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mercredi 25 juin 2025
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Sandrine-Malika Charlemagne : une œuvre entre art, pensée et engagement

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Sandrine-Malika Charlemagne est une artiste de la plume et de l’image, profondément enracinée dans l’univers du théâtre, de la poésie et du roman. Formée à l’art dramatique aux côtés de Véronique Nordey, puis auprès de grandes figures telles que Jean Claude Fall, Armel Veilhan et Armand Gatti, elle incarne dès ses débuts une voix aux multiples résonances, habitée par la scène, la parole et l’écriture.

Son parcours, entre les planches et l’écran, l’amène à rejoindre les Ateliers Varan, où elle se forme au documentaire. Elle y réalise plusieurs courts métrages, parmi lesquels En attendant Hugo et Si Balzac m’était conté.

Sa production littéraire est aussi éclectique que féconde. Elle s’ouvre avec Anastasia, une pièce radiophonique tirée de son œuvre dramatique et diffusée sur France Culture. En poésie, elle publie Parallèles (2005), Sauvez la beauté (2018) et La Petite ouvrière métisse (2023), ce dernier étant salué pour sa puissance incantatoire et sa capacité à réveiller les voix féminines opprimées.

Elle s’empare également du roman avec trois titres majeurs : À corps perdus (1994, J.-C. Lattès), Mon pays étranger (2012, La Différence) et La Voix du Moloch (2020, Éditions Velvet), ce dernier bénéficiant du soutien du Centre national du livre. Dans ce récit, elle dresse le portrait d’Alice, une femme métisse entre la France et l’Algérie, aux prises avec des tensions familiales, les réalités sociales et la quête d’identité dans un Paris ouvrier, révélant ainsi « le jeu d’ombres et de lumière des existences ».

Son œuvre la plus récente, La Traqueuse (2023, Velvet), est un roman inclassable, croisant fantastique, réflexion philosophique et enjeux sociétaux contemporains. L’intrigue oscille entre mondes parallèles – la Cité, l’Intermonde, le Tréfonds – et explore le parcours d’une héroïne métisse en quête de sens, confrontée à la vieillesse, aux dilemmes technologiques et aux pensées de Heidegger ou Arendt. Acclamé pour la flamboyance de son style et la profondeur de ses interrogations sur le bien, le mal, la vie et la mort, le roman exprime son ambition de penser notre époque avec les ressources de la littérature et de la philosophie « du Dieu Phynance et d’au-delà ».

L’écriture de Sandrine-Malika Charlemagne se distingue par sa sensibilité engagée. Elle prête sa voix aux invisibles – femmes, métis, ouvriers, migrants – et fait éclater les frontières entre les genres littéraires. Cet engagement transparaît dans ses textes, dans les ateliers qu’elle anime auprès de la jeunesse urbaine, des aînés ou des personnes en soin, mais aussi dans une parole militante relayée à travers lectures publiques, festivals et prises de position dans l’espace littéraire. Chez elle, le politique et le poétique s’entrelacent, entre enracinement local (à Paris, en Kabylie ou en banlieue) et visée universelle.

L’impact de son œuvre réside dans cette capacité à faire résonner une pluralité de voix – poétiques, philosophiques, populaires. Elle scrute notre civilisation, ses parts d’ombre et de lumière, et convie ses lecteurs à embrasser la complexité de l’humain. À travers ses textes, elle questionne les enfermements culturels et les dualismes : femme/homme, vie/mort, ici/ailleurs, métissage/identité. Elle façonne ainsi un espace littéraire où l’ordinaire côtoie l’au-delà.

Toujours fluide, son écriture circule entre les registres, des ateliers d’écriture aux ondes radiophoniques, de l’intime à la voix collective. Elle bâtit une œuvre ascendante, de la scène au poème, du documentaire au roman, portée par une pensée humaniste et philosophique affirmée. Son influence rayonne des planches aux librairies, des festivals aux cercles de réflexion, faisant d’elle une figure incontournable de la littérature contemporaine.

Dans cet entretien, Sandrine-Malika Charlemagne nous ouvre les portes d’un univers littéraire pluriel, où le théâtre côtoie la poésie, le roman dialogue avec la philosophie, et où l’engagement donne voix aux oubliés. Entre réflexion intime et regard acéré sur le monde, elle nous partage sa vision de l’écriture comme acte de résistance et de transmission.

Le Matin d’Algérie : Votre œuvre navigue entre théâtre, poésie, roman et documentaire. Qu’est-ce qui vous guide dans ce passage fluide d’un genre à l’autre ? 

Sandrine-Malika Charlemagne : La passion. Le désir. L’expérimentation des formes. Pour le théâtre, c’est mon passage au cours Véronique Nordey qui a été le déclencheur. C’est là-bas que j’ai découvert l’univers théâtral, la magie, l’effervescence, les vies sublimées, j’ai dévoré des pièces, et suis allée pour la première fois au théâtre. J’avais un peu plus de 20 ans. Plus tard, j’ai osé l’aventure de l’écriture théâtrale. 

La poésie, elle, c’est sans doute en lien avec l’adolescence, cela a commencé au collège. J’adorais la poésie. J’étais souvent volontaire pour la réciter par cœur en classe. Les fenêtres de Baudelaire, ça m’avait bouleversée, peut-être parce que je ne voyais depuis la fenêtre de ma chambre qu’un haut mur gris de béton. Puis un jour, un déclic, et sont nées mes tentatives poétiques. 

Le roman, c’est plus mystérieux. Mais ce sont mes lectures romanesques qui m’ont aidée à franchir le pas. Même si bien sûr parfois je me dis que tout a été écrit avec une telle puissance, que je ne sais si je suis vraiment à la hauteur. Mais écrire, créer, c’est mon oxygène. Quant au documentaire, c’est une façon de raconter autrement, de restituer sur la toile des paroles ou des ambiances, j’ai toujours été fascinée par les images cinématographiques. En 2014, j’ai suivi un atelier de formation au cinéma documentaire aux Ateliers Varan, pour mieux appréhender le processus de la réalisation et acquérir quelques outils qui me furent très précieux. 

J’aime naviguer au gré du courant. Là où mon inspiration me porte.

Le Matin d’Algérie : Dans La Petite ouvrière métisse, vous donnez voix à des figures féminines marginalisées. Comment la poésie peut-elle devenir un espace de réparation ou de résistance ?

Sandrine-Malika Charlemagne : La poésie, un espace où l’on communique avec le sensible, avec l’autre, avec soi. Pour moi, davantage un espace de consolation. De recherche intérieure. Un espace d’illuminations et/ou de révélations.

Le Matin d’Algérie : De Mon pays étranger à La Traqueuse, vos héroïnes explorent souvent le métissage et la quête d’identité. Est-ce une manière de questionner la mémoire collective et les appartenances ?

Sandrine-Malika Charlemagne : Dans Mon pays étranger, la narratrice qui ne parviendra pas jusqu’à la tombe de son père, enterré en Algérie, est sans doute en fait plus à la recherche d’une mémoire collective qu’en quête d’une identité. Pour La traqueuse, Alètheia, l’héroïne principale, d’origine franco-malienne, se retrouve au cœur d’une trame en lien avec la mémoire collective. 

Avec Alètheia, qui signifie « vérité » en grec ancien, le métissage est présent de fait, mais c’est principalement la recherche spirituelle qui domine. Effectivement, ces questionnements sont souvent présents dans mes ouvrages.

Le Matin d’Algérie : La philosophie irrigue votre écriture, notamment dans La Traqueuse où Arendt et Heidegger apparaissent en creux. Quelle place tient la pensée dans votre travail littéraire ?

Sandrine-Malika Charlemagne : Je pense que ce qui reliait Martin Heidegger et Hannah Arendt est un thème éminemment romanesque. Une telle passion les unissait si fort que la mort ne pouvait pas les séparer. Il y a d’ailleurs eu le film de Margarethe von Trotta qui évoque en filigrane leur histoire.

D’après Borges, la théologie appartient au genre de la littérature fantastique. Il me semble que la philosophie peut fournir des thèmes pour la littérature. Dans La traqueuse, j’ai souhaité explorer ce qui se passerait si on remettait en question la distinction entre objet et sujet. Dans ce cas, la réalité n’est plus extérieure à soi, mais elle devient notre création, comme l’évoquent certains des personnages de La traqueuse dans l’Intermonde. La carte n’est plus une représentation du monde, elle est littéralement le territoire. Dans cet ouvrage, j’ai donc tenté d’explorer les possibilités qui m’étaient offertes.

Le Matin d’Algérie : Votre écriture mêle étroitement engagement et sensibilité. De quelle manière parvenez-vous à faire dialoguer l’expérience personnelle avec les enjeux collectifs ? 

Sandrine-Malika Charlemagne : J’ai toujours été sensible aux inégalités. M’interroger sur la façon dont s’organise la collectivité à laquelle j’appartiens fait en quelque sorte partie de mon ADN.

Dans notre monde protéiforme, il y a beaucoup de causes qui nous interpellent. M’engager dans l’écriture, c’est essayer de dire ce que je ne saurais exprimer avec clarté par la parole. Je fonctionne surtout par intuition, et disons avec ma sensibilité. 

De même, c’est à partir de mon expérience personnelle, des rencontres et de ce que j’observe en silence, que j’analyse certains événements. Et naît alors, sans que je le décide vraiment, cette imbrication entre expérience personnelle et enjeux collectifs.

Le Matin d’Algérie : Avec La Traqueuse, vous explorez des mondes parallèles, les dilemmes technologiques, le vieillissement et des figures philosophiques comme Heidegger ou Arendt. Qu’est-ce qui vous a poussée à mêler ces dimensions, et quel regard portez-vous sur la frontière entre réel et fiction aujourd’hui ?

Sandrine-Malika Charlemagne : Il est clair que la fiction se nourrit du réel. Pour moi, on ne crée pas à partir de rien. Mes écrits naissent de mes lectures, de mon vécu, mais aussi d’impulsions. Ensuite se mêlent l’imaginaire, les personnages qu’on transfigure. Les mondes parallèles m’ont toujours fascinée, j’ai vu pas mal de films de science-fiction, entre autres la tétralogie Matrix et Inception. C’est quoi la réalité ? Existe-t-il un autre espace-temps ? La technologie nous sauvera-t-elle ou nous conduira-t-elle à notre perte ? La fiction peut aussi inspirer la réalité. Un exemple, et ce n’est sans doute pas le seul, est celui de la cape d’invisibilité de Harry Potter. Des scientifiques se sont mis à réfléchir à comment fabriquer quelque chose qui aurait les mêmes effets. Ils se sont penchés sur l’étude des métamatériaux qui à ce jour permettent de faire disparaître partiellement certains objets. 

La frontière entre réel et fiction, c’est une énigme. 

Le Matin d’Algérie : À vos yeux, la double culture est-elle une richesse, un défi, ou les deux à la fois ? Comment cette pluralité nourrit-elle votre parcours personnel et artistique ?

Sandrine-Malika Charlemagne : Une double culture permet d’accéder à deux traditions, deux savoirs, deux visions du monde. Il s’agit là évidemment d’une richesse car la double culture offre plus de souplesse pour interpréter ce qui nous entoure, et peut-être aussi plus de matière à partir de laquelle il m’est possible de créer. En cela, elle est une richesse, mais aussi un défi. Celui de regarder selon deux angles différents. Concernant cette pluralité, je pense en fait que celle-ci me nourrit de manière très inconsciente. 

Le Matin d’Algérie : Pouvez-vous nous parler de vos projets actuels ou de ceux à venir ?

Sandrine-Malika Charlemagne : Avec Jean Asselmeyer, on accompagne les projections de notre documentaire, Deux vies pour l’Algérie et tous les damnés de la terre, qui évoque le parcours de Gilberte et William Sportisse, communistes algériens, ayant soutenu l’indépendance. C’est leur histoire dans la Grande Histoire.

Je viens d’achever l’écriture d’un manuscrit poétique et je termine celle d’un manuscrit romanesque.

Concernant mon dernier recueil de poésie, La petite ouvrière métisse, publié à La Rumeur libre, j’ai sollicité l’aide d’un ami, enseignant à l’Université Mouloud Mammeri, en Kabylie, pour une traduction en tamazight. Mais cela dépendra de son temps libre, l’avenir nous le dira. 

Le Matin d’Algérie : Un dernier mot peut-être ? 

Sandrine-Malika Charlemagne : Merci de m’avoir accordée ce temps d’échanges. Et une phrase de Mahmoud Darwich : « Libre je suis tout près de ma liberté. Mon futur est dans ma main. »

Entretien réalisé par Brahim Saci

https://sandrinemalikacharlemagne.blogspot.com

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