21 novembre 2024
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Récit-feuilleton. Exils (9)

En classe de CM1 par contre, ils eurent un instituteur pour la langue française, Monsieur G. qui était des plus cruels. Sa pédagogie favorite, c’était de leur taper sur les doigts avec une baguette si fort qu’ils en pleuraient de douleur et de les incarcérer – il n’y a pas de place pour un autre vocable – sous l’estrade ou dans l’armoire pour la durée de la séance matinale lorsque l’un d’eux omettait d’apprendre ses leçons ou s’avisait de ne pas connaître ses récitations.

Ce fut une année redoutable pour certains d’entre eux car leur instituteur ne se départit jamais de cette attitude des plus barbares à l’égard des enfants indigènes qu’ils étaient, à éduquer plutôt qu’à corriger par des châtiments corporels.

Pourtant, chacun d’eux s’appliquait du mieux qu’il pouvait nonobstant les conditions matérielles dans lesquelles ils vivaient. Car ils avaient une soif inextinguible d’apprendre, ils espéraient que leur instituteur aurait à cœur de modifier sa façon de concevoir son enseignement. Ils étaient loin d’imaginer qu’il pouvait exister des personnes aussi terribles alors qu’elles étaient censées venir leur instruire langue et science.

Pauvres d’eux, naïfs qu’ils étaient. Ils n’osaient même pas en parler au Directeur qui était Algérien. Stoïques, ils supportaient ce calvaire physique pour certains, moral pour d’autres. La différence avec Madame Simone était flagrante. Il faut croire qu’ils n’avaient pas la même conception de leur mission et la même foi pour le don de soi aux indigènes qu’ils étaient encore restés, même au sortir de la guerre de libération nationale.

Récit-feuilleton. Exils (VIII)

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Monsieur Hafadh, leur premier instituteur en langue arabe qui était moudjahid, leur préconisait la patience et l’apprentissage de leurs leçons en sorte de ne pas donner à Monsieur G. l’occasion de les corriger littéralement. Drapé dans son burnous marron, il avait le visage émacié et barré d’une moustache. Son cours consistait surtout à leur relater certains épisodes de cette guerre qu’ils n’avaient pas vécu, vu leur âge, et qu’il semblait vénérer. Il partit pour une autre mission si bien qu’un autre instituteur d’Egypte, Monsieur Tahar, l’a remplacé. S’il leur apprit à lire et à écrire, il est vrai également que son cours était souvent ponctué par de longues tirades teintées fortement de moralisme. Et il se rappelle également qu’il lui arriva de plus en plus d’officier en qualité d’imam dans la principale mosquée, en face de la Mairie et non loin de Aïn Fouara, fontaine emblématique.

Il se rappelle qu’un jour, l’un de ses camarades de classe, qui avait pris l’habitude de compter sur le sort pour ne pas être désigné à passer au tableau pour réciter sa poésie, fut de nouveau pris en défaut. Il n’échappa pas à son châtiment. Il fut ceinturé par deux autres camarades, choisi parmi les plus costauds par l’instituteur auxquels il ordonnait cette triste besogne, pour recevoir tellement de coups de bâton sur les fesses qu’il en hurla à réveiller les morts. Et ils étaient  paralysés de peur et prisonniers de cette situation, sans véritable porte de sortie. L’année scolaire fut longue à passer pour aboutir à la fin de ce calvaire.

Fin juin sonna le glas de cet instituteur aux méthodes peu orthodoxes dont le comportement a sans doute déterminé certains élèves à faire école buissonnière. Pour certains, à jamais…

En CM2 au contraire, Monsieur Robert était d’une gentillesse inouïe. Extraordinairement posé, il était d’une simplicité à rude épreuve. D’une courtoisie exemplaire, il a été pour eux le modèle même du comportement profondément humain. N’était son exemple et celui de Madame Simone, ils auraient désespéré de ses gaouris dont ils voyaient les soldats malmener nos pères et les patrons les exploiter. Gamins, ils  nourrissaient de nobles desseins, les prédestinant à des métiers à même de prémunir leurs parents de tous les maux qu’ils subissaient. C’est pourquoi ils avaient pu considérer que Monsieur Robert était une sorte d’exception dont il fallait bénéficier à foison pour apprendre. Ils l’écoutaient  religieusement dans son cours jusqu’à rompre leurs tympans.

Méthodiquement, et avec une précieuse méticulosité, il dissertait sur la façon de rédiger une rédaction ou de résoudre un problème de calcul. Il est vrai qu’ils préparaient alors l’entrée en sixième, examen alors redoutable car de lui dépendait leur ticket pour le lycée. Grammaire et conjugaison, concordance des temps et ponctuation ; calcul préfigurant l’algèbre et la géométrie ; récitation de poésie et dictée ponctuaient leur agenda journalier et rythmaient leur  année scolaire pour les préparer à cette épreuve tant redoutée. Il appréciait parmi eux autant ceux qui se bagarraient pour être parmi les premiers classés que ceux qui, sans être de parfaits élèves, décuplaient d’efforts pour arriver à se hisser à des moyennes honorables.

Ce fut une année si riche en enseignements divers, davantage sans doute du point de vue humain, que l’année de Monsieur G. bascula dans les oubliettes. Par pertes et profits. Surtout que, parallèlement, Si Tahar les suivit en CM2. Sans panache, ni démesure, il se révéla peu efficace pour leur  inculquer les rudiments de base de la langue arabe pourtant si subtile et si riche.

Manque de méthode, empressement à les alimenter davantage en morale qu’en savoir proche de l’esprit scientifique que la langue a su imprimer à diverses disciplines : mathématiques, médecine, astronomie… On lui sait gré néanmoins d’avoir découvert qu’ils avaient une identité dont les repères méritaient d’être dessinés, Algériens.

Ce fut tout de même une année intense en apprentissage ; en tous les cas, pour ceux qui se donnèrent la peine d’apprendre. Les bases linguistiques étaient posées ; il fallait les exploiter dans l’univers qui les attendait : le lycée dont ils pensaient qu’il était le lieu de toutes les chances pour  hisser leurs têtes hors de l’eau. En reprenant une vieille photo prise alors à l’école primaire, il revoit la cour clairsemée d’arbres en face des classes du rez-de-chaussée où gisent les restes de notre mémoire de jeunes pousses. Visibles également les escaliers qui menaient à leur classe, ainsi qu’au premier étage où il leur a été également donné de recevoir quelques leçons d’humilité et hélas parfois de pure cruauté comme en CM1.

Juste à côté, la cantine où ils mangeaient à midi. Il a  encore l’eau à la bouche de cette confiture à l’orange qu’on leur servait au dessert. Le brouhaha qu’ils provoquaient alors ne dispensait pas de la bonne humeur dont seule l’enfance a le secret. L’esprit de fraternité et de solidarité naissait imperceptiblement entre eux. Petits compagnons d’infortune, ils tissaient entre eux une camaraderie de durée éternelle pour certains. Elle se consolida davantage au lycée. La cantine servait également de salle de projection de films, surtout ceux de Charlie Chaplin et des westerns, notamment les samedis soirs, moyennant quelques douros.

La cérémonie de remise des prix était naturellement programmée à l’approche de l’été ; avec la fin des classes, venait la récompense  pour les premiers d’entre eux. Il se  revoit devant la glace de la grosse armoire de la chambrée qu’ils habitaient à El Combatta en train de se préparer pour se rendre à l’école pour y recevoir ses prix, souvent des livres. Sans doute pour les inciter à lire davantage. Surtout que leurs  parents, illettrés pour la plupart d’entre eux ne pouvaient offrir pareil présent à leur progéniture. Ce fut là également l’occasion d’encouragements pour certains d’entre eux d’aller de l’avant pour faire le lycée. (A suivre)

Ammar Koroghli-Ayadi, auteur-avocat 
Email : akoroghli@yahoo.fr

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