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Récit-feuilleton. Exils (14)

A la même époque, il fut témoin malgré lui d’une affaire qui mit en émoi toute la ville. C’est l’histoire de cette lycéenne qui reçut une carte postale d’un voisin ayant sans doute cultivé à son égard quelque sentiment humain.

Malencontreusement, cette carte tomba entre les mains du père de la fille ; s’ensuit une rage folle et moult péroraisons sur la dégénérescence supposée de sa progéniture. Et surtout, en plein hiver, il lui fit passer la nuit sur la terrasse à ce que l’on a pu rs narré. Tombée gravement malade, elle succomba à une forte bronchite quelques jours plus tard. Ses funérailles, auxquelles assistèrent beaucoup de ses camarades de lycée, plogea la ville dans une mélancolie insoutenable. Triste injustice que de partir définitivement pour une carte postale…

Un autre événement tout aussi dramatique vint nous bousculer dans nos certitudes ancestrales. Une autre fille du quartier, étudiante alors à Constantine, subit les foudres d’un amoureux éconduit. A ce qu’il a su de cette histoire poignante de tristesse, elle était déjà en amour avec l’un de ses camarades étudiant également. Il est vrai que la beauté altière de Fouzia ne pouvait pas laisser indifférents ceux qui la voyaient. Ils tombaient irrémédiablement en contemplation devant cette déesse.

Récit-feuilleton. Exils (13)

C’est ce qui arriva probablement à l’un de ses camarades étudiants qui était animé de sentiments non partagés. Un jour, au sortir du restaurant universitaire, le fou amoureux voulut en découdre avec l’heureux prétendant. Armé d’une arme blanche, il voulut provoquer celui-ci. Hélas, le coup qui visait l’élu du cœur de Fouzia atteignit celle-ci mortellement. En cours de route pour son hospitalisation, elle rendit l’âme. Inutile de dire que cet événement fit énormément d’effet sur eux. Tristesse incommensurable. A coup sûr, des répercussions sur leur conception de la vie…

Il est vrai que beaucoup de jeunes filles vécurent le calvaire du fait de la stupide incompréhension qui s’installait entre celles-ci et les parents et parfois les voisins. Ainsi, celle de l’une d’elles, souvent présentée comme modèle selon les canons du moment ; après avoir été cloîtrée durant de nombreuses années, elle finit par fuguer pour aller dans une ville située dans l’ouest du pays pour ne réapparaître que quelques semaines plus tard. Aucune explication n’a filtré.

Parmi ces infortunées, l’histoire de Houria qui dut se résigner à son sort. Elle lui raconta qu’elle réfléchit durant plusieurs mois à une issue qui lui aurait permis de s’affranchir de l’autorité parentale, devenue pesante à sa majorité largement entamée. Elle supporta les réprimandes et les remarques les plus abjectes ; seul l’animait son désir inaltérable de pouvoir se libérer un jour.

Elle passait ses journées à réfléchir jusqu’au jour où on lui signifia qu’elle était exclue du lycée. Ce jour là, elle pleura à chaudes larmes même si elle avait accueilli la nouvelle d’une manière flegmatique. Que pouvait-elle faire désormais sans diplôme et sans qualification ?

Que pouvait-elle dire à un père intransigeant, nourri aux dures traditions des gens de la montagne. Et à un frère violent qui n’a à portée de main que des poings à agiter. Que faire pour les persuader que rester à la maison n’était pas pour elle une solution ? Elle savait qu’elle allait être privée du peu de liberté dont elle était investie jusqu’à présent.

C’était l’attitude hostile désormais prévisible de ses parents qu’elle redoutait par-dessus tout. La seule amie lui demeurant fidèle, c’était sa mère avec laquelle elle partageait la peine d’être née femme dans un monde gouverné par l’homme. N’est ce pas là le défaut le plus ignoble que les siècles continuent de perpétuer ? Houria pensait que les femmes de sa condition étaient reléguées souvent à l’arrière plan ; elles étaient cantonnées à jouer le rôle de figurantes ; elles assistaient sans force et sans moyen de défense à la gestion de leurs destinées par les hommes ; elles se contentaient de les assouvir et d’être des compagnes fidèles. Et sans voix. De procréer surtout, mais malheur à elles si elles mettaient au monde seulement des filles.

Par tempérament, Houria refusait de tout son être cet état de fait établi. Sujette aux brutalités de son père et de son frère, elle mettait sur le compte de l’ignorance et du mythe de la supériorité de l’homme leurs actions peu louables envers elle. Face au problème qui la menaçait d’une manière imminente, elle faisait preuve de courage envers l’étau mâle oppresseur.

Elle était en âge de se marier, selon ses parents. Et surtout de commettre des actes difficilement réparables. Maintenant qu’elle n’allait plus à l’école, elle pouvait sortir plus souvent pour des prétextes les plus fallacieux. Profitant de l’absence de ses père et frère durant la journée, elle devait se voiler pour sortir ; parfois accompagnée de sa mère. Elle attendait le moment le plus propice pour aller voir son bien aimé.

Lui parler quelques minutes au coin d’une rue déserte. Loin de la cité où les petits garçons la railleraient s’ils la surprenaient ainsi. A ses yeux, le voile était un moyen hypocrite pour masquer la réalité. Triste réalité où l’homme distille au compte-gouttes un climat artificiel de bonheur à la femme.

Tragique situation où elle se savait prise au piège. Itinéraire où le temps se faufilait sans briser la chaîne séculaire de la servitude. Bien que vivant dans un état de permanente révolte, elle rêvait à une nouvelle forme de vie. Parfois, harcelée par son destin au goût amer, elle s’abandonnait à l’inertie. Mais très vite, elle divorçait avec les rêveries, s’accrochant aux souvenirs.

Lorsque, d’un air triomphant, son frère lui ordonna de ne plus sortir sous peine d’avoir affaire à lui, elle sentit la terre se dérober sous ses pieds. Son être vacillait. Sa tête tournait. Elle courut de toutes ses forces pour se réfugier dans les bras de sa mère. Même son petit frère s’était mis à la railler. Sa fierté féminine touchée, une envie irrésistible de bouder fut pour elle l’ultime secours…

Au fil des jours qui s’étalaient avec nonchalance dans l’espace restreint de son existence, Houria dut s’adapter à la nouvelle réalité venue secouer sa conscience d’adolescente. De quelque côté qu’elle regardait sa situation, elle ne réussissait qu’à se conformer à son obstination.

Durement éprouvée dans ce que l’être humain a de plus précieux, sa liberté ; elle avait l’impression d’être un oiseau auquel on coupait les ailes prématurément avant de lui apprendre à s’en servir. Elle ne répugnait pas à vaquer au ménage de la maison, mais elle se sentait brimée dans toutes les fibres de sa  chair. Du lever du soleil à son coucher, elle faisait travailler tous ses muscles et ses nerfs. Elle s’attristait de ce que ses frères, non contents de la voir enchaînée à la maison, pensaient que les travaux ménagers étaient du ressort exclusif et absolu de la femme. Pareilles sottises ne faisaient qu’exacerber son ignominieux destin.

Autrefois, elle se croyait hors d’atteinte de tout malheur. Elle était insouciante et espérait des lendemains radieux. S’apitoyer sur sa condition ne changeait rien à celle-ci, mais elle ressentait néanmoins une certaine délivrance. C’était pour elle comme si elle se déchargeait d’un fardeau que ses frêles épaules ne pouvaient plus soutenir. Elle se disait qu’à force de réfléchir, une solution pourrait bien jaillir. Houria savait qu’elle avait grandi. Son corps, qu’elle ignorait jusque là, s’était épanoui. Elle prit conscience de la magnificence de la nature en même temps que des manifestations physiologiques qui s’étaient opérées en elle. Loin de la consoler, cette merveilleuse transformation lui inspira une crainte indéfinissable… (A suivre)

Ammar Koroghli-Ayadi, auteur-avocat 
Email : akoroghli@yahoo.fr

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