Le système décisionnaire renvoie principalement à la notion d’alternative qu’aucune génération de philosophe n’a manqué d’en décrypter le sens profond et le champ de son déploiement.
Bien que cela soit en réalité beaucoup plus complexe, la pensée de l’être humain pose la plupart du temps un questionnement binaire pour sa prise de décision. Après tout sa nature physique propose une dualité dans beaucoup de ses composantes comme le pied droit et le pied gauche, de même pour les yeux ou le cerveau et de bien d’autres.
Cette pensée conçoit que la racine d’un arbre décisionnel se disperse en deux branches principales qui se perdraient en d’autres pour entrer dans la complexité. Ainsi l’informatique raisonne en 1 ou 0, le choix sur la route par la voie de gauche ou de droite, la réponse au référendum par le oui ou le non, la morale par le bien ou le mal jusqu’au choix le plus anecdotique et insignifiant comme, viande ou poisson ?
Notre sujet d’aujourd’hui est donc celui du choix entre deux actions militantes que nous confirment des siècles d’histoire des idées politiques. L’alternative du choix politique est principalement binaire et l’une de ses manifestations en la question, révolution ou réforme ?
Autrement dit, doit-on mettre à bas le système du pouvoir politique avec ses dirigeants en place et des instituions ou y participer pour développer un rapport de force qui permette sa réforme ? Doit-on renverser la table ou essayer de discuter pour un compromis apaisé.
Parmi d’autres cas dans l’histoire, celui de la Révolution française de 1789 est parmi les plus étudiés dans l’exemple qu’elle donne des deux courants, réformistes et révolutionnaires. On peut en tirer deux conséquences, sans doute évidentes. La première est que l’action révolutionnaire est le produit de l’échec de la réforme.
Le roi n’avait tenu compte ni des philosophes des Lumières ni de personnages réformistes comme Necker. La révolution est ainsi l’état dans lequel la revendication se trouve dans une impasse et que le peuple gronde contre l’injustice, l’oppression ou pour ses problèmes de subsistances alimentaires.
La seconde est dans la temporalité du conflit. Alors que l’idée de révolution est normalement postérieure à celle de la réforme, les deux se retrouvent souvent ensemble à la fin du processus dans une opposition toujours explosive. Maintien de la monarchie par espérance ultime de la réforme et les partisans de la révolution comme Robespierre ?
Les réformes se divisent en deux catégories (encore le binaire !). Celles qu’on appelle « conservatrices » qui visent à éviter le déclin et les blocages sans pour autant remettre en cause les institutions. Celles qui sont plus idéologiques, elles se fixent pour objectif de réformer l’homme et de lui apporter le bonheur. Ce sont ces dernières qui sont les matrices du mouvement révolutionnaire. Leur élan idéologique fait souvent dire que les révolutionnaires sont des utopistes.
Il n’en n’a jamais été autrement dans l’histoire qui a suivi et nous retrouvons toujours la même opposition de ces deux stratégies politiques. Marx, Lénine ou Rosa Luxembourg, pour ne citer que ceux-là, ont non seulement théorisé la notion de révolution mais en ont conclu qu’elle était la seule solution possible face à l’intransigeance et la violence du pouvoir politique en place.
Le peuple russe, celui de l’Algérie et de bien d’autres ont été confrontés au passage entre les deux positions stratégiques et à chaque fois la même conséquence en fut tirée soit l’inéluctable issue de la révolution.
Par ce débat, j’en arrive personnellement à penser que les actions militantes se bornant aux manifestations d’humeur, à la grogne bruyante de la rue ou aux déferlements de slogans ne sont ni dans le clan des réformistes, car brouillonnes et peu porteuses d’un projet politique, ni dans le champ de l’idée révolutionnaire car les hommes et les institutions perdurent.
Les combats contre un régime politique sont d’abord le fait d’un travail en amont de réflexion comme le fut celui des hommes du siècle des Lumières. La force de la rue n’est révolutionnaire que si l’idée humaniste prépare un projet politique et de société. La grogne de la rue devient alors la puissance du mouvement lorsque la citadelle du pouvoir ferme définitivement ses portes.
Les manifestations de rue, souvent nécessaires, n’ont aucune chance de renverser la table lorsque cette condition n’est pas remplie. Le fracas de mai 68 avait été ressenti comme prémonitoire à la révolution, il se terminera par une majorité écrasante de la droite conservatrice après une dissolution. C’était bien la peine !
La révolution est une étape absolument créatrice d’un combat juste contre l’oppression, il faut toujours la privilégier pour remplacer la tyrannie et ses institutions lorsqu’elles oppressent les populations. Mais c’est faire perdre du temps lorsque le mouvement d’opposition ne propose ni projet ni réel basculement.
Chacun des lecteurs reconnaîtra peut-être en cette analyse que je viens de poser des situations qui ont mené à cette impasse, du bruit sans projet politique et réelle affirmation d’un rapport de force révolutionnaire que l’on refuse de choisir.
Boumediene Sid Lakhdar