Mardi 2 avril 2019
Seconde et dernière lettre à Abdelaziz Bouteflika
Monsieur le Président,
Je ne sais pas si vous en avez le souvenir, considérant votre état de santé, mais je vous ai fait remettre le jour de votre investiture (le 20 avril 1999, à votre domicile, en main propre, par feu Larbi Belkheir), une lettre dont je prélève ces extraits qui ont à voir avec ce que je souhaite vous dire très brièvement aujourd’hui car le temps presse pour vous et pour la suite :
« Le pouvoir, vous y étiez puis vous en avez été éloigné. Vous y revoilà de nouveau, pour vous ne savez combien de temps. Vous êtes appelé à le quitter une autre fois, mais en le quittant cette autre fois, et pour de bon, vous ne trouverez pas devant vous un désert à traverser, mais le tribunal de la postérité à affronter. Votre comptable et votre juge ne seront ni l’électorat, ni l’opinion internationale, mais l’Histoire et Dieu…
Aujourd’hui que le sort vous a désigné pour présider à nos destinées à l’orée du troisième millénaire, il vous faudra mettre au service de cette mission votre conscience, votre expérience et vos compétences… C’est de leur plus haut responsable que les citoyens d’un pays attendent d’habitude l’exemple et l’indication du chemin à suivre… Ils sont inconsciemment portés à attendre de lui les gestes symboliques, les preuves de sa sincérité et les manifestations de sa compétence. Vous avez parlé d’esprit chevaleresque, donnez-en des illustrations concrètes…
La majorité des Algériens actuels ne vous connaissent pas. Ils ne vous ont pas rencontré et ne savent de vous que ce qu’ils ont entendu ou lu sur vous. Vous êtes aujourd’hui en face d’eux, vous avez l’occasion de vous faire connaître d’eux pour ce que vous êtes réellement et, selon ce qu’ils découvriront, ils seront vos amis ou vos ennemis…
Un homme d’Etat qui regarde vers le haut et non vers le bas, qui scrute l’horizon de l’Histoire au lieu des coulisses du pouvoir, qui n’agit pas en fonction du seul court terme, qui ne flatte pas l’ignorance et les défauts de ses concitoyens pour s’en faire aimer, finira par gagner l’affection de son peuple et forcer le respect de l’étranger »…
Bien sûr, je regrette, et probablement vous encore davantage, que ces conseils ne vous aient en rien servi. On ne remonte pas le passé, et le résultat est là aujourd’hui, dans l’image que vous renvoient votre conscience, votre miroir et les voix de quarante millions d’Algériens et d’Algériennes dans la rue, en liesse et dans la peur des lendemains à la fois.
En ce 1er avril 2019 vous avez, pour la première fois depuis le début du soulèvement populaire contre vous, fait connaître à la nation et au monde que vous acceptiez de vous pliez à la volonté populaire. Celle-ci ne vous a pas sommé de partir dans la précipitation, mais vous laisse achever votre mandat dignement. Autant que possible, et en retour, essayez d’avoir une pensée pour ce pays après vous.
Vous avez le temps, si Dieu vous prête vie et d’ici votre démission, de faire du bien à ce peuple pour vous ménager un peu de compassion auprès de lui, de Dieu et de l’Histoire… Se plier à la volonté du peuple, c’est respecter les termes de la Constitution et en particulier les articles 7, 8, 11 et 12.
Remettez le pouvoir au peuple en recevant une délégation de la Révolution citoyenne, comme il vous arrive de recevoir Mr Lakhdar Brahimi ou d’autres.
Ecoutez-les, recueillez leur avis sur la préparation de l’avenir avant de prendre les décisions que vous promettez. Il ne s’agit pas pour eux d’assurer la continuité de l’Etat, mais de restituer la souveraineté au peuple qui s’est levé comme un seul homme pour exercer ses droits et tracer sa voie.
Cette même délégation pourrait être reçue au Ministère de la Défense nationale pour conférer avec l’institution militaire dans le respect de la Constitution, des lois et de la souveraineté populaire.
Cette révolution citoyenne n’a pas pour but de se venger, mais de reconstruire le pays sur de nouvelles bases et avec de nouveaux visages.
Le peuple veut que vous nommiez le Premier ministre et son gouvernement, le président de la haute autorité chargée de l’organisation des élections et sa composante, le président et le vice-président du Conseil constitutionnel, etc, sur une liste qu’il pourrait vous soumettre en une semaine.
De même qu’il pourrait vous proposer le nom de la personne susceptible d’assurer votre intérim. Vous pourriez alors la désigner en qualité de membre du Conseil de la nation au titre du tiers présidentiel en remplacement de M. Bensalah dans le respect des procédures en usage.
Encore une fois, ce n’est pas ma personne que je vous demande d’écouter, mais la voix de la sagesse et de la raison.