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Sansalomania : une querelle qui n’a grandi personne

Boualem Sansal

Boualem Sansal condamné à 5 ans de prison, a été gracié il y a quelques jours.

Il y a dans cette affaire Sansal quelque chose d’étrangement familier : une querelle qui enfle, deux camps qui s’excitent, et au milieu un écrivain qui disparaît derrière son propre nom.

Depuis un an, la scène médiatique française rejoue la même pièce, comme si elle n’avait pas d’autre décor. Le Point n’est pas seul : une bonne partie de la presse parisienne, des matinales aux plateaux d’info en continu, s’est lancée dans une croisade qui tenait plus du réflexe pavlovien que d’une véritable défense de la littérature. On a présenté Sansal comme un symbole blessé, un martyr de la liberté, un étendard à redresser.

Le problème, c’est que personne n’a gagné cette guerre. Surtout pas le débat.

Quand on prend un peu de recul, quand on se place à la distance d’un passant qui regarde deux hommes s’empoigner sur un trottoir, on voit surtout le grotesque de la scène. Les sansalophiles crient à la liberté muselée, les sansalophobes hurlent à la trahison nationale, et chacun se convainc que son indignation est un acte politique. En vérité, ce sont deux réflexes jumeaux : la sacralisation d’un côté, la diabolisation de l’autre. Deux postures qui s’annulent, qui empêchent de penser, et qui transforment un écrivain – avec ses fulgurances, ses maladresses, ses excès – en simple prétexte.

Pendant un an, les médias français ont frappé fort, mais à côté. À force de vouloir fabriquer un héros, ils ont créé un punching-ball. À force de défendre la liberté d’expression, ils ont écrasé la complexité sous des mots trop grands. À force de chercher une victoire symbolique, ils ont perdu le sens même de la nuance. De l’autre côté de la Méditerranée, la riposte n’a pas été plus subtile : posture de fermeté, crispation patriotique, réponses sèches. Le tout pour aboutir, finalement, à une grâce discrète, glissée dans un couloir comme si l’on voulait réparer une maladresse en espérant que personne ne le remarque.

Tout cela pour ça.

Un an de bruit, de tribunes, de débats sans épaisseur, pour revenir exactement au point de départ. Sansal n’a pas changé. L’Algérie n’a pas changé. La France non plus. Seules les postures se sont épuisées. La vérité, c’est que cette Sansalomania ne dit presque rien de Boualem Sansal.

Elle dit tout de nous.

Elle dit notre incapacité à discuter sans nous enflammer, notre besoin compulsif de héros ou d’ennemis, et notre vertige devant la complexité. Elle dit une France médiatique qui transforme tout écrivain algérien un peu libre en trophée commode pour se rassurer sur sa propre vertu, encouragée par un ex-ministre de l’Intérieur qui a cru voir dans l’affaire Sansal l’occasion de rejouer la grande bataille morale qu’il n’avait jamais vraiment gagnée.

Et elle dit aussi l’autre réalité, plus gênante : une Algérie politique qui, au lieu d’ignorer un écrivain ouvertement critique envers le pays – ce qui aurait été la réaction la plus intelligente – a choisi la pire option, celle qui coûte cher et ne rapporte rien, en l’emprisonnant quelques mois comme on veut donner une leçon qu’on ne sait pas formuler. Un réflexe défensif, inutile, presque puéril, qui a surtout montré à quel point le pouvoir peut encore se piéger lui-même.

Elle dit enfin notre difficulté collective, de part et d’autre, à écouter ce qui dérange sans immédiatement brandir un drapeau, sans confondre critique et menace, ni désaccord et trahison.

Ce qui reste, quand la poussière retombe, c’est un sentiment de vacuité. Une querelle bruyante qui n’a grandi personne. Une bagarre de trottoir où ceux qui frappaient fort ne savaient plus très bien pourquoi. Et peut-être qu’il est temps – vraiment temps – de laisser tomber les poses, de ranger les armures, et de relire l’écrivain pour ce qu’il est : un auteur. Ni prophète. Ni paria. Simplement un écrivain qui écrit, qui se trompe parfois, qui éclaire parfois, mais qui mérite d’être lu autrement qu’au travers du vacarme de ses supporters et de ses ennemis.

Tout le reste n’était que bruit. Un bruit inutile, qui masquait le silence essentiel : celui de la littérature qu’on n’a presque pas entendue.

Zaim Gharnati

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