23 novembre 2024
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Saïd Sadi: « L’ANP peut encore se fondre dans la République en rejoignant ses casernes »

Il estime que les affrontements claniques demeurent secondaires

Saïd Sadi: « L’ANP peut encore se fondre dans la République en rejoignant ses casernes »

Dans une analyse publiée sur sa page Facebook, Saïd Sadi, revient sur les derniers événements qui secouent le pays, dont l’arrestation de Saïd Bouteflika, Toufik Mediene et Bachir Tartag. La pertinence des éléments apportés dans cette analyse, nous poussent à la reproduire en intégralité pour nos lecteurs. 

Batailles d’Alger

Les secousses qui ébranlent un régime décadent se multiplient. Comme souvent dans les systèmes illégitimes, les reclassements sont violents et imprévisibles. Porteur d’une immense et, pour l’instant, fragile espérance le mouvement citoyen doit veiller à ne pas à se laisser aspirer dans des tempêtes qui ne le concernent pas. Si bruyants qu’ils soient, ces affrontements claniques demeurent secondaires au regard du vrai combat, celui qui oppose le peuple à l’oligarchie. C’est celui là qui doit toujours nous mobiliser.

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Culture du Janissaire

Le frère cadet du chef de l’Etat déchu, longtemps donné comme le véritable maitre de céans à la présidence et les deux derniers chefs des puissants services de renseignements algériens viennent d’être arrêtés ce samedi 4 mai. Sans préjuger des crimes ou délits pour lesquels ils sont poursuivis, on peut supposer que la récente sortie de l’ancien ministre de la défense, le général à la retraite Khaled Nezzar, ajoutée à la confession de l’ancien chef d’Etat Liamine Zeroual, ne sont pas pas étrangères à la précipitation de la décision qui vient d’être prise. Le premier a publiquement déclaré que Said Bouteflika lui avait fait part, au mois de mars, de son intention de décréter l’état de siège ou l’état d’exception, tout en prévoyant de faire démettre l’actuel chef d’état-major, Ahmed Gaid Salah. Auparavant, Zeroual, avait révélé que le général Toufik l’a approché pour le compte de Said Bouteflika en vue de gérer la transition.

Au stade où nous en sommes, les liens entre ces tractations et les trois arrestations ne sont que des possibilités ou, peut être, des probabilités. Il convient donc de toujours demeurer mesuré dans les analyses et de ne pas, systématiquement, hurler avec les loups. Mais si ces interprétations venaient à se vérifier, ce serait encore plus terrible pour le pays que tout ce que l’on pouvait imaginer. Qu’est ce à dire ?

Au fur et à mesure que déclinait la santé de son frère et au vu et su de tous, un homme a fait et défait des gouvernements, disposé du trésor public pour orienter l’économie du pays vers des intérêts douteux, engagé la nation dans des rapports internationaux contraignants sans que cela ait posé problème à quiconque. Le jour où il est suspecté d’avoir attenté à des positions acquises, son rôle est dénoncé comme une haute trahison.

C’est la notion même de la responsabilité publique qui est posée dans ce feuilleton où, dans l’ombre, des acteurs sans fonction officielle, disposent du destin d’un peuple.

Fondamentalement, ce qui se passe sous nos yeux n’est pas nouveau. La culture du janissaire qui voit un chef de clan décapiter l’occupant du trône avant d’être lui même étêté remonte à loin et n’a jamais engendré des institutions stables et crédibles. Il a fallu moins de trois semaines aux troupes françaises en juillet 1830 pour venir à bout de l’armée du Dey malgré le soutien des 12 000 combattants arrivés en renfort de Kabylie pour protéger le flan est de la capitale. Plus près de nous, on a vu des versions plus actuelles de ces « alternances » plus ou moins sanglantes en 1965 lors du putsch de Boumediene, en 1967 à l’occasion de la tentative avortée du coup d’état du chef de l’état major de l’époque, Tahar Zbiri, en 1992 quand le chef de l’Etat a été poussé à la sortie avant de voir l’exécution en direct à la télévision de l’homme qui avait allumé l’étincelle du premier novembre 1954…

C’est précisément de cette spirale infernale qu’il faut libérer la nation. Ce n’est pas en se focalisant sur la guerre des clans, si spectaculaire soit-elle, que l’on va dépasser les problèmes qui minent le pays. Et cette bataille d’Alger, remportée par un clan sur un autre, sur fond de coterie régionaliste, n’annonce rien de bon quant à la stabilité et la cohésion de la nation pour laquelle se sont levés des millions d’Algériens depuis le 22 février.

Pour qui apprécie la situation politique du pays à l’aune des rapports de force qui rythment les évolutions historiquement conflictuelles du régime, ces trois arrestations qui occuperont, à n’en pas douter, les gazettes pendant quelques jours ou semaines, est un mini séisme. Raison de plus pour ne pas laisser cette révolution de palais vampiriser nos luttes. D’autres évènements, autrement plus importants et prometteurs pour l’Algérie, construisent la nouvelle histoire. C’est vers eux que doivent tendre et converger nos énergies et attentions.

D’où l’impératif de toujours revenir à l’essentiel qui se joue chaque vendredi pour bien analyser l’autre bataille d’Alger. La vraie.

Ni la pluie ni les menaces n’ont dissuadé les marcheurs de sortir encore en masse le dernier week-end.

Même les dates symboliques du calendrier semblent sourire au mouvement de libération algérien. Le vendredi ayant précédé le premier mai a annoncé l’émancipation solennelle du monde du travail d’une tutelle syndicale qui l’a dégradé et humilié. Celui de ce 3 mai, dédié à la liberté de la presse, est venu se prolonger dans le combat pour la démocratisation de notre pays que la collectivité nationale honore de semaine en semaine avec la même ferveur et intensité.

Sens interdit de l’Histoire

Cette Révolution que rien ne semble atteindre est pourtant soumise à des manœuvres d’intimidation, de provocation, de division ou de désinformation qui réveillent de bien pénibles épreuves.

Tous les jeudis soirs, des cohortes de véhicules de la gendarmerie sont mobilisées par la défense nationale pour établir des barrages filtrants sur les voies d’accès vers la capitale afin de réduire l’afflux des manifestants. Ces sièges résonnent douloureusement dans les esprits. Les entrées est et ouest étouffent sous des kilomètres de bouchons.

Le spectacle de vieilles dames épuisées ahanant sur le bas côté des autoroutes et des routes secondaires, de mères consolant leurs bébés ou de transporteurs fulminant contre des autorités qui exposent leurs marchandises aux intempéries n’est pas sans rappeler celui des années de feu quand l’exode rural, provoqué par une répression sans nom, jetait des populations désemparées dans les faubourg d’Alger. Ne manquent que les laissez-passer pour donner toute leur épaisseur aux sombres souvenirs des affres d’une guerre qui hante la mémoire collective.

Si les rafles et les regroupements dans des camps d’internement ne sont, heureusement, pas d’actualité, les méthodes et les objectifs de cette opération visent, comme hier, à démontrer l’impossible : nier la volonté du peuple à exercer sa pleine et entière souveraineté. D’autres forces, naguère, ont, elles aussi, cru pouvoir anéantir la détermination des Algériens à arracher leur indépendance. Aujourd’hui, l’oppresseur n’est plus un étranger mais les deux dénis se rejoignent dans leur aveuglement : l’engagement dans le sens interdit de l’Histoire.

Comme aux pires années de braises, les moyens de propagandes prennent le relai du déploiement des troupes pour créer chaque vendredi l’impression de désaffection des populations à Alger. L’intérieur du pays, où la mobilisation, se renforce et gagne tous les chefs lieu de wilayas, est, pour l’instant, passé par perte et profit. L’urgence est d’éviter une manifestation durable de la relation fusionnelle du peuple en éloignant la province de la vitrine du pays.

La télévision publique, suivie par ses clones parapublics, scrute le moindre espace clairsemé dans une placette ou sur une rue pour trouver de quoi monter au JT de vingt heures une séquence qui valide la thèse de l’affaiblissement de l’adhésion à « la rébellion. »

Mais ce n’est pas tout. Le mimétisme avec le passé traumatique est poussé à son paroxysme. Le pouvoir exige de ses supplétifs de tenter des incursions dans « le djebel » pour convaincre l’indigène de renoncer à ses virées algéroises et même, si possible, de le persuader qu’un régime éternel tient bien la barre et qu’il ne cédera sur rien.

L’AUTRE BATAILLE D’ALGER

Comment lire les soutiens sporadiques sur lesquels tablent les dirigeants militaires pour retourner la situation en leur faveur ? Et d’abord qui sont-ils ?

Une filiale de l’internationale des frères musulmans qui a montré patte blanche au régent, aujourd’hui sous les verrous, il y a à peine trois mois applaudit avec le même zèle au dernier message de l’armée. Demain, cette succursale saluera avec un empressement intéressé toute équipe qui conduira le train du pouvoir. L’essentiel est d’être dans l’un des wagons où le bazar économique permet de grignoter des positions, même insignifiantes, en attendant, espère-t-on toujours, de se rapprocher de la locomotive. Peine perdue. L’Histoire a tourné.

La mésaventure de l’Egyptien Morsi qui n’a pas hésité à retailler la constitution à sa mesure et les tangages du turc Erdogan qui, eux, ont pourtant pu accéder au pouvoir, devraient convaincre les adeptes d’un ordre sectaire condamné par l’Histoire de penser désormais à inscrire leurs actions dans le cadre de la nation renaissante.

A côté de ces professionnels de l’entrisme, figurent des stagiaires du garde à vous politique. Ces êtres se sont auto-intoxiqués au point de ne pouvoir envisager l’Algérie en dehors de leurs ambitions. Aujourd’hui, ils ont les deux pieds dans le système et un oeil sur le mouvement de contestation. Ils veulent, contre vents et marées, que l’élection présidentielle soit organisée avant les législatives. Et vite. Subordonnant au carriérisme politique le destin d’un peuple en marche, ils reniflent les humeurs des militaires pour ajuster leur propos et sécuriser leur positionnement, un peu comme le rhumatisant guette la météo avant de programmer ses sorties et doser ses potions. Tant d’erreurs d’appréciation, d’approximation dans l’analyse et de fausseté dans le jugement frise la déraison.

Voilà donc les béquilles sur lesquelles compte la direction de l’armée pour faire écho à une démarche politiquement illisible et stratégiquement aléatoire.

Sur le terrain, ce n’est guère mieux. A Djelfa, les zooms des caméras de la télévision publique, dépêchée mercredi premier mai pour la circonstance, n’ont rien pu faire pour donner un minimum de visibilité à une escouade expédiée sur les lieux aux fins de rehausser la crédibilité de l’état-major. Conduite par une matrone qui défraie régulièrement la chronique par ses éructations xénophobes et qui, hier encore, célébrait le génie de Bouteflika, l’initiative a tourné court. Missionnée aussi pour semer les germes de la division, la bande n’a dû son salut qu’à sa fuite. Ses commanditaires ont dû boire le calice jusqu’à la lie. La ville, condamnant sans appel la manoeuvre, a répondu par des manifestations de rejet du système en brandissant, à côté du drapeau algérien, l’emblème amazigh et celui des Ouleds Nails. Le salut national ne viendra que du dévouement citoyen.

Au niveau populaire, l’état-major a perdu l’autre bataille d’Alger que, du reste, rien ne l’obligeait à engager. Quand bien même se convaincrait-il qu’il peut encore tenter d’autres opérations, chaque fois plus périlleuses, quelle gloire y aurait-il à gagner contre son peuple ? Et à quel prix ?

Jusque-là, les responsables en poste sont dans la négation de l’évidence. La révolution civique qui bouleverse le paysage politique algérien est d’abord l’expression manifeste de la fin du régime militaire. Calmement mais résolument, et au delà du nécessaire changement des individus, ce soulèvement appelle à une mise à plat générale pour concevoir enfin le nouvel Etat qui apportera justice, progrès et liberté. Il serait dommage que ce salutaire projet se réalise contre l’armée algérienne. Quand le militaire s’immisce dans la sphère politique ou, plus grave, quand il prétend la diriger ou la domestiquer, il devient alors la pire des forces extra-constitutionnelles. L’ANP peut encore se ressaisir et se fondre dans la République en rejoignant ses casernes. Alors, et alors seulement, elle pourra gagner sa bataille d’Alger et se présenter, enfin, comme la digne héritière d’une ALN qui s’était fixé l’objectif de libérer la patrie, et non, comme c’est le cas depuis l’indépendance, celui de la dominer.

L’essentiel 

Demeure l’essentiel. Il faudra maintenant assumer le sens et les implications démocratiques de cette miraculeuse insurrection en faisant fi de tous les soubresauts du pouvoir.

Outre l’indispensable poursuite de la lutte qu’il faudra adapter à la conjoncture immédiate, les veillées du ramadhan peuvent être mises à profit pour débattre des modes d’organisation et des agendas de la période de transition. Il est impératif que tout un chacun saisisse qu’au-delà des spasmes qui agitent le sérail, c’est dans cette phase que se décidera le destin algérien. C’est là qu’il faudra mobiliser l’ensemble du potentiel moral, intellectuel et politique du pays car tout le reste en dépend et en découle. Si le plus dur, en l’occurrence le dépassement de la peur, est acquis ; le plus délicat, c’est à dire le plus important, est devant nous.

Said SADI

Alger, le 5 Mai 2019

Auteur
Saïd Sadi

 




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