À l’occasion du séminaire « La traduction littéraire et ses enjeux », organisé par les Éditions Dar El Amir en partenariat avec le Centre Culturel Méditerranéen, à la Bibliothèque de l’Alcazar à Marseille, j’ai eu l’opportunité de rencontrer l’historien Sadek Sellam. Ce moment d’échange s’est articulé autour de son ouvrage majeur consacré à Ahmed Boumendjel (1908-1982), une figure intellectuelle, politique et diplomatique incontournable du nationalisme algérien.
Cette œuvre a particulièrement attiré mon attention pour une raison personnelle et générationnelle : appartenant à une époque qui n’a pas connu ce personnage, j’ai découvert à travers ce livre une mémoire enfouie, une voix effacée du récit national. Ce face-à-face avec l’histoire m’a également rappelé combien je refuse la culture de l’oubli, trop souvent imposée à notre mémoire collective.
En redonnant à Ahmed Boumendjel la place qu’il mérite, ce travail de recherche – fondé sur des archives inédites – nous permet de repenser les chemins de la souveraineté, la complexité des luttes anticoloniales et la richesse des trajectoires individuelles dans le mouvement de libération.
Le Matin d’Algérie : Qu’est-ce qui vous a motivé à consacrer un ouvrage à Ahmed Boumendjel, une figure assez méconnue du nationalisme algérien ?
Sadek Sellam : Ahmed Boumendjel fait partie des nombreuses figures du mouvement national qui semblaient vouées à l’oubli. Mais la multiplicité de ses engagements passés lui valait d’être cité de temps à autre. Son nom n’était pas totalement passé sous silence, en raison de son rôle dans le syndicalisme étudiant dans les années 1930. Il restait mentionné dans les biographies de Messali, dont il avait été l’avocat à partir de 1936. Et son nom revenait à chaque rappel des négociations, comme celle de Melun. Cela faisait ressentir le besoin d’une vue d’ensemble sur son parcours.
Le Matin d’Algérie : Avez-vous déjà travaillé sur lui ? Ou s’est-il imposé dans vos recherches ?
Sadek Sellam : En France, son nom revenait à chaque rappel du truquage des élections en Algérie qu’il avait dénoncé dans un article remarqué de 1951, « L’Algérie unanime », paru dans la revue Esprit. Il dénonçait cette pratique antidémocratique aussi vigoureusement que les refus obstinés d’appliquer la loi de 1905 à l’Islam, malgré l’article 43 de cette loi, et le décret d’application de 1907. Ses articles parus dans La République algérienne, le journal de l’UDMA, mériteraient d’être republiés, tellement ils restent d’actualité. Il y avait aussi des articles plus durs signés « SNP Ahmed ben Mohamed ». Selon le colonel Schoen, chef du SLNA (Service des Liaisons Nord-Africaines), ils étaient rédigés par Ahmed Boumendjel, qu’il présentait comme « le chef de file de l’aile intransigeante de l’UDMA ».
Le Matin d’Algérie : Les archives familiales ont joué un rôle central dans votre enquête. Quelles découvertes majeures ont-elles permis ?
Sadek Sellam : Avant de rentrer en Algérie début juillet 1962, il a pris soin de déposer ses archives à Paris, où sa famille était restée après son départ à Tunis en juillet 1957.
Ces documents permettent de classer Boumendjel parmi ce que le 2e Bureau a appelé « les têtes pensantes qui sont en train de donner à un mouvement armé les titres de noblesse d’une révolution digne de l’intérêt international ». C’était après la récupération des documents de Krim Belkacem, que transportait la mule arrêtée par l’armée française à Tazmalt fin juillet 1956. Le 2e Bureau déconseilla aux journalistes de faire état du contenu de ces documents, pour mieux continuer à faire passer les combattants algériens pour des « sanguinaires », « fanatiques », etc.
Pour affirmer la légitimité du combat du peuple algérien, Boumendjel ne se contentait pas des arguments fournis habituellement aux journalistes et hommes politiques à convaincre. Il faisait usage aussi bien des poèmes de Jean Sénac que du manuscrit de L’afro-asiatisme, consacré à la conférence de Bandung par Malek Bennabi début 1956, et qui devait être préfacé par Jean-Paul Sartre pour les éditions du Seuil. On y trouve également des textes d’une grande érudition envoyés au Vatican pour rassurer sur le devenir de l’Église d’Algérie dans l’Algérie indépendante.
Très instructives sont également les correspondances avec des émissaires de paix, comme Jean Amrouche (qui n’hésitait pas à comparer certains ultras d’Algérie aux nazis) et critiquait la rhétorique anti-impérialiste et marxisante de certains articles du Moudjahid. On y trouve surtout un paquet de rapports d’autres émissaires du « gaullisme exploratoire », beaucoup plus discrets, comme Abdelkader Barakrok, Larbi Lemmou et Ahmed Hamiani, qui servaient d’intermédiaires entre De Gaulle et le GPRA via Edmond Michelet, un ancien d’Auschwitz acquis à la décolonisation.
Le Matin d’Algérie : Comment expliquer l’adhésion au nationalisme de cet instituteur de père en fils très francisé ?
Sadek Sellam : L’étude de son parcours individuel montre que les Algériens « évolués », comme les instituteurs qui devaient contribuer à la « conquête morale » de l’Algérie, finirent par rejoindre les mouvements revendicatifs. Les succès électoraux de l’émir Khaled, la résistance de l’émir Abdelkrim dans le Rif, les échos dans l’Ouest algérien notamment de la candidature d’Abdelkader Hadj-Ali aux élections législatives de mai 1924, ainsi que les provocations liées à la célébration ostensible du centenaire de la prise d’Alger expliquent l’éloignement de ce jeune instituteur, fils d’instituteur, du rôle assigné par l’administration à ces francophones unilingues.
L’étude des débuts d’Ahmed Boumendjel permet de découvrir qu’à l’École normale de Bouzaréa, que Louis Massignon considérait comme un modèle d’égalité entre Européens et « indigènes », il existait une discrimination qui dura jusqu’à la victoire du Cartel des gauches. Ahmed Boumendjel commença ses études pour devenir instituteur en 1924, année de la fusion du « Cours normal » pour « instituteurs-adjoints indigènes » avec l’École normale de Bouzaréa, qui était jusque-là réservée aux Européens et aux musulmans naturalisés.
La persistance de cette discrimination incitait à réfléchir sur la nature du système colonial et poussait à l’engagement politique. La discrimination dans les écoles primaires devait durer jusqu’à la fusion des classes A (pour Européens) et B (pour « indigènes ») en 1949, par Hadj Sadok. Cela en dit long sur le décalage entre les discours assimilationnistes « égalitaires » et les discriminations qui étaient consubstantielles au système colonial jusqu’en 1954.
Ces discriminations scolaires ont profondément marqué Boumendjel. Devenu conseiller à l’Assemblée de l’Union française, il dénonça en 1951 le scandale de la privation des allocations familiales à un retraité musulman de l’armée française, au motif que ses enfants étaient scolarisés dans une école des Oulama. C’est également lui qui, à l’issue d’une réunion à Paris avec les cheikhs Brahimi et Tébessi, fit adopter une motion réclamant le financement public de l’enseignement de l’arabe pour les enfants des travailleurs algériens en France.
Le Matin d’Algérie : Comment décririez-vous l’évolution politique d’Ahmed Boumendjel, de l’UDMA au FLN ?
Sadek Sellam : Dès son arrivée à Paris en 1931, Boumendjel s’est distingué par son application dans ses études de droit ainsi que par ses engagements associatifs et politiques. En plus de sa présidence d’une association d’étudiants algériens, il a adhéré au Comité pour le retour de l’émir Khaled, à un groupement antifasciste dont faisait partie Jacques Soustelle, et à une association d’Algériens en France créée avant l’Étoile nord-africaine.
À la fin de ses études de droit, en 1936, il est devenu l’un des avocats de Messali Hadj et a représenté les Algériens de l’Île-de-France au Congrès musulman algérien de juin 1936, où il n’a fait que croiser Ferhat Abbas. Après ce qu’il a appelé « la trahison de la gauche », il s’est fait élire en 1938 conseiller municipal d’Alger grâce aux voix des militants du PPA.
En 1942-43, il s’est rapproché de Ferhat Abbas, qui était revenu de ses illusions sur « l’assimilationnisme électoral » (selon la formule de Jacques Berque) pour réclamer un État algérien. Il a participé à la rédaction du Manifeste et joué un rôle actif dans les succès des AML (Amis du Manifeste et de la Liberté). Ses anciennes relations avec Messali ont facilité la réalisation de ce grand rassemblement, resté sans équivalent, puisque le FLN n’a pas réussi à empêcher le conflit avec le MNA.
Il devient l’un des chefs de file du « nationalisme fédéraliste » (réclamant un État algérien associé à la France). Marqué par l’expérience des AML et se souvenant de la mise en échec par Georges Bidault et le PCF de la deuxième Constituante de juin 1946, qui prévoyait la transformation des Colonies en États associés, il n’a cessé de militer pour un « Front algérien » à partir de 1947.
On peut difficilement l’enfermer dans la case « udmiste », comme on le fait dans certains ouvrages sur l’UDMA. Il appartient à une catégorie d’intellectuels devenus militants nationalistes qui refusaient l’enfermement dans un seul parti et recherchaient l’union avec les autres formations. De ce point de vue, on peut le comparer à son ami le Dr Abdelaziz Khaldi qui, juste après avoir fait partie des fondateurs de l’UDMA en 1946, a organisé une réception en l’honneur de Messali Hadj (qui rentrait de son exil à Brazzaville) à Toulouse, où il était président de la section de l’AEMNAF.
Le Matin d’Algérie : Son ralliement au FLN était-il une rupture brutale ou une continuité logique à vos yeux ?
Sadek Sellam : Le ralliement au FLN était la suite logique de son action en faveur d’un Front algérien et de son appréciation des changements, notamment en Orient. Ses désillusions face aux différentes Assemblées françaises l’amenèrent à se tourner vers le Bureau du Maghreb arabe, ouvert au Caire en 1947 sous l’égide de l’émir Abdelkrim.
En 1948, il fit voter à un congrès de l’UDMA à Sétif une motion contre l’Assemblée de l’Union française — où il siégeait. En 1949, il prononça sa célèbre déclaration : « Nous aurons notre État algérien à l’Assemblée algérienne, à l’Assemblée nationale à Paris, ou à l’Assemblée de l’Union française de Versailles ; sinon à l’Assemblée des Nations Unies à New York ». Sur ses conseils, Abbas se rendit en 1951 au Caire où il fut reçu par le général Nédjib, l’émir Abdelkrim, et même le guide des Frères Musulmans. C’est au retour de ce voyage qu’Abbas déclara publiquement : « Il ne reste plus que les mitraillettes ! »
Enfin, la « Motion des 61 » de septembre 1955 doit beaucoup à Boumendjel et Ahmed Francis, qui ont « radicalisé » le texte modéré dans lequel le docteur Bendjelloul se contentait de condamner la répression. Les deux lieutenants d’Abbas condamnèrent la politique d’intégration de Soustelle, affirmèrent la « vocation de l’Algérie à être une nation indépendante ». Ils firent signer ce texte par des élus « modérés » sur lesquels comptait le Gouverneur général pour créer sa « troisième force ».
Le Matin d’Algérie : Quel rôle a-t-il joué concrètement dans la diplomatie internationale du FLN et dans les négociations d’Évian ?
Sadek Sellam : Le 2 novembre 1954, Abbas avait déclaré au sous-préfet de Sétif, Jacques Lenoir, que « le seul moyen pour le gouvernement français d’éviter [la guerre] est de proclamer la République algérienne ». Les gouvernants actuels en sont incapables, et c’est pourquoi « l’UDMA va soutenir le FLN ».
Abbas et Boumendjel ont essayé d’éviter l’aggravation de la guerre en participant activement aux contacts secrets avec les gouvernements d’Edgar Faure et de Guy Mollet. Lacoste, qui était opposé à une solution négociée, le considérait comme « un homme très dangereux ». Au vu de l’impuissance des gouvernements de la IVe République, il recommanda à Abbas le ralliement au FLN et son départ au Caire en avril 1956.
Boumedjel participait à l’organisation des rencontres d’Abbas avec des journalistes et des hommes politiques à Montreux, où Abbas venait régulièrement depuis le Caire. Il prit aussi part à la mission secrète de Goëau-Brissonnière, un diplomate mandaté par le gouvernement Bourgès-Maunoury. Pour préparer les négociations, cet émissaire rencontra à Tunis des dirigeants du FLN qui s’apprêtaient à aller au Caire pour le deuxième CNRA.
Le Matin d’Algérie : Quel a été l’impact personnel et politique de la mort tragique de son frère Ali en 1957 ?
Sadek Sellam : La mort d’Ali Boumendjel l’a beaucoup affecté. Mais contrairement à ce qu’on croyait, ce n’est pas la vraie raison de son départ définitif de Paris pour la Suisse, puis Tunis. Au retour de sa mission secrète à Tunis, Goëau-Brissonnière, après avoir enquêté sur le sabotage de cette mission, l’a informé qu’il risquait l’arrestation.
Le Matin d’Algérie : Ce drame a-t-il modifié ses priorités ou sa manière d’aborder la lutte ?
Sadek Sellam : Il était au courant de la dureté de la répression en Algérie. Il était informé notamment par les élus algériens que faisait venir le préfet Mécheri à l’Élysée, où le président Coty se plaignait de la rétention du renseignement par Max Lejeune et Lacoste. Pour l’un d’eux, le Dr Bensalem, « la pacification est une extermination ». La mort de son frère l’a affecté sans trop le surprendre.
Il n’a pas perdu son sens diplomatique, comme il l’a montré au Colloque méditerranéen de Florence d’octobre 1958. Devant une assemblée d’intellectuels et d’universitaires, il a su trouver le ton juste pour expliquer la cause algérienne, sans trop politiser ce colloque réuni en réaction au projet de « Pacte méditerranéen » proposé par les USA. C’est ce vieux projet qui a inspiré l’idée d’« Union pour la Méditerranée » de Sarkozy.
Après l’affaire de Sakiet Sidi Youssef (8 février 1958), les USA ont commencé à revoir leur soutien à l’effort de guerre en Algérie, et le State Department a ouvert un dialogue avec le FLN. C’est Boumendjel qui a été chargé des contacts réguliers avec le consul américain à Tunis. C’était le meilleur moyen de démentir la propagande française qui faisait passer le FLN pour communiste afin de bénéficier de la solidarité atlantique.
En avril 1958, il a fait partie de l’importante délégation dépêchée par le CCE à la conférence intermaghrébine de Tanger (Abbas, Boussouf, Francis, Mehri, Boumendjel, Kheireddine). C’était la première fois qu’Abbas, Mehri et Francis renouaient avec les militaires qui refusaient leurs demandes d’explications sur l’affaire Abane. À Tunis, la délégation du CCE a failli repartir lorsqu’elle n’a pas vu le drapeau algérien à la réunion intermaghrébine de juin 1958. C’est Boumendjel qui a dissuadé ses pairs de ne pas créer d’incident.
Après la création du GPRA, Boumendjel est chargé du service politique du ministère de l’Information et représente l’Algérie aux conférences africaines.
Invité en juillet 1959 à Hambourg, ses explications sur la cause algérienne à des socialistes européens ont obligé la délégation française de la SFIO à quitter la réunion de l’Internationale socialiste.
En 1959, il a fait partie de la forte délégation algérienne à l’ONU qui a mis la France en difficulté. Il a tenu sa promesse faite en 1949 de plaider à New York si rien n’était obtenu des Assemblées françaises.
Le Matin d’Algérie : Son parcours d’avocat a-t-il influencé sa manière de militer et de négocier ?
Sadek Sellam : Tous ces éléments expliquent pourquoi Ferhat Abbas le classe, au moment des contacts secrets avec les émissaires de De Gaulle, parmi les « trois meilleurs diplomates algériens », les deux autres étant Saad Dahlab et Tayeb Boulahrouf.
Sa formation de juriste a été un atout majeur. Il a notamment fait partie de la Commission africaine chargée d’enquêter sur les massacres au Cameroun, que les Camerounais appellent encore la « Commission Boumendjel ».
Dans l’hélicoptère qui l’emmenait, avec Benyahia, le 24 juin 1960 d’Orly vers une destination inconnue, il a noté dans ses papiers : « Sommes-nous des prisonniers ? » Malgré les tensions liées à une grande méfiance, à Melun, il a fait preuve de patience et de bonhomie face à une délégation française peu disposée à la paix.
Ses talents de négociateur ont été reconnus dans un rapport du SDECE qui le considérait « meilleur que Roger Morris », chef de la délégation française désigné par Michel Debré. Ce dernier déconseilla de communiquer ce rapport au général De Gaulle.
Ses archives permettent aussi de relier l’affaire de Melun à celle de Si Salah, ce que la plupart des auteurs oublient. En août 1960, il est informé à Lausanne de « l’affaire de l’Élysée » par le cadi de Médéa, Kaddour Mazigh, qui avait servi d’intermédiaire entre le conseil de la wilaya 4 et De Gaulle. Il attribua le cynisme de la délégation française à Melun à la stratégie de « paix fractionnée » de De Gaulle, qui comptait sur l’annonce d’un cessez-le-feu accepté par toute l’ALN, menée par la wilaya de l’Algérois, pour faire plier le GPRA. Cela relativise les reproches des militaires français qui accusent De Gaulle d’avoir « lâché la proie pour l’ombre » en privilégiant les politiques extérieurs aux combattants de l’intérieur.
En février 1961, lors de la pré-négociation de Lucerne, face à Pompidou, Boumendjel fit preuve d’une grande fermeté, notamment sur la question du Sahara, soulevée pour la première fois.
À la conférence de juillet 1961, c’est lui qui lut un texte de 40 pages pour répliquer aux arguments français sur le Sahara. Sa fermeté et la précision de ses arguments démentaient les soupçons de modération portés contre Abbas et Francis, alors tentés de renoncer au Sahara. Son argumentation historique et juridique embarrassait la délégation française bien plus que la rhétorique ultranationaliste de Bentobbal, qui refusait toute législation française post-1830.
Le Matin d’Algérie : Pourquoi Ahmed Boumendjel s’est-il retiré de la vie publique peu après l’indépendance ?
Sadek Sellam : Juste avant de quitter Tunis pour Alger en juillet 1962, lors d’un tour de table où chacun exprimait ses souhaits, Boumendjel s’est contenté de dire : « Je souhaite être oublié ! »
Dans ses notes manuscrites au CNRA de Tripoli, il exprime sa déception et ressent les difficultés à faire de la politique avec les nouveaux acteurs.
Le Matin d’Algérie : Ce retrait était-il volontaire ou contraint par le contexte politique d’après 1962 ?
Sadek Sellam : Il a pu être ministre des Travaux publics dans le premier gouvernement Ben Bella, qui lui était reconnaissant d’avoir été porte-parole du Bureau politique à Tlemcen. Mais il s’est complètement retiré de la politique après le remaniement de décembre 1964, suite à la Charte d’Alger adoptée au Congrès du FLN d’avril 1964.
Il disait à Abbas, qui s’était retiré en août 1963 : « Nous avons vécu pour la politique, contrairement à ceux qui, de nos jours, vivent de la politique. »
Le Matin d’Algérie : Selon vous, pourquoi son nom, comme celui d’autres figures, est-il resté en marge de la mémoire officielle algérienne ?
Sadek Sellam : Cela a été le sort de toute l’ancienne génération, surtout après le 19 juin 1965. L’Algérie s’est privée des compétences de ceux qui avaient une expérience politique dans le parlementarisme français et des contacts avec les mouvements nationalistes d’autres pays.
On sait aujourd’hui, grâce aux révélations d’un proche du colonel Chaabani, que Boumédiène lui avait demandé, à l’été 1962, de l’aider à exclure tous les politiques restés à l’extérieur pendant la guerre de libération.
On sait aussi qu’avant l’entrée de l’Armée des frontières à Alger, le groupe d’Oujda avait promis, à Bou Saada, d’exclure tous les membres du dernier GPRA des gouvernements de l’Algérie indépendante.
Le Matin d’Algérie : En revisitant son parcours, que nous dit-il sur la diversité et la complexité du nationalisme algérien ?
Sadek Sellam : La naissance de Boumendjel en 1908 en fait « un témoin du siècle », comme le disait Malek Bennabi. Sa première prise de conscience coïncide avec les débuts du nationalisme algérien moderne, dont il est devenu un acteur.
Retracer son parcours politique, c’est revisiter l’histoire du nationalisme algérien dans sa diversité. Cela permet d’en améliorer la connaissance et, si possible, d’en tirer des enseignements pour aujourd’hui et pour demain.
Le Matin d’Algérie : Quel message souhaitez-vous transmettre aux lecteurs d’aujourd’hui, en Algérie comme en France, à travers cette biographie ?
Sadek Sellam : Boumendjel est un exemple d’intellectuel engagé en politique pour combattre le système colonial. Sa culture française lui a fait croire, comme Ferhat Abbas, aux possibilités d’émancipation en opposant la France de 1789 à la France coloniale. Mais, lorsqu’ils ont pris conscience des blocages coloniaux, ils ont rejoint la lutte armée.
Leur parcours peut inspirer l’édification d’une vraie démocratie algérienne, qui réhabiliterait la politique, sans la réduire ni au militaire, ni au religieux.
Enfin, le sens du pluralisme de la République algérienne, qui ouvrait ses colonnes à toutes les sensibilités, devrait inspirer la presse algérienne d’aujourd’hui.
Entretien réalisé par Djamal Guettala
Ahmed Boumendjel (1908-1982) un ouvrage de 552 pages publié en 2021 chez Hémisphère en France, puis en 2022 chez Barzakh en Algérie, puise dans des archives familiales inédites pour offrir un regard neuf sur cette personnalité complexe.