Mardi 13 avril 2021
Salah Sadaoui : une époque glorieuse
Salah Sadaoui c’est l’étalon de mesure de la belle époque. Une époque où l’art ne rimait pas avec le commercial ! Une époque où le kabyle et l’arabe algérien se côtoyaient tout naturellement. Et Aâmi Salah jonglait sur les deux registres avec une facilité singulière. On peut sans se tromper s’aventurer à énoncer qu’il représentait une passerelle solide et fluide entre les deux langues.
Parmi ceux de la génération postindépendance, qui n’a pas fredonné « Aɛyit melit min el-ghorba berkani », « Yecraq itj yuli wass » ou encore « A rebbi kec delqawi » ?
Signalons que dans l’une dans ses chansons « Inid f’gma », Aâmi Salah rend hommage aux héros de la guerre de libération « Amirouche », « Abane », « Krim Belkacem », « Amirat » …Dans la même chanson, il dénonce le pouvoir de « wouhouche » comme il appelle ceux qui ont confisqué le pays. Une chanson qui n’est, bien évidemment, jamais passée à la radio. Encore un artiste qui aurait été heureux et fier du Hirak.
Biographie
Salah Sadaoui est né en 1936 à Tikserai, dans la wilaya de Bouira, et mort le 9 mai 2005 en France, des suites d’une longue maladie.
Après le retour de son père parti en France, il passe son enfance à Alger, dans la Casbah. Très jeune, il entre dans la chorale de l’association L’Espérance sportive où il fait la connaissance du chef d’orchestre Amraoui Missoum qui deviendra le chef de file de la musique algérienne émigrée, dans les années 1950-60. Sa passion pour la musique s’accentue avec la découverte de la musique égyptienne à travers, notamment, les comédies musicales de l’époque. Il participe à un groupe « la Rose blanche » avec des amis pour animer, chaque samedi, des galas dans les cafés maghrébins et des soirées à la Casbah.
En 1954, il émigre en France. Il arrive d’abord en Meurthe-et-Moselle, comme beaucoup de gens de Tamellaht, son village d’origine. Son frère Hamou qui l’accompagne ne s’adapte pas et se rend à Paris alors que Salah vient d’être embauché à la SNCF. Un mois après, Hamou l’invite à le rejoindre, Salah devient manœuvre en usine. Il anime des soirées dans les cafés nord-africains avant de retrouver Amraoui Missoum qui l’intègre dans son orchestre comme batteur et choriste pour ses petits galas et soirées, puis des enregistrements de disques. Il travaille à Radio Paris.
Il rencontre Cherif Kheddam, Akli Yahiaten et Kamel Hamadi. Avec son frère Hamou, comédien et marionnettiste, il participe à la tournée de la troupe artistique du FLN dans les pays de l’Est, avec pour objectif de sensibiliser l’opinion à la cause des nationalistes algériens.
En 1962, il choisit de rester en France et commence sa carrière solo. Ses sujets de prédilection sont la vie des émigrés, la douleur de l’exil et les désillusions. Il chante aussi bien en français, arabe algérien qu’en kabyle, sa langue maternelle, des chansons maniant autant l’humour que la morale, comme « Tiercé », « Soukarji » (Alcoolique), « Ya ouled el Ghorba » (Chers enfants de l’exil) ou « Alach François khir menni » (Pourquoi François serait-il mieux que moi ?). Sadaoui joue au théâtre dans des sketchs avec Kaci Tizi Ouzou. En 1967, il participe au tournage de scopitones le mettant en scène et d’autres chanteurs maghrébins de l’exil, toujours dans les cafés nord-africains. Il célèbre aussi l’Algérie, par sa beauté, son peuple ou son accession à l’indépendance. En 1966, il est un des premiers membres de l’Académie Berbère.
Salah Sadaoui monte un cabaret : L’Oasis, dans le 11e arrondissement de Paris où il invite les vedettes algériennes comme Rabah Driassa ou Mohamed Lamari. El Ghalia, son épouse de 1963 à 1974, est aussi l’une de ses interprètes favorites.
Il fréquente Barbès et ses magasins de disques. Il crée sa maison d’édition Sadaoui Phone. Il compose pour d’autres artistes comme Meriem Abed et Samy Djazairi. Au cours des années 1970, il écrit et chante des chansons dénonçant la dégradation de la vie des immigrés ou invitant à un retour au pays. Il ouvre une boutique, près de la Place de la Bataille-de-Stalingrad à Paris. Retiré de la scène, il participe à de nombreux galas aux côtés d’autres artistes kabyles comme Akli Yahyaten et Taleb Rabah.
Il meurt le 9 mai 2005 dans un hôpital parisien et rapatrié pour être enterré à Alger.
Pour un voyage exquis dans le temps et en hommage Aâmi Salah, nous vous reproduisons et traduisons « Yecreq iṭij yuli wass ».
Yecreq yiṭi yuli wass
Yecreq yiṭi yuli wass
Teḍwa tafat ef meden irkwelli
Kul wa amek is yufa lbenna-s
Wa am sekkar w am ilili
Ass yulli tafat tban
Kul wa amek it id yufa lḥal
Af yiwwen nass daẓidan
Ɣer lfeḥ d zhu u mazal
waheḍ kulci darẓagan
Isɛedda lḥif u mazal
Medden seg kul lxir arwan
Neţţa ala ṭlam id yemlal
Yiwwen at afeḍ yeṛwa raḥḥa
Dima lebɣis ihuddit
Yeţṣarif mebla ceḥḥa
Fellas seggem ddunit
Wayeḍ ɣer daxel yerḥa
Yeţmeni meskin talwit
Ixuṣ ul a di saḥḥa
Yegrad I zman yemremdit
Kullec ijarred deg wenyir
Ayen ikteb uxellaq ad yass
I lmetub ḥed ur yeffir
Kum wa is-d efka tewenza-s
A lmunen sbeṛ ur ţḥir
Diri win iqeţɛen layas
Rebbi ɛziz bab n lxir
Iɛemmed i ṭlam ad yali wass
Le jour se lève le soleil est là
Le jour se lève le soleil est là
Tout le monde est inondé de son éclat
À sa façon par chacun il est jaugé
Pour l’un il est amer pour l’autre édulcoré
Le jour se lève tout est rayonnant
Mais chacun en est servi autrement
Pour l’un il est sucré
De bonheur il est débordé
Pour l’autre tout est malsain
Il traverse des tourments sans fin
Quant tout le monde apprécie moult bienfaits
Lui, dans les ténèbres il est plongé
L’un de repos est assouvi
Ses vœux sont accomplis
Il dépense sans compter
Pour lui la vie est bien réglée
L’autre est envahi de déceptions
Il ne rêve que de guérison
Même côté santé il est chancelant
Le temps le charge de suppléments
Tout est sur le front tracé
Ce qui est écrit finit par arriver
Nul ne peut échapper à son destin
La vie est régie par les lignes de la main
Ô croyant ne te décourage pas soit patient
Ce n’est pas bien de partir perdant
Dieu le père est rétributaire
Il a créé la nuit pour laisser place à la lumière