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samedi 16 août 2025
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Sahima Benmouhoub : la danse, chemin de guérison entre soufisme et chamanisme

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Il est des danses qui racontent des histoires. Et puis il y a celles qui soignent. Celles qui rappellent au corps sa sagesse ancienne, et à l’âme son droit de vibrer. La danse de Sahima Benmouhoub appartient à cette seconde lignée.

Elle grandit entre deux mondes, deux terres habitées d’âmes et de souffle. D’un côté, Ivahlal, village kabyle enveloppé de silence et de ferveur, placé sous la protection du très vénéré saint Sidi Bahloul Ou Assem. Là-bas, le temps semble suspendu, rythmé par les pèlerinages qui rassemblent les croyants venus chercher guérison, paix ou bénédiction. Dans ce lieu empreint de spiritualité, le mausolée du saint veille comme un phare sur les âmes. 

C’est ici, dans ce berceau chargé d’âmes et de mémoire — celui de ses grands-parents maternels, Belaid Bouriah et Tassadit At Louad (Sahali, son nom de jeune fille), ainsi que de sa mère Atika — que Sahima puise une part essentielle de ses racines. La famille Bouriah est dépositaire d’une grande lignée de guérisseurs, dont les récits se mêlent parfois au mythe. Jeddi Ou Bouriah, figure légendaire de cette ascendance, est entré dans la mémoire collective : on raconte qu’il montait des lions et portait des serpents en guise de ceinture — Jeddi U Bouriah itterkkab izmawen, ittcuddu s-izerman. Une image saisissante, à mi-chemin entre le chamanisme et une puissance spirituelle.

À cette lignée se joint celle — de Jeddi Saadi, du côté de Yaya Tassadit — une autre branche guérisseuse, où le savoir se transmettait dans le silence des gestes, dans les rêves partagés et les élans du cœur. Deux lignées, deux courants de force invisible, qui se rejoignent en Sahima et coulent aujourd’hui dans sa danse. Car ses mouvements sont plus qu’un art : ils deviennent canal, mémoire vive, offrande d’un héritage ancien que son corps, habité, remet au monde. 

C’est au cœur de la commune d’Aghbalou, dans la wilaya de Bouira, que Sahima apprend très tôt que le visible n’est qu’une porte vers l’invisible. 

De l’autre côté, il y a Tahammamt d’Aït Mellikeche, la terre paternelle, sculptée par les montagnes et les vents. Une terre de mémoire où chaque pierre, chaque arbre semble porter la trace d’une histoire, d’un silence ancien. 

Là, la lignée de son père Bessaou Benmouhoub, s’enracine profondément, dans une relation charnelle avec la terre et les traditions. C’est un lieu où l’on ne parle pas pour ne rien dire, où les gestes sont pleins de sens, et où le lien aux ancêtres se vit dans l’intimité du quotidien.

Entre ces deux villages, Sahima tisse dès l’enfance un lien puissant à la terre, à la spiritualité, au mystère. Ce sont ces lieux, empreints de sacré et de mémoire, qui ont façonné sa sensibilité et sa manière singulière de ressentir le monde.

C’est là, dans cette tension féconde entre la lumière du mausolée et l’ombre dense des montagnes, que naît en elle la danse comme un chant intérieur, comme une prière muette. Une danse déjà, sans qu’elle le sache, qui cherche à relier, à guérir, à faire circuler l’invisible.

Sahima Benmouhoub est une danseuse dont le corps semble parler une langue oubliée, celle des ancêtres kabyles et des souffles mystiques du monde soufi. À travers ses mouvements, c’est une mémoire ancienne qui s’éveille, une mémoire vibrante et intuitive, enracinée dans la terre, nourrie de silence et de feu intérieur.

Elle ne danse pas pour la scène, elle danse pour la transmission, pour la présence, pour cette force invisible qui traverse le temps et les corps. L’essence du parcours de Sahima : un art sacré, traversé par deux grandes traditions spirituelles, le soufisme et le chamanisme, et mis au service de la guérison.

Sahima Benmouhoub est une femme guidée, traversée. Sa danse n’est pas un simple geste artistique : c’est un souffle, un chant silencieux, une mémoire qui remonte des profondeurs pour toucher l’âme. D’origine kabyle, elle s’inscrit dans un héritage où le corps a toujours été un outil de transmission, de prière, de célébration du vivant. Inspirée par la tradition soufie, elle parle d’une « Voix de ses Ancêtres » qui l’accompagne dans chaque mouvement, comme un fil sacré tendu entre la terre et le ciel. Ce lien, elle le cultive dans un dialogue constant avec la nature, le souffle, les racines.

Avant de devenir cette danseuse habitée et magnétique que l’on connaît aujourd’hui, Sahima a suivi un parcours classique : un Deug d’anglais, un BTS, puis une carrière dans l’export à travers des postes bilingues, commerciaux et de direction. Investie corps et âme dans cette vie professionnelle, elle a traversé une épreuve majeure. C’est dans ce silence et cette douleur qu’a commencé, sans bruit, une renaissance.

Danser est sa mission. Danser pour guérir. Danser pour exister pleinement. Danser pour honorer les mémoires, réparer les lignées, porter haut les voix tues des femmes de son peuple. Elle qui avait dansé dès l’enfance, notamment aux côtés du chanteur Idir, pensait avoir tourné la page. Mais ce qu’elle croyait être un simple loisir se révèle en réalité comme l’axe de toute son existence.

Dès lors, le chemin s’ouvre. Elle se forme auprès de grandes figures comme Salima Iklef, Assia Guemra, Amélie Schweiger, Fabienne Courmont, et part pour un voyage transformateur de trois mois en Inde, auprès de Zola Dubnikova, explorant, danse sacrée et arts féminins.

De retour en Kabylie, lors d’un pèlerinage intime sur les terres de ses ancêtres, elle reçoit ce qu’elle nomme « la force divine dansante ». Elle comprend que sa danse ne sera jamais seulement esthétique : elle est guérison, rituel, prière en mouvement.

Son univers artistique, qu’elle dévoile notamment lors du Festival de la Beauté, puise dans des influences puissantes, enracinées et multiples.

Elle se reconnaît dans l’héritage de Taos Amrouche, cette femme lumineuse, à la fois chrétienne et profondément berbère, qui affirmait : « Plus je me berbérise, plus je me christianise. » 

Chez Sahima, il y a cette même tension fertile entre les traditions et l’universel, entre le féminin incarné et la quête spirituelle.

Elle collabore avec des artistes qui vibrent sur cette même fréquence d’âme, comme le chanteur Azal Belkadi, dont la voix puissante accompagne magnifiquement ses danses. Ces alliances artistiques ne sont jamais fortuites : elles naissent d’une résonance intérieure, d’un besoin de créer du sens, de faire lien.

Aujourd’hui membre de la section « Danses et Spiritualités » du Conseil International de la Danse (C.I.D. – UNESCO), Sahima Benmouhoub est bien plus qu’une interprète. Elle est passeuse, guérisseuse, magicienne chamane. Elle se dit porteuse d’une lignée de guérisseurs kabyles, et c’est au chevet de sa grand-mère Tassadit adorée qu’elle a reçu, en silence, les transmissions invisibles de cet héritage ancestral. Depuis, elle l’honore pleinement à travers ses danses sacrées, mais aussi par les soins qu’elle propose, en individuel ou en groupe.

Ses performances ne sont pas à proprement parler des spectacles. Ce sont des espaces de transformation, des rituels vibratoires où les cœurs se reconnectent à l’essentiel. Elle intervient aussi dans les entreprises, proposant des espaces de respiration, de prévention du burnout, de reconnexion à soi, là où l’humain est souvent nié.

Car Sahima ne danse pas pour être applaudie. Elle danse pour éveiller. Pour rappeler que le corps est un temple, que le silence est habité, que la joie est guérisseuse. Sa danse ne cherche pas à plaire, elle cherche à réveiller. À travers elle, c’est une mémoire kabyle, féminine, mystique, qui se déploie, dans un geste lent, précis, habité. Elle ne revendique rien : elle offre. Elle ne suit pas un chemin tracé : elle ouvre une voie.

Et ceux qui croisent son art, son énergie, repartent rarement les mêmes. Parce qu’en elle, dans cette présence à la fois simple et puissante, dans cette humilité joyeuse et cette danse pleine de feu doux, il se passe quelque chose de rare. Un retour à soi. Un retour au monde. Un retour à l’âme.

Sahima Benmouhoub danse comme une chamane chante le monde. Sa danse est une prière incarnée, un souffle ancien qui traverse le corps pour mieux guérir, relier, réenchanter. Quand elle entre en mouvement, ce n’est pas elle que l’on voit d’abord, mais ce qui la traverse : la mémoire des ancêtres amazighs, la sagesse silencieuse des femmes guérisseuses, les battements d’un tambour invisible relié au cœur de la terre. Sa danse n’est pas performance, elle est offrande.

Chacune de ses apparitions devient un rituel. Elle ouvre l’espace, elle appelle les directions, elle écoute. Et puis le corps s’éveille, lentement, comme s’il se souvenait. Le bassin vibre, les bras dessinent des cercles d’air, les pieds martèlent une vérité oubliée. C’est une danse qui parle sans mots, qui libère ce que l’on n’ose plus dire, qui invite à plonger dans le corps pour y retrouver l’âme. Une danse médecine, une danse mémoire.

Sahima danse pour soigner, pour réparer les failles, les brûlures du passé, les blocages hérités. Elle danse pour faire descendre l’amour dans les chairs, pour rappeler aux corps qu’ils sont sacrés.

Sa danse chamanique est enracinée, connectée, vibrante. Elle s’inspire des pratiques soufies, des rituels berbères, des sagesses féminines rencontrées en Inde, en Kabylie, au cœur d’elle-même. Elle ne copie aucun style, elle laisse émerger un langage qui lui est propre, tissé d’ombre et de lumière.

Chamane moderne, elle réunit l’ancien et le nouveau, l’intime et le collectif, l’art et la guérison. Sa danse devient un passage. On entre dans un état modifié de conscience, on sent quelque chose se déposer, s’ouvrir, se transformer. Et quand elle s’arrête, il ne reste plus de spectacle, seulement un silence vibrant, un cœur qui bat autrement, un espace qui s’est purifié.

Sahima ne danse pas pour se montrer. Il ne s’agit pas pour elle d’une performance destinée à séduire un public ou à conquérir des regards, mais d’un acte profondément humble et sincère. 

Sa danse est une offrande, un cadeau que le corps fait à l’âme collective. Elle ouvre un espace où chacun peut se reconnecter à lui-même, à ses émotions enfouies, à ses mémoires oubliées. Dans chaque mouvement, elle invite à la rencontre intime, à la rencontre avec ce qui sommeille en nous, souvent couvert par le tumulte du quotidien.

Ce qu’elle propose, c’est un retour à l’essentiel, un moment suspendu où les masques tombent et où le cœur peut s’ouvrir. Par sa présence, par sa danse, Sahima crée un pont invisible entre le visible et l’invisible, entre l’individuel et le collectif, entre le passé et le présent. Elle devient alors un guide silencieux, un canal par lequel circulent des énergies de guérison, de réconciliation et de libération.

Ainsi, son art ne se limite pas à elle-même, il devient une expérience partagée, un chemin que chacun est invité à emprunter à sa manière. En dansant, elle offre aux autres la possibilité de se retrouver — de renouer avec leur propre corps, leur propre histoire, leur propre vérité. Elle rappelle que la danse est avant tout un langage universel, celui du corps et de l’âme en dialogue, capable d’ouvrir des portes que les mots ne peuvent franchir.

Sahima ne cherche pas la reconnaissance extérieure, elle cherche à éveiller une conscience intérieure. À travers son mouvement, elle invite chacun à se regarder, à s’écouter, à sentir la vie vibrer en soi.

C’est une invitation à la présence, à la pleine conscience, à l’acceptation de soi avec ses blessures et sa beauté.

En somme, elle danse pour que la danse elle-même devienne un chemin de retour vers soi, vers la paix intérieure, vers cette lumière intime qui sommeille en chacun. 

C’est cette bienveillance profonde, cette force discrète, qui fait de sa danse une invitation à renouer avec notre propre vérité intérieure, éveillant en chacun la capacité à se reconstruire et à s’épanouir.

Brahim Saci

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