Mercredi 24 octobre 2018
Saїd Chitour, je te demande pardon
Les gardiens des lieux saints assassinent les journalistes et les dépècent. Notre régime politique les bâillonnent et les emprisonnent, ce n’est pas plus honorable.
Saїd Chitour, je ne t’ai pas vu depuis très longtemps, ne sais pas si nous partageons les mêmes idées ou serais opposé à tes contributions adressées à des organes de presse officiels pour lesquels je n’ai aucune estime. Mais tu es aujourd’hui privé de ta liberté et cela me révulse.
Je suis un inconnu mais à chaque fois qu’il s’est agi d’une violence envers un journaliste ou un organe de presse, j’ai publié mon extrême indignation. Et à chaque fois, je demande pardon à l’infortuné car je suis démuni de tous pouvoirs afin de le sortir des griffes de la bête immonde.
Qu’un journaliste soit une seule heure incarcéré est la honte d’une société qui doit s’interdire de se revendiquer de l’humanité. Priver de liberté d’expression et de mouvements un être humain lorsqu’il n’est ni délinquant ni criminel est une abomination pour laquelle certains devront rendre des comptes, un jour ou l’autre.
Ce pays et sa justice aux ordres viennent d’incarcérer cinq généraux-majors pour corruption. S’ils ont pu le faire pour cinq, rien ne les empêche de le faire pour des centaines d’autres, les preuves sont sous nos yeux en capital immobilier et mobilier. Il semblerait que les yeux du procureur soient sélectifs.
Car ce sont des yeux d’aigle et des oreilles de chouettes lorsqu’il s’agit d’un journaliste. Le moindre écrit, le moindre mot et c’est une vigilance de tous les instants pour notifier une infraction pénale. Et l’infraction pénale pour un pays dirigé par un invisible et des militaires, c’est d’une automaticité troublante.
Saїd Chitour, je te demande pardon, comme à tous les autres, vivants ou assassinés, car je n’ai pas eu les moyens de t’en sortir et te préparer, avec d’autres, un État à la dimension de nos rêves. Je suis de la génération qui t’a précédé et c’était à nous de le préparer pour toi. J’ai bien essayé, aux côtés d’Aїt-Ahmed, en prenant mes responsabilités et rentrer au pays pour militer mais nous nous sommes heurtés à des forces plus puissantes.
Il ne faut pas se méprendre, les puissants ne sont pas les branquignols qui t’incarcèrent aujourd’hui, ils ne nous auraient pas arrêtés. Nous avons été trahis par une partie de la société elle-même car sans son appui, ils seraient impuissants. Certains sont allés égorger des innocents, jusqu’aux petits enfants, d’autres ont répondu présents à l’appel des milliards. Et la majorité s’est enfoncée dans la dévotion envers un Grand invisible qui règne de la-haut.
Qu’un seul être humain soit emprisonné pour sa liberté d’expression et je suis en rage. La mienne ne te fera jamais sortir de prison et je suis effondré de mon impossibilité à le faire.
Je ne peux que te transmettre la seule chose que peuvent promettre ceux qui sont dans une incapacité d’agir, mon amitié la plus sincère et mes vœux que tu tiennes dans la dignité et la santé.
Saїd Chitour, pardon !