On la répète sans la vivre, on la montre sans la prononcer. République algérienne démocratique et populaire : quatre mots suspendus entre le passé glorieux et le présent désenchanté.
On les grave, on les imprime, on les affiche – mais on ne les habite plus. On les trouve sur les passeports, les frontons, les banderoles officielles. Ils décorent les murs comme on accroche un portrait qu’on ne regarde plus. Quatre mots censés unir un peuple, une histoire, un avenir. Et pourtant, à force d’être répétés, ils résonnent dans le vide.
À la télévision, un seul mot a survécu : Rais El Djemhouria, le président de la République. Le reste, “démocratique et populaire”, s’est éteint doucement, comme ces slogans qu’on garde par habitude. Trop exigeants pour être prononcés. Dire “démocratique” obligerait à rendre des comptes ; dire “populaire” rappellerait qu’il existe encore un peuple.
Alors la devise reste figée, comme un reliquat d’un rêve usé. On la lit, mais on ne la vit plus. Elle trône sur des institutions qui ne la pratiquent pas, veille sur des rues que personne n’entretient.
République ? Sans républicains. Démocratique ? Par intermittence. Populaire ? Par convenance.
Ces quatre mots, nos dirigeants les brandissent comme une preuve d’identité. C’est leur carte de visite, leur paravent moral, leur alibi historique. Mais plus personne n’y croit. Les Algériens n’ont pas besoin qu’on leur répète la devise : ils la subissent. Chaque jour, ils en mesurent la distance, le mensonge poli, la fracture entre la formule et la réalité.
Et pourtant, quelle beauté dans cette contradiction ! Nous avons réussi l’exploit de transformer l’idéal en décor, le symbole en écran. La République est devenue une marque déposée, la démocratie un argument de plateau, le populaire un mot qu’on sort les jours de défilé. Tout brille, rien ne vit. Tout s’affiche, rien ne s’applique.
Ce pays n’a pas trahi sa devise, il l’a fossilisée. C’est le syndrome national : on conserve les mots, on enterre leur sens.
Alors oui, République algérienne démocratique et populaire – qu’en reste-t-il ?
Un fronton, une signature, un souvenir.
Et si l’on osait la relire, simplement, sans emphase, sans hypocrisie ?
Pour que l’Algérie devienne enfin une démocratie et non une démagogie, une République et non un système, populaire et non populiste, algérienne et non confisquée.
Car au fond, tout commence et tout finit là – dans ces quatre mots qu’on n’écoute plus, mais qui attendent toujours qu’on les prenne au sérieux.
Zaim Gharnati