Mardi 20 avril 2021
Samy El Djazairi : l’incontestable dandy !
S’il y a un chanteur algérien qui s’est distingué dans de nombreux styles de musique, c’est bien Samy El Djazairi. Ses succès vont du Chaâbi au moderne, en passant par le hawzi et le kabyle.
Bilingue parfait, il a chanté la femme, aussi bien en arabe algérien qu’en kabyle. Son répertoire est immense ! Des années 1960 et 1980, ses succès se comptent en dizaines. Parmi les tubes les plus populaires citons « Errahla », « Krit el houb fi aïnik » , « Ya Radia » mais aussi « Ya bnete el Djazair », un titre dédiée à la femme algérienne, interprété en arabe, et « Aya hadad elfadda » et « Wardia », en kabyle
Courte biographie
Samy El Djazairi, de son vrai nom Ali Kanouni, est né à Tizi-Ouzou le 6 septembre 1945. Il est originaire de Beni Douala. C’est l’un des plus grands interprètes de la chanson algérienne moderne. En plus de sa voix exceptionnelle, il avait un physique de jeune premier.
Les thèmes de ses chansons tournent majoritairement autour de l’amour et ses blessures. Il a beaucoup collaboré avec l’auteur-compositeur algérien Mahboub Bati.
Samy El Djazaïri est décédé le 3 avril 1987 à la suite d’un accident de voiture à Birtouta, laissant des souvenirs intarissables dans la mémoire collective.
Parmi les hommages qui lui ont été rendu, celui ci-dessous de l’écrivain-éditeur Rachid Oulebsir est sans doute le plus complet. Son titre :
Samy El-Djazaïri, le dandy algérois des années 1970 (*)
Samy incarnait l’Algérie moderne telle que rêvée par nos martyrs libérateurs. Il était beau, il présentait bien, lunettes Ray ban, blouson cuir, belles voitures, belles filles, Samy El Djazairi chantait l’amour, l’évasion, la liberté, la belle vie ! Sous la houlette du maestro Mahboub Bati, sa fugace présence marquera durablement la chanson Chabbi moderne ! Il symbolisait la jeunesse, l’élégance, avec son physique d’éphèbe et son look de jeune loup sorti du Djurdjura pour croquer la vie ! Nous eûmes juste le temps de l’aimer ; il disparut trop tôt le dernier dandy d’Alger !
Une enfance dans le Djurdjura
Né le 6 septembre 1945 dans le quartier Dechra de la haute ville de Tizi Ouzou, on le prénomma Ali du nom de son grand-père. Sa famille originaire du village At-Vou-Yahia sur les hauteurs d’At-Dwala venait s’installer en ville fuyant la précarité de la haute montagne. Nous sortions de la 2ème guerre mondiale avec ses famines, son marché noir et les mauvaises nouvelles des soldats kabyles qui ne revenaient pas du front alors que la guerre était bien finie depuis la fin du printemps. Né dans une famille pauvre, il a eu trois frères et deux sœurs. Comme tous les Algériens de l’époque, Ali Kanouni a grandi sous le minimum vital, la misère ne lui permet pas d’aller longtemps à l’école. Il eut à peine le temps de savoir lire et écrire ! C’était beaucoup pour les indigènes de ces années de féroce colonisation française. L’école c’était pour les nantis.
Les filles n’y allaient pas du tout ou bien rarement. Son père, Ahmed Kanouni, ouvrit un petit restaurant et Ali y grenouillait et prit ses premiers repères. Dans l’arrière-boutique du père, il y avait un espace où se retrouvaient des artistes. Ali fut marqué par leurs instruments, leurs mélodies, et il apprit d’instinct à jouer de la derbouka et du bendir se voyant déjà sur scène chanteur adulé par les foules ! La derbouka était bien plus légère que les grosses caisses des tambourinaires qui sillonnaient les rues et les pentes des petits villages. Il tambourinait partout sur ses itinéraires imitant les chants de son idole Mohamed Lamari. Ali Kanouni, travaillait dans la gargote jusqu’au décès de son père le 16 juin 1962.
Un parcours de boy scout
Il connut la liesse de l’indépendance et faisait partie des groupes de jeunes scouts qui chantaient les hymnes patriotiques ! Il avait 17 ans et saura vite s’imposer comme meneur de la Jeunesse FLN. Il suivait un parcours déjà tracé par les anciens avec le premier stade des fêtes familiales suivi des sorties publiques dans les cafés et les anniversaires des fêtes nationales. La formation d’un orchestre de quartier sera la troisième étape. Rivaliser avec les grands orchestres sera une reconnaissance ! Il se produira surtout avec l’association du Croissant Rouge pour animer les actons humanitaires reprenant les mélodies tonitruantes de Mohamed Lamari. Les locaux de la J.FLN étaient au niveau de l’hôtel Koller, il s’y glissait pour se frotter à d’autres artistes et se mesurer avec des instruments et la voix. Il se fit remarquer lors de ses répétitions quotidiennes par le chef d’orchestre Djillali Haddad qui l’invitera à un apprentissage sérieux du chant et au travail de la voix. Il sortira de Tizi Ouzou pour s’installer à Alger. C’est là qu’il rencontra le formateur Mahboub Bati qui l’inscrivit dans l’élan général de modernisation du Chaabi. Sérieux, assidu, il apprendra bien vite et évoluera pour chanter en public comme un artiste confirmé.
Il chantait l’amour
Enfant du formidable tourbillon social et culturel de la sortie de la guerre d’indépen-dance dont nous ressentons encore aujourd’hui les soubresauts, il en a gardé les stigmates mais aussi le meilleur, la liberté et l’inspiration bouillonnante, à la recherche d’un printemps toujours reporté, ravissant ses fans en leur donnant l’impression d’avoir toujours à le redécouvrir. Artiste jusqu’aux bouts des ongles, Il naviguait subtilement dans l’océan de ses rêves juvéniles avec le style musical local modernisé, universalisé. Il passait allégrement de l’Achouiq kabyle du Djurdjura natal au langoureux Hawzi de la bourgeoisie algéroise, mais éclatait carrément dans le chaabi moderne du compositeur génial Mahboub Bati qui lui taillait des chansons sur mesure ! Cette polyvalence faisait sa force. Son prénom Ali, marqué par la religion, sonnait trop vieux, Il ne convenait pas à la profession de chanteur ! Il voulait un nom d’artiste tonique et surprenant !
Le prénom Samy incarnait la nouveauté, la jeunesse, la modernité, le dynamisme, un nom international passe partout ! Et puis ne sommes-nous pas les enfants de Sem ? Les jeunes attendaient de lui du neuf, de l’inédit, qu’il leur chante les filles et leur beauté, mais plus crument, pas comme le veut la tradition pudibonde des vieux interprètes des Qçayed de Benkhlouf et Laalami ! Quel artiste n’a pas chanté l’amour et ses blessures ? Servi par son physique avantageux et l’une des plus belles voix de sa génération, Samy chantait les filles de son pays auxquelles il a dédié son tube ‘’Ya Bnat El Djazair’’. C’était le temps des Gérard Lenormand, Julien Clerc, Johnny Hallyday bienaimés à Alger, et Samy rivalisait avec ses tubes ‘’Errahla’, ‘’Ya Radia’’, il avait même repris le tube de Dalida ‘’Dirladada’’… Avec Samy les jeunes chantaient la femme et les répertoires de Lamari, d’Enrico Macias, et autres grands interprètes de la vieille époque que Mahboub Bati avait modernisés
Le saut à Paris
Samy ne pouvait échapper à l’aventure valorisante de l’émigration. Il s’installa à Paris en 1968 avec ses amis musiciens Rachid Mesbahi et Rachid Kellas. Il vivra de petits métiers refusant de chanter dans les stations de métro comme ce fut la mode en son temps ! Il trouva une place de serveur dans les wagons-restaurants des trains de grandes lignes et s’amusait à fredonner dans les rames des mélodies natales au grand bonheur des voyageurs. Il sera remarqué par un impresario qui lui fit rejoindre la troupe musicale de ’’ l’Amicale des Algériens en France’’. Il ajoutera une note d’algé-rianité à son prénom ‘’El Djazaïri’’ ! Son nom d’artiste sonnait alors comme un oxymore ! Cette association de deux termes contradictoires mais complémentaires, l’un local et l’autre universel ‘’ El Djazairi le démarqua ainsi de Samy El Maghribi qui hantait les soirées de l’immigration nord-africaine à Paris. Il ira d’emblée à la source, comme pour se créer des racines, sur la trace de ses grands prédécesseurs, Sliman Azem , Allaoua Zerrouki, Cheikh Aouzelag ,Chrifa, cheikh Arav Vouyezgaren, en quête de la poésie de Si Mohand Ou Mhand. Il enregistrera son premier 45 tours en professionnel en reprenant ‘’Ttɣeniɣ Si Mohand Ou Mhand. (Je chante Si Mohand Ou Mhand) et ‘’Rouh Rouh‘’ (Va-t-en , pars ) composées et chantées par Mohand Ouzegane, un grand artiste patriote de la guerre de libération oublié, décédé en septembre 1975.
L’apport de la télévision
Samy fera d’incessants va-et-vient entre Paris et Alger. Le poète Meziane Rachid lui écrira des chants sur le thème du déracinement ! Le chagrin des départs, la nostalgie et les symboles identitaires de sa montagne natale perdue : ‘’Avrid iw r idurar’, ‘’Ay Aheddad Lfeta’’ ‘’Aha kan a Wardiya’’. Mahboub Bati lui composera des chansons en arabe Dardja de la Casbah, sur les thèmes de l’amour et de la rupture Il lui écrira entre autres, ‘’Ya bnet el Djazaïr’’ ‘’Ya radia’’ ‘’Errahla’’ ‘’Mehen ni Zine ya laamer’’, ‘’ qeftan-k mehloul ya lala ’’ ‘’dour biha ya chibani’ qui seront de grands succès . Mahboub Bati, son manager, lui obtiendra sa première apparition dans une émission de variétés à la télévision algérienne. Ses tubes seront régulièrement repris par les chaines de radios nationales. Il se fraya une place aux cotés des grands chanteurs des années 70, tous lancés par Mahboub Bati : Lamari, Guerouabi et El Ghazi, Djamal Chir, Karima, Chaou Abdelkader. Son look de bête de scène le propulsa sur les feux de la rampe. Samy incarnait l’Algérie moderne, il présentait bien, il était beau ! Il sera alors souvent invité à la télévision, de plus il avait de l’humour et de la spontanéité. Et naturellement, il fit partie de nombreuses tournées nationales et internationales avec ses nombreux et inoubliables succès.
La dernière sortie tragique
En 1975, Samy El Djazaïri se marie. Le couple s’installe à Paris. Comme ses prédécesseurs kabyles Samy gère un bar-restaurant. Il chantait en fin de soirée ses nouveaux tubes « Radia » et « Bnet El Djazaïr». En 1980, il se réinstalle avec sa famille à Tizi Ouzou. Sa femme décida de repartir en France et le couple ne résistera pas aux épreuves du temps ! Ce fut le divorce en 1981. Samy composera ‘’Khlas ana wenti’’ et « El Rahla » (Celle qui s’en va) en lien avec son amour perdu. Il avait alors besoin d’évasion pour habiller la déconvenue ! Il entame avec un lourd programme de concerts, un grand périple national commençant par Blida ! Samy fit sa première sortie triomphante ! Revenant d’une tardive et épuisante soirée de chants aux côtés d’autres artistes algérois, il perdit le contrôle de son véhicule ! Le 3 avril 1987 vers 6h du matin, Il mourut dans cet accident de la route à Birtouta, entre Blida et Alger !
Le monde artistique a retenu son élégance, sa voix et son style moderne en constante évolution. Mohamed Attaf, son ami, lui consacra en 2018 une biographie Intitulée ‘’ La voix des astres, Samy El Djazaïri ‘’ éditée par la maison Dar El Houda et présentée à la 23e édition du Salon international du livre d’Alger. L’ouvrage est composé de deux parties : la première consacrée à sa biographie et la seconde à la traduction en français des textes qu’il a chantés en kabyle et en arabe. La discographie de l’artiste et la chronique de ses grandes sorties ferment l’ouvrage. Un hommage bien médiatisé lui fut rendu en 2013 par la maison de la culture de Tizi Ouzou, avec un recueillement sur sa tombe au cimetière de Mdouha. L’artiste nous laissa 22 quarante-cinq tours et trois cassettes de près de 20 chansons.
Ci-après la retranscription et la piste audio de « Ay aheddad ».
Ay aheddad
Ass mi llan widak yecfan
Yak d elfahemin yeɣran
Nelḥa s lwerd netteẓẓu-t
Ma d tura laxeṛ n zman
Ma d tura laxeṛ n zman
Lyasmin yefnan
Ḥesbent-id bab-is yemmut
Llah llah a zin arqaq
Llah llah a zin arqaq
Yak teǧǧiḍ ul-iw ixaq
Ay aḥeddad n elfeṭṭa xdem-iyi d timengucin
Yemma ɛzizen a yemma ruḥ xḍeb-iyi d m-teɛyunin
Ay aḥeddad xdem-iyi d timengucin
Ay aḥeddad xdem-iyi d timengucin
Ay aḥeddad n at yanni
Keč ig xedmen neqc yelhan
Taɛzizt-iw tezdeɣ leɛlali
Fell-as ur gganeɣ uḍan
Ay aḥeddad xdem-iyi d timengucin
Ay aḥeddad xdem-iyi d timengucin
Amzur-is bḥal akbal
Ɣef tuyat la yettcali
Zzin ireqqen am zal
Taksumt-is d afilali
Ay aḥeddad xdem-iyi d timengucin
Ay aḥeddad xdem-iyi d timengucin
Elqed ɣef tin yerna wagus
Iṛucc s zzin imserri
Ad s tiniḍ tettwaxdem s ufus
Inǧer-itt ufennan s elqis
Ay aḥeddad xdem-iyi d timengucin
Ay aḥeddad xdem-iyi d timengucin
Ay aḥeddad n elfeṭṭa xdem-iyi d timengucin
Yemma ɛzizen a yemma ruḥ xḍeb-iyi d m-teɛyunin
Ay aḥeddad xdem-iyi d timengucin
Ay aḥeddad xdem-iyi d timengucin
Quel dommage que les paroles ne soient pas en script arabe (j’apprends le Darija et les chanson de Samy El Djazairi m’aident bcp !!!!! J’adore !!!!!)