Ma récente contribution portant sur l’analyse du régime électoral en Algérie a suscité la réaction d’un ancien camarade de parti. Par respect pour tout parcours militant, j’ai longtemps hésité avant d’y répondre, craignant qu’elle ne soit perçue comme une attaque personnelle. Mais il ne s’agit nullement de polémiquer ni de ressasser le passé.
Mon intention est simplement de clarifier les choses et de lever les ambiguïtés que sa réponse peut laisser planer auprès des lecteurs quant à ma démarcation à l’égard de toute compromission partisane, qu’elle soit ancienne ou récente.
Je relève toutefois que cette réaction, sans remettre en cause le bien-fondé de mon analyse, en occulte totalement le contenu. Elle prive ainsi le débat public d’un éclairage pourtant nécessaire pour aider notre pays à trouver la voie du changement.
Ma contribution, qui portait sur le mode de scrutin en vigueur et sur son rôle comme instrument de verrouillage autoritaire, semble avoir servi de simple prétexte pour fustiger ma participation ancienne à une élection législative. Car, de fait, aucune critique de fond n’a été formulée à l’égard de mon analyse.
Pourtant, d’autres contributions que j’ai publiées, touchant à des sujets tout aussi essentiels – la nécessité de libérer la parole, longtemps sous-estimée jusqu’à ce que le Hirak en révèle toute l’importance ; l’exigence pour les tenants du pouvoir de sortir du confort de l’autoritarisme et d’accepter de descendre dans l’arène du débat d’idées ; la dénonciation du régime d’autorisation qui bride l’organisation des réunions et activités publiques etc. – n’ont suscité de sa part aucune réaction.
Faut-il alors comprendre que le mode de scrutin constituerait, à ses yeux, un domaine réservé sur lequel il serait seul habilité à intervenir, au motif sous-entendu qu’il avait lui-même produit une contribution sur ce sujet ? Il convient pourtant de rappeler que cette étude des différents modes de scrutin fut élaborée dans un contexte précis : celui de la première participation du FFS aux élections législatives, et qu’elle répondait avant tout à la nécessité de justifier une stratégie de participation déjà actée.
Ainsi, dans sa réponse à ma contribution, il semble vouloir me dénier le droit même de critiquer la loi en vigueur, sous prétexte que j’avais participé, il y a trente ans, à ce même scrutin. Ainsi, la sentence parait sans appel, elle me condamne au silence pour toujours, comme si le musèlement des libertés imposé par le régime ne suffisait pas déjà. Poussée à l’extrême, une telle logique voudrait que le monde demeure figé, qu’aucune remise en cause ne soit jamais possible et qu’aucune évolution ne puisse survenir.
Ai-je commis un crime de lèse-majesté pour mériter une telle sentence ? Aborder la question du régime électoral reviendrait, semble-t-il, à empiéter sur ce que mon camarade considère comme ses plates-bandes. Une telle perception m’assimile à un concurrent susceptible d’éclipser son mérite d’opposant irréductible au régime militaire.
Le véritable enjeu ne doit pas en réalité être ma participation d’hier, mais l’urgence d’ouvrir aujourd’hui un débat lucide sur la manière dont le régime instrumentalise le scrutin pour neutraliser toute alternative et la nécessité d’en appeler explicitement à un débat collectif sur les mécanismes juridiques du verrouillage autoritaire.
Ainsi, plutôt que de discuter le fond de mon analyse, il a préféré contester ma légitimité à m’exprimer sur ce sujet, comme s’il s’agissait encore une fois de son domaine réservé, au motif qu’il avait lui-même produit, à la veille d’une participation électorale qu’il avait cautionnée, une contribution sur le même thème. Cette posture est d’autant plus problématique qu’elle repose sur une personnalisation abusive de la responsabilité de la participation, en occultant qu’elle fut alors le choix collectif d’un parti, de ses structures et de ses militants souverains. Elle évite également, de façon délibérée, de s’interroger le bilan de ces participations, sur les incohérences stratégiques éventuelles du parti, ou encore sur l’absence de lisibilité et de visibilité politiques liées à l’instabilité chronique du régime.
On me reproche donc d’avoir exercé un mandat d’élu, tout en rendant paradoxalement hommage à la lucidité de Mira, qui, lui, avait pris part non pas à une, mais à trois élections législatives. Cette indulgence à l’égard de l’un et sévérité, voire même irréspect, à l’encontre de l’autre ne font que confirmer mon constat : la critique, à géométrie variable, cible la personne plutôt que les idées, comme si le véritable « forfait » est de s’être immiscer sur des plates-bandes prétendument réservées. Que les choses soient toutefois claires, il n’est nullement dans mon intention de remettre en cause l’intégrité de l’engagement de Mira.
Il me paraît enfin essentiel de rappeler que les choix et stratégies des partis doivent être replacés dans leur contexte historique. Avec le recul, il est aisé de les édulcorer ou de les réinterpréter selon les convenances du moment. Mais si nous voulons servir le pays et nourrir le débat démocratique, il nous faut affronter ces réalités avec lucidité, plutôt que de nous égarer dans des procès d’intention.
De l’esprit de sa réponse, je retiens surtout la volonté de son auteur de réaffirmer son opposition radicale et constante au régime. Qu’il le fasse, c’est son droit le plus légitime. Mais cela ne devrait pas se faire au détriment de ses camarades de lutte, ni au prix de leur intégrité, comme si nous étions engagés dans une compétition pour savoir qui serait « le plus opposant » au régime.
Pour ma part, j’aurais laissé libre cours à ses affirmations si, pour les étayer, il n’avait pas laissé entendre une complaisance ou même une compromission de ma part avec le pouvoir, au seul motif qu’il m’est arrivé, dans un passé lointain, d’exercer un mandat de député.
En plaidant son indulgence, chacun sait qu’en rupture avec toute organisation partisane depuis 1999 et ayant renoncé, depuis lors, à toute participation électorale, je dois satisfaire pleinement à sa règle selon laquelle seuls ceux qui rejettent le simulacre électoral sont fondés à critiquer le régime électoral. D’autant que ma rupture avec le parti, antérieure à la présidentielle qu’il évoque, m’exonère de toute responsabilité dans les choix du secrétariat national à cette époque. Quant à ma candidature de 1997, elle s’inscrivait dans un contexte radicalement différent de celui d’aujourd’hui, un contexte d’insécurité et d’incertitude, et elle fut portée par un parti d’opposition — celui même qu’il mentionne à juste titre.
Replacée dans ce contexte, cette participation ne relevait nullement de l’illusion de transformer le système de l’intérieur. Affirmer le contraire est totalement inexact. Sans préjuger des autres échéances, cette participation obéissait à des considérations tactiques précises. Il s’agissait de recourir à la tribune parlementaire pour élargir l’ancrage du parti et faire entendre sa voix au-delà de son bastion.
À tort ou à raison, mais avec une légitimité incontestable au regard des verrouillages de l’époque et en l’absence d’internet et de réseaux sociaux, le parti estimait que cette tribune pouvait constituer un moyen d’atteindre des régions jusque-là inaccessibles et de jeter les passerelles que la répression et l’isolement rendaient difficiles. Et sur ce point, nul ne saurait douter de la sincérité des militants qui, en toute démocratie, ont entériné cette décision.
Enfin, je ne prétends pas qu’il n’existe qu’une seule posture militante. Il y a celle qui consiste à mener un parcours en solitaire, en se limitant à critiquer le régime dans l’attente qu’il s’effondre de lui-même. L’autre, à laquelle je m’identifie davantage, s’inscrit dans une démarche qui continue à croire à une responsabilité collective : elle vise à construire patiemment l’alternative démocratique, en élargissant pas à pas les espaces permettant de créer les conditions du changement.
Une telle démarche exige cependant de mettre en lumière la problématique des subtilités juridiques qui maquillent la démocratie et lui confèrent l’apparence trompeuse d’une pluralité politique. C’est précisément ces subterfuges que mes contributions récentes cherchent à dévoiler, afin de sensibiliser l’opinion aux obstacles qui s’opposent au processus de transition démocratique.
Car ces artifices juridiques autorisent, en apparence, le pluralisme, mais le condamnent en réalité à la marginalité. Ils forment un arsenal sophistiqué et multiforme dont le pouvoir autoritaire use pour prolonger son existence et se ménager un sursis permanent. Cela pose inévitablement une question centrale : comment un régime parvient-il à se maintenir, alors même que le pluralisme politique est formellement instauré depuis près de quarante ans ?
Hamid Ouazar, ancien député de l’opposition