute de ne pas avoir pu profiter d’un terrain propice à leur éclosion artistique, épanouissement qu’ils étaient en droit de concrétiser via le prometteur Musée d’art moderne d’Alger (MAMA). Or, décidée uniquement dans l’optique de satisfaire à la manifestation diplomatico-protocolaire Alger, capitale 2007 de la culture arabe, cette institution culturelle n’avait à sa genèse pas pour projection de monétiser la réussite des plasticiens qui comptent, d’échelonner leur admission à partir de rétrospectives ou scénographies démonstratives. De plus, les redondances pédagogiques de l’École nationale supérieure des Beaux-Arts (ENSBA) d’Alger (institution davantage acquise au décoratif design qu’aux développements de l’esprit critique) déboucheront sur des productions picturales stéréotypées ne concourant pas à renflouer le MAMA en nouveautés. Résultat des courses, la fermeture en octobre 2019 d’un endroit dont les ordonnateurs n’ont jamais jugé utile de déterminer les réelles missions.
L’une d’elles aurait été de baliser, via quelques majeures monstrations thématiques, une pertinence historiographique. C’est donc pour cela que nous préconisons, suite à la création du comité initiatique « Pôle Histoire de l’Art Algérie : Récupération, Exploitation, Synthétisation » (PHAARES), de travailler de façon interactionnelle pour, avec l’aide active de chercheurs européens, proposer des publications ne ramenant plus l’entendement artistique à Juillet 1962 mais à l’apparition de l’orientalisme en Algérie. Prenant en considération l’engouement pour ce genre d’ethnographie visuelle, notre élargissement historique rassemblera deux temporalités afin de remplir le vide des carences ou incomplétudes cognitives.
Nous interpellerons pour cela le docteur en histoire de l’art contemporain, Nicolas Schaub, en raison notamment de son ouvrage Représenter l’Algérie. İmages et conquête au XIXe siècle (publié en 2015 aux éditions du CTHS), Marion Vidal Bué (autrice de L’Algérie des peintres, Alger et ses peintres1830-1960 ou Les peintres de l’autre rive, Alger 1830-1930, ouvrage écrit en collaboration avec Marie Valet) et Élisabeth Cazenave (diplômée de l’École du Louvre, docteure en histoire de l’art et présidente de l’association Abd-el-Tif).
Pensant qu’il est préférable d’avoir à faire aux originaux plutôt qu’à des copies, nous irons également à la source de l’orientalisme tardif et découvrirons (grâce aux écrits de deux femmes pieds-noires), les gravures de Jacques Houplain. Ces deux filles, Titia et Jacqueline, veillent aujourd’hui sur la prolifique production d’un père ayant assumé les cours d’histoire de l’art à l’École nationale supérieure des Métiers d’art et Arts appliqués de Paris. Membre de la « Jeune Gravure contemporaine », de la « Société des Peintres Graveurs Français », du « Salon d’Automne », de « Pointe et Burin », « Gravure Passion », « Le Signe et la Marge » et « Artistes à suivre », l’ex-résistant illustrera en 1959 de 20 eaux-fortes le livre Noces d’Albert Camus. Boursier de la Villa Abd-el-Tif entre 1949 et 1951, il y réalisa en 1950 les gravures, La Villa Abd el Tif, Les orangers de la Villa Abd el Tif, Verger à Tipasa, Tipasa le mulet blanc ou Le Père Warinp (le patron de l’Hôtel du rivage à Tipasa où se retrouvaient les pensionnaires algérois). Les quelques titres cités ici démontrent qu’un travail assidu en histoire de l’art facilitera le montage d’expositions thématiques prenant comme modèle architectural la Villa Abd-el-Tif (que peigna aussi Maxime Noiré) ou en exemple les marines d’Albert Marquet (Port d’Alger, la Douane ou l’Amirauté, Le Port d’Alger 1, 2, 3 et 4, Port d’Alger dans la brume, Le Port d’Alger après l’orage ou La Baie d’Alger), de Jean-Aimé-Roger Durand (Le Port d’Alger) ou de Louis Bernasconi (Port d’Alger 1 et 2, La Baie, vue sur Alger). Jean de Maisonseul (le premier directeur, après l’İndépendance, du Musée national des Beaux-Arts d’Alger) allait lui-même dessiner au port pour, avouera-t-il au peintre-écrivain René-Jean Clot (propos rapportés par Jean-Pierre Bénisti, fils du peintre et sculpteur algérois Louis Bénisti), faire « (…) le portrait de ces dockers tout noirs de charbon, (…) les place(r) au milieu d’un paysage de bateau et de mer ».
Les autres exécutants du port d’Alger seront Jean et Étienne Bouchaud, Louis Fernez, Pierre Famin, Charles Brouty, Armand Assus et Louis Bénisti qui au sujet des œuvres d’Hacène Benaboura déclara que « Dans sa naïveté (il) avait une manière tout à fait vraie et tout à fait charmante de représenter la qualité subtile de l’eau du port d’Alger. L’eau du port d’Alger à cette époque-là était très difficile (…) à rendre dans sa vérité et personnellement je connais seulement deux peintres qui ont véritablement rendu cette ambiance calme et mystérieuse du port d’Alger, c’est Marquet et Benaboura ». C’est à partir du Môle (la jetée fondée par les Turcs) que Sauveur Galliéro apprêtera des toiles venues parfaire un présentoir iconique suffisamment vaste pour pouvoir agencer une exposition d’envergure susceptible de voyager dans divers capitales ou villes du monde. Savoir exporter ses atouts artistiques, c’est à quoi doit s’atteler un ministère algérien de la Culture et des Arts qui signera en 2012 la convention de financement que l’Union européenne (UE) lui présenta suite à la mise en place du « Programme d’appui à la protection et à la valorisation du patrimoine culturel ». Dans ce souci général d’inventaire et de classement, de gestion et de majoration manque la récupération, exploitation et synthétisation de données ou instruments (lettres, échanges épistolaires, photographies, dessins, gravures, aquarelles, toiles, sculptures) prédisposant au couronnement d’une complète histoire de l’art. Détacher celle-ci des lectures hagiographiques du roman national devenant un impératif, Malika Bendouda doit parallèlement entièrement revoir l’organigramme de L’École nationale supérieure des Beaux-Arts (ENSBA) d’Alger, lui affecter des professeurs étrangers ou algéros-européens au fait des extensions de l’art contemporain, initier la création d’un institut du Design et des Arts appliqués, ré-ouvrir au plus vite le Musée d’art moderne d’Alger (MAMA) afin qu’y soient emménagées des monstrations réhabilitant la portée innovante de peintres délibérément ou anormalement négligés. Ce retour-magnétoscope vers tel ou tel sous-estimé donnera l’occasion de retrouver des médiums eux-mêmes déconsidérés, égarés ou perdus.
Saâdi-Leray Farid, sociologue de l’art et de la culture

