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Rencontre avec le poète écrivain Amar Gacem

Amar Gacem

Amar Gacem est un auteur poète d’expression kabyle qui sait que rien ne peut remplacer la langue maternelle, il y a des choses, il y a des émotions, des pleurs qui passent mieux en kabyle que dans une langue empruntée. Cette idée rejoint celle de Jean El-Mouhoub Amrouche, « Je pense et j’écris en français mais je pleure en kabyle ».

L’écrivain Youcef Zirem l’a invité au café littéraire de l’Impondérable, nous avons pu constater la richesse des échanges, nous avons découvert un poète au grand cœur, qui maîtrise parfaitement la langue kabyle, nous avons pu apprécié l’élan poétique magnifié du poète kabyle.

Amar Gacem fait partie de cette nouvelle génération d’écrivains d’expression kabyle qui continuent à créer, à produire avec bien des peines, luttant contre vents et marées.

La littérature d’expression kabyle a pris de l’ampleur ces dernières années et le public s’y intéresse de plus en plus, apportant à la langue un nouveau souffle salvateur vers un avenir prometteur.

Amar Gacem vient de publier un nouveau recueil de poésie poignant dont le titre est évocateur, isuɣan n tsusmi, (les cris du silence), chez les éditions Tanekra.

Le Matin d’Algérie : Vous êtes poète écrivain, la littérature vous passionne, qui est Amar Gacem ?

Amar Gacem : Ma passion pour la littérature et la poésie date de mon enfance. Lorsque j’étais encore très jeune, je souffrais d’une timidité excessive qui m’empêchait de m’exprimer facilement. J’avais pour unique réconfort la lecture et la composition de poèmes. La poésie est à mon sens une auto psychanalyse, en ce qui me concerne tout au moins.

Je suis né à Tizi Mellal, le village où le poète renommé Ahmed Lemseyyeh a vu le jour. Pendant 37 ans, j’ai vécu au pied de la montagne « Kouriet », en parfaite harmonie avec la nature, avant de venir m’établir en France en 2001. En Kabylie, j’ai exercé le métier d’enseignant dans des écoles primaires de différents villages durant une vingtaine d’année.

En plus de mon parcours professionnel, je me suis engagé activement au sein de l’association Slimane Azem à Agouni Gueghrane et j’ai travaillé avec le journal « Le Pays-Tamurt », puis avec la revue « Racines-Izuran », sous la supervision de Moh Si Belkacem et Salem Zenia. En 1994, avec quelques amis du village, j’ai pris part à la fondation de l’Association Ahmed Lemseyyeh, dont j’ai assuré la présidence jusqu’en 2001.
Une fois en France, j’ai d’abord exercé divers métiers, puis je me suis ensuite spécialisé dans l’accompagnement professionnel.

Tout au long de mon existence, la poésie est restée ma compagne constante, tel un ange veillant sur moi…. En Algérie, l’écriture ne m’a jamais quitté, que ce soit le jour ou la nuit. J’avais pour habitude d’écrire partout et en toute occasion, le matin comme le soir, à l’intérieur comme à l’extérieur, dans les transports en commun ou en pleine rue. Des poèmes jaillissaient dans ma tête, aussi imprévisibles qu’une averse soudaine. À mon arrivée en France, j’ai été abandonné par ma muse, ce qui m’a fait traverser une période de sécheresse poétique dépassant les dix ans.

En 2019, Julien Pescheur, le directeur des éditions Sefraber, a pris l’engagement de publier mon premier recueil de poèmes, intitulé « Izlan n tayri d tlelli ». (Chants d’amour et de liberté). C’est peut-être grâce à cela que j’ai réussi à sortir de ma longue torpeur poétique et que je me suis remis à écrire des vers.

En 2020 j’ai édité, à compte d’auteur, ma pièce de théâtre « Axxam iderwicen ». En 2021, j’ai fondé la petite maison d’édition « Tanekra » et j’ai également initié la revue poétique « Tamurt imedyazen » (la terre des poètes), grâce à l’aide précieuse de mes amis Oulaid Arkat, Hamid Ait Said et Hafsi Fazia. Depuis l’année 2020, je suis membre de l’Association Projet culturel amazigh monde (PCAM), fondée et présidée par le célèbre artiste Majid Soula.

Le Matin d’Algérie : Vous faites partie de cette nouvelle génération d’écrivains d’expression kabyle mais malgré vos efforts la littérature kabyle peine à s’imposer, à quoi est-ce dû à votre avis ?

Amar Gacem : Bien que le premier roman de l’histoire ait été écrit par un Amazigh, la littérature kabyle ou amazighe s’est principalement développée à travers la tradition orale. La domination étrangère ne lui a jamais accordé le temps de se développer. Aujourd’hui, la littérature kabyle et /ou amazighe, malgré les efforts de la nouvelle génération d’écrivains, peine à s’imposer pour diverses raisons :

1) Le manque de lectorat : les Kabyles et les Amazighs en général ne s’intéressent pas à la lecture. En ce qui concerne les rares individus qui apprécient la lecture, leur choix se porte souvent sur des livres rédigés en français, en arabe ou en anglais.

2) Le manque de promotion : La promotion de la littérature amazighe est très insuffisante pour ne pas dire inexistante. Pour atteindre un public plus étendu, il est indispensable que les auteurs amazighs bénéficient d’une plus grande visibilité grâce à des manifestations littéraires, des festivals, des médias et des plateformes numériques.

3) Le manque de soutien institutionnel : L’absence de soutien institutionnel, aussi bien au plan local qu’au niveau national et international, représente un obstacle au développement de la littérature amazighe. Afin de permettre aux écrivains de concevoir et de diffuser leurs œuvres, il est essentiel de leur offrir des subventions, des bourses et des installations adéquates.

En tous les cas, il est impératif de soutenir la littérature amazighe d’encourager l’usage de la langue tamazight et de fournir un encadrement institutionnel adéquat pour assurer son développement et sa consécration.

Le Matin d’Algérie : Votre poésie est à la fois limpide et écorchée, quels sont les auteurs et poètes qui vous influencent ?

Amar Gacem : Ma poésie est le fruit de l’assemblage d’émotions profondes et de réflexions mûrement réfléchies, et j’y puise mon inspiration en observant la société et le contexte dans lesquels je suis immergé. Voici certains poètes qui ont marqué ma vie : Ahmed lemseyyeh, Charles Baudelaire, Nizar Kabbani, Ben Mohamed et Lounis Ait Menguellet.

Le Matin d’Algérie : Vous venez de publier un nouveau recueil de poésie dont le titre, isuɣan n tsusmi, (Les cris du silence) interpelle le cœur et l’esprit, pouvez-vous nous en parler ?

Amar Gacem : Les cris du silence ont vu le jour dans la souffrance omniprésente qui a régné en Algérie avant et après octobre 1988. J’ai uniquement utilisé les mots pour dénoncer ou exprimer les souffrances que la plupart des Algériens ont vécues en secret. Le recueil compte 23 textes, composés et rédigés durant la période allant de 1983 à 1990.

Le Matin d’Algérie : Voyez-vous un avenir à la littérature d’expression kabyle ?

Amar Gacem : L’avenir de notre littérature et de notre culture dépendent de plusieurs facteurs déterminants :

1) L’Éducation et l’apprentissage : L’éducation revêt une importance capitale dans la conservation de la littérature et de la culture. Pour assurer le développement harmonieux des générations futures, il est crucial que les écoles, les universités et les institutions enseignent l’histoire, la langue et les arts. La langue amazighe doit être intégrée dans les systèmes éducatifs de tous les pays nord-africains. Sans oublier les institutions éducatives d’autres pays, parmi lesquels la France.

2) Le soutien institutionnel : Il incombe aux gouvernements, aux organismes culturels et aux mécènes de participer activement. Il convient d’offrir un soutien aux artistes, aux écrivains et aux créateurs dans le but de leur permettre de développer des créations signifiantes et percutantes.

3) La création et l’innovation : La culture ne peut pas rester figée dans le passé. La littérature et les arts doivent s’appuyer sur l’innovation et la créativité pour se développer et conserver leur importance.

En somme, l’avenir de notre littérature et de notre culture dépendra de notre engagement collectif à préserver, à innover et à transmettre ce patrimoine précieux.

Le Matin d’Algérie : La littérature, la poésie en particulier, peuvent aider à l’émergence d’une nouvelle conscience émancipatrice, qu’en pensez-vous ?

Amar Gacem : Sans aucun doute, la littérature et la poésie possèdent le pouvoir d’affranchir l’esprit, de stimuler la conscience et de provoquer l’envie de changement. La poésie offre la possibilité d’explorer des émotions intenses, des réflexions personnelles et des vécus uniques. Elle nous incite à méditer sur notre propre être et à mettre en doute les conventions établies.

Le Matin d’Algérie : Avez-vous des projets en cours ou à venir ?

Amar Gacem : Effectivement, quelques-uns de mes textes sont en attente de publication, à savoir deux recueils de poésie, une pièce de théâtre ainsi qu’un ouvrage consacré à l’œuvre et à la vie du poète Ahmed Lemseyyeh.

En ma qualité d’éditeur, je suis heureux de vous annoncer la prochaine publication du numéro 3 de la revue de poésie « Tamurt imedyazen » et d’un recueil de poèmes de Ghani Ath Hemmouche intitulé « Isefra mgal tatut » (Poèmes contre l’oubli).

Le Matin d’Algérie : Un dernier mot peut-être ?

Amar Gacem : Je vais conclure avec cette belle citation de Mouloud Mammeri :
« Ceux qui, pour quitter la scène, attendent toujours d’avoir récité la dernière réplique à mon avis se trompent : il n’y a jamais de dernière réplique – ou alors chaque réplique est la dernière – on peut arrêter la noria à peu près à n’importe quel godet, le bal à n’importe quelle figure de la danse. Le nombre de jours qu’il me reste à vivre, Dieu seul le sait. Mais quelque soit le point de la course où le terme m’atteindra, je partirai avec la certitude chevillée que quelque soient les obstacles que l’histoire lui apportera, c’est dans le sens de sa libération que mon peuple – et avec lui les autres – ira. L’ignorance, les préjugés, l’inculture peuvent un instant entraver ce libre mouvement, mais il est sûr que le jour inévitablement viendra où l’on distinguera la vérité de ses faux semblants. Tout le reste est littérature ».

J’ajoute en kabyle : win i iḥemmlen tutlayt-is ad iɣeṛ idlisen-is

Entretien réalisé par Brahim Saci

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