Avant l’exil, Omar se souvient d’avoir regardé un jour la télé. Il entendit quelqu’un discourir. Un discours ? Plutôt une oraison funèbre débitée de façon incantatoire.
Autour d’un aréopage des plus hautes personnalités du pays, civiles et militaires. Il regardait l’écran de télé qui retranscrivait l’adieu au compagnon d’armes à El Alia, cimetière des grands du pays. Il l’avait sans doute appris par cœur car débité solennellement mais non moins théâtralement. Lire cette oraison devait augurer de la suite : être celui qui succéderait au grand disparu, celui qui tint l’Algérie d’une main de fer. Celui qui déposa Ben Bella en raison du culte de la personnalité le reconstruisit on ne peut mieux. Avec le recul du temps, Omar s’interrogeait légitimement sur la promesse faite d’un Etat sérieux et régi par une morale qui tarde à venir.
L’orateur sut habilement jouer sur le mythe lié à l’action du défunt pour se l’approprier en partie. Sans doute alors, les couteaux étaient rangés à l’entrée du fameux cimetière… Plus tard, bien plus tard, quelques années après, Omar prit connaissance par les journaux de l’interruption des élections. D’aucuns affirmaient que, parmi les généraux les plus influents, la décision a été prise de stopper le processus électoral. Processus électoral ? Comme si véritablement était mis en place, de bonne foi, un système qui devait permettre au pays d’apprendre légitimement à distribuer le pouvoir aux plus méritants au moins par urnes interposées. La nouvelle tomba comme un couperet, dans une ambiance pesante de peur. Une atmosphère d’angoisse des lendemains s’installa sur le pays. Comme la chape de plomb du régime autoritaire de Boumediene.
Quelques années plus tard, l’un des généraux parmi les plus influents et exerçant le magistère du ministère de l’intérieur annonça les résultats. Blême. En apparence du mois. Le « ardinal de Frenda », comme le nommaient certains, est pour beaucoup le metteur en scène de la pièce qui se jouait alors en Algérie.
Jouer la carte de l’islamisme sinon pour étouffer toute possibilité de changement du système méthodiquement mis en place, au moins pour évacuer toutes réformes de nature à troubler l’ordre établi en faveur de la famille au pouvoir ; celle-ci comprenait ses condisciples déserteurs de l’armée de l’ex-métropole pour lesquels le sport favori était de partager les commissions de cession d’hydrocarbures et d’achat de produits issus de l’agro-alimentaire notamment, des combattants et leur progéniture ayant leurs cartes d’anciens (dont un certain nombre nous di-on, sont fausses) pour ouvrir toutes portes utiles et accéder à tous terrains fonciers et biens immobiliers, du personnel servile à souhait officiant dans moult administrations, partis et autres associations n’ouvrant le bec que pour dire oui aux desiderata des princes du moment dont certains firent partie de la représentation nationale et devinrent même chefs de tel ou tel parti. Pour faire également moult promesses. Parfois même de brutales mesures allant jusqu’à incarcérer des cadres honnêtes.
Et le pire arriva avec son cortège de questions. Une guerre civile ? Des groupes armées, apprit-on, déversaient leur haine sur leurs compatriotes. D’avoir été sevrés d’une victoire possible pour diriger le pays les a animés d’un sentiment se frustration se muant en folie furieuse ; mouvement que d’autres, autrement plus outillés en armes, monopolisant la violence d’Etat, allaient manipuler et accompagner ce mouvement mortifère pour la seule protection de leurs intérêts et ceux de leur progéniture.
Que de morts, de disparus, de veuves, de jeunes filles violées et d’enfants traumatisés pour cette mesquine et basse opération de préservation d’intérêts occultes, versées sous forme de commissions dans les paradis fiscaux. Le sang algérien a perdu toute valeur à leurs yeux, le déversant comme ils inondent les citoyens de denrées et de produits importés au prix de leur corruption. Leurs affidés pourront toujours tenter de les noyer dans leurs promesses. Que du verbiage, mais il est vrai que si les paroles s’en vont, l’exil demeure. FIN
Ammar Koroghli-Ayadi, auteur-avocat
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