24 novembre 2024
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Rente et inculture : une mixture explosive

Islamisme et révisionnisme identitaire

Rente et inculture : une mixture explosive

« Gens bien avisés, il nous reste un seul dé, comme atout. C’est la précieuse culture, qui nous sauve dans les moments d’infortune. Elle n’est ni à brader ni à hypothéquer« . Cette sentence de Lounis Aït Menguellet a été dite par le poète au moment, c’était au début de l’année 1989, où se « négociait » l’avenir de l’Algérie dans le formalisme politique qui avait abouti au multipartisme. La révolte et la répression d’Octobre étant passées par là- c’était quatre mois plutôt-, il n’y eut, par la suite, d’yeux et d’ouïe que pour les « associations à caractère politique » (c’était la bizarre appellation adoptée par la Constitution de février 1989 pour désigner les partis), l’économie de marché et les libertés démocratiques. Ce sont là des substantifs honorables, malgré les contorsions sémantiques dont pâtissent certains d’entre eux. Mais, c’est dans le corps de ce triptyque qu’a été inoculé le germe de la discorde, celui de l’islam politique, constitué en parti, agréé en violation même de la Constitution.

Cet affaissement de ce qui était supposé constituer le premier socle de la nouvelle République, succédant à un quart de siècle de despotisme du parti unique où étaient niés la liberté et l’algérianité, était, en réalité, le prolongement d’un travail de fond, étalé sur plus de deux décennies, et consistant à dépouiller l’Algérien de sa personnalité, de ses valeurs et de sa culture. La rente pétrolière, qui commençait à être comptabilisée en tant que telle dès la fin des années 1970, avait permis toutes les hérésies et les déviations, allant depuis le Souk El Fellah, supposé être alimenté par le fellah algérien -alors que cette structure est venue le priver de ses capacités à produire, suite à la prodigalité de l’Etat rentier qui soutenait les prix des importations -, jusqu’à l’école, la maison de culture et toutes les instances censées travailler à l’éducation des Algériens aux valeurs de la science, de l’esthétique, de l’authenticité culturelle et de la promotion de la création de l’esprit.

La résistance culturelle qui se développera en Kabylie dès les premières années de l’Indépendance, et singulièrement, depuis le milieu des années soixante-dix, trouvera son prolongement dans les Universités où elle rencontrera une autre forme de lutte progressiste assurées par les anciens éléments du PAGS et d’autres formations de gauche clandestines.

Afin d’équilibrer à sa guise la balance des mouvances en place, selon ses objectifs de neutralisation des forces de progrès et de revendication culturelle et identitaire, le pouvoir politique avait goulûment nourri la mouvance islamiste, en cédant à ses désidératas sur le plan symbolique et en fermant les yeux sur les actes de violence que cette mouvance a commencé à développer dans les campus et sur d’autres lieux publics. Il semble que le meilleur exemple- et le plus barbare, en même temps- pour illustrer cette situation, est bien l’assassinat de mon ancien camarade de classe, Kamal Amzal, à la cité universitaire de Ben Aknoun, le 2 novembre 1982 par des militants islamistes.

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L’arabisation au rabais des programmes scolaires- on avait perdu Hugo, Balzac, Feraoun, Dib, Mammeri, sans gagner vraiment Benhadouga, Taha Hussein, Khalil Gibran, Leila Baâlabaki,…-, et surtout leur islamisation, ont fait faire à l’école algérienne et à son background culturel plus qu’un retard, une mortelle volte-face, qui nous vaudra, quelques années après, tous les charlatanismes, tous les révisionnismes identitaires et toutes les remises en causes de l’être algérien, de son histoire millénaire et de sa glorieuse guerre anticoloniale. On a pensionné de faux moudjahidine, comme on a établi une fausse école et une fausse université.

Toutes les valeurs d’honnêteté, d’authenticité et du travail se sont volatilisées, emportées par la rente pétrolière- qui a corrompu les institutions et la société-, et par une orientation culturelle arabo-islamiste exclusiviste, laquelle a évacué les valeurs d’universalité et de progrès, comme elle a nié le socle originel et toujours vivant de la culture algérienne authentique.

Ce qui adviendra par la suite, à savoir le terrorisme des années 1990 et la descente aux enfers sur les plan politique, économique et culturel que l’Algérie vit actuellement, ne surprend réellement que ceux qui veulent bien l’être.

Plus qu’une rationalisation des dépenses, plus qu’une diversification des activités économiques, l’Algérie a besoin d’un profond aggiornamento culturel de grande envergure à même de « diaboliser » l’esprit harraga. Ce dernier terme suffit, à lui seul, à désigner le mal algérien qui se cristallise dans un grave complexe de déni de soi. Et puis, posons-nous la question de savoir pourquoi le mot « harraga » a déniché une place dans le Larousse de la langue française- entre « harponneur » et « haruspice »- et qu’il ne peut pas prétendre à une place dans El Moundjid (dictionnaire de la langue arabe), alors que le mot « harraga » est clairement d’origine arabe! L’énigme est vite résolue lorsqu’on considère la vocation d’une langue à être en phase avec la société- laquelle produit cette langue- et les gardiens du temple, has been, d’une autre langue qui continuent à maintenir la société en laisse, jouant sur le sacré, mais vivant de la profane domination de classe.

 

Auteur
Amar Naït Messaoud

 




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