Jeudi 12 novembre 2020
Référendum sur la Constitution : premier échec politique de Tebboune
« Le projet d’amendement de la Constitution approuvé par 66,80 % des voix », est le titre d’un article de l’APS au lendemain du référendum sur la constitution du premier novembre.
En lisant ce titre, le lecteur sera porté à croire que le projet d’amendement de la Constitution proposé par Tebboune a passé l’examen des urnes avec succès et qu’il a été adopté par une majorité confortable.
Sans doute, dans toute démocratie représentative, le pourcentage de 66,80 % d’un scrutin est-il un chiffre exprimant un soutien populaire solide au pouvoir en place. Avons-nous affaire à un référendum en faveur du pouvoir, précisément du chef de l’Etat, ou au contraire, ses résultats est un désaveu populaire clair du chef de l’Etat ?
Trois éléments au moins nous montrent que l’issue du référendum est un échec politique du nouveau locataire de la présidence, quoique certaines officines et certains relais du pouvoir tentent, tant bien que mal, de le faire passer pour une victoire.
D’abord, il y a lieu de savoir que par le moyen d’un référendum, le peuple est appelé à se prononcer explicitement sur une question concernant la gestion de la cité. Il s’agit d’une des procédures renvoyant à la démocratie directe restant encore en vigueur dans les démocraties représentatives où vraiment le pouvoir est exercé par le peuple. Autrement dit, où le pouvoir est conféré au plus grand nombre.
Le référendum se distingue et de l’élection et du plébiscite. Certes, c’est un remarquable outil démocratique, mais les gouvernements dans les démocraties représentatives évitent de s’en servir fréquemment par peur d’être déçus par l’opinion de la majorité de la population.
On fait appel généralement à cette procédure, qui est dans la Constitution algérienne en vigueur entre les seules mains du président de la République, pour renouveler la confiance d’une population à l’endroit d’un chef politique et dans le cas de l’Algérie du peuple à l’endroit d’un nouveau président mal élu et arrivé au pouvoir en pleine contestation politique d’envergure nationale exprimant une crise de confiance aigue entre les gouvernants et les gouvernés.
Avec ce référendum M. Tebboune a joué au quitte ou double. En principe, après ce référendum la situation politique devrait s’améliorer ou empirer. Cependant, le moins que nous puissions dire est que l’issue de ce référendum montre que la situation politique n’est pas meilleure qu’avant.
En effet, ce référendum n’a pas réussi à surmonter la crise politique que l’ancien président a laissée et réparer ainsi la fracture existant entre les gouvernants et les gouvernées; bien au contraire, avec cette Constitution, cette fracture a trouvé le moyen de se greffer à la loi fondamentale de l’État qui est censée s’appuyer sur un contrat social engageant une grande partie des citoyens vers un avenir supposé meilleur par ses promoteurs politiques.
Un titre trompeur
En deuxième lieu, il est incontestable que l’objectif de la focalisation sur le pourcentage représentant les électeurs qui ont voté par « oui » pour la nouvelle Constitution du nouveau chef de l’Etat est de nous faire admettre que ce référendum est une victoire politique pour M. Tebboune, alors que c’est une défaite.
Ce titre est trompeur et manipulateur ; il veut que le lecteur ne focalise que sur la partie pleine du verre représentant à peine un quart du contenant du verre. C’est un tour de magie qui veut dissimuler et faire passer sous silence les trois autres quarts du verre qui sont vides et par conséquent trouver le moyen de ne pas prêter attention à l’échec politique cuisant que vient de subir l’exécutif en place sous la présidence de M. Tebboune.
Faisons parler tous les chiffres en même temps pour en savoir plus.
Pour mieux comprendre ce pourcentage et évaluer son poids par rapport à une réalité chiffrée, il faut mettre ces 66,80 %, d’apparence une proportion désignant une majorité, en relation avec d’autres chiffres liés au même évènement. 68, 80 % des électeurs ont voté « oui » contre 32 % qui ont voté « non » sur un total de 5 586 259 de participants au scrutin, c’est-à-dire 23,7 % du total d’inscrits de 23 568 012.
Ce qui fait que seulement 3 355 518 d’électeurs, moins d’un électeur sur 4. ont voté pour le projet de Tebboune.
Les 20 millions qui restent donc n’appuient pas son projet d’amendement de la Constitution pour différentes raisons. Il y a des électeurs qui ont voté contre la Constitution, d’autres ont rejoint le camp du boycott et d’autres ont l’habitude de ne pas voter. Ce qui est incontestable est qu’environ 20 millions d’Algériennes et Algériens ne soutiennent pas la Constitution et par conséquent la loi fondamentale sur laquelle repose la nouvelle Algérie dont parle M. Tebboune depuis qu’il est devenu président et que les médias qui lui sont inféodés ne cessent de rabâcher.
En fait, les Algériens ont massivement boudé les urnes ce premier novembre. De plus, ces résultats montrent que le président n’a pas pu convaincre et obtenir une adhésion à son projet qu’un nombre d’électeurs inférieur au nombre d’électeurs qui ont voté pour lui lors de l’élection de 12 décembre 2019. Il a obtenu seulement 33 355 518 contre 4 947 523.
En espace de dix mois de présidence, M. Tebboune a perdu plus d’un million et demi d’électeurs. Ces chiffres montrent que la nouvelle Constitution, la loi fondamentale de l’État, n’est pas si différente de la précédente, même si elle est passée par un référendum; elle repose sur l’appui de la volonté d’un petit nombre, et non pas celle de la volonté générale représentant un intérêt général et un désir commun.
En troisième lieu, sachant pertinemment que les chiffres sont difficiles à manipuler, la présidence de la république a publié un communiqué, sans évoquer le moindre chiffre concernant ce référendum, car comme on l’a démontré, les chiffres parlent sans équivoque en défaveur d’un président en quête de légitimité.
En effet, les rédacteurs de ce communiqué ont préféré nous parler d’honnêteté et de transparence, le minimum de vertus morales qu’un exercice démocratique du pouvoir implique, que de faire une lecture politique au refus de plus de 76 % d’Algériens de participer à un simulacre de pratique démocratique.
Dans ce communiqué, la présidence a mis en évidence la transparence et l’honnêteté caractérisant selon elle le déroulement de ce referendum. Pour elle, sur le plan moral, ce maigre taux de participation au référendum est plus un exploit et une réussite qui l’éloigne des anciennes pratiques qu’une expression d’un fossé séparant le nouveau chef de l’Etat de la majorité des citoyens.
De plus, le communiqué a réduit le rôle et la responsabilité politique de M. Tebboune à l’organisation de ce référendum seulement en nous rappelant que cela fait partie de ses engagements, alors qu’en principe ce rôle est celui de l’ANIE.
Bref, le moins qu’on puisse dire est que c’est une vaine tentative d’essayer de tirer des avantages moraux d’un échec politique. Le communiqué fait de l’organisation du référendum une fin en soi. Oui, même si l’on admet que les résultats de ce référendum sont honnêtes, voire hallal comme le président de l’ANIE les a qualifiés, mais est-ce que cela peut éclipser le fait que le président n’a pas réussi à mobiliser suffisamment de citoyens derrière son projet de réforme de l’État ?
Le but d’un président n’est pas l’organisation d’élections transparentes, mais d’être à l’écoute de la population et de continuer à représenter la majorité des électeurs.
Le boycott a empêché ce référendum sur la Constitution de se transformer en un plébiscite au président et par conséquent les raisons justifiant la continuité du mouvement de protestation sont loin d’être éliminées. Finalement, ce référendum a dévoilé la faiblesse de ce nouveau président. Il a montré que ce dernier est incapable d’incarner les aspirations de la majorité des Algériens et de les convaincre à se mobiliser autour de son projet politique qu’il nomme « nouvelle Algérie ». Un proverbe irlandais dit : « il est impossible de tirer sur l’herbe pour la faire pousser ».
Bref, quoi que le pouvoir fasse, les chiffres relatifs aux résultats du référendum sur la Constitution sont là pour lui rappeler ainsi qu’à la population que les personnes détenant le pouvoir en Algérie ne représentent qu’une faible minorité de la population.
Ali Kaidi (Docteur en philosophie politique)