Après avoir subi un examen de passage, quelque trois cents prénoms berbères ont été admis dans l’état civil algérien. Masculins, féminins, fifty-fifty.
Le Haut-Commissariat à l’Amazighité (HCA) en avait pourtant remis près de mille au Ministère de l’Intérieur. Ceux qui ont été recalés sont jugés subversifs. Ils dérangent. Un énorme caillou dans la chaussure du pouvoir qui peine à faire passer la pilule arabo-musulmane au sein des populations qui revendiquent avec fierté leur identité amazighe et leur descendance de héros et d’héroïnes antiques qui ont combattu le maître du monde de l’époque : Jules César.
Dès lors, ils passent outre la nomenclature des prénoms imposés par la loi. Aujourd’hui des Massine (diminutif de Massinissa), des Juba (prononcé Youva) et des Dihya courent les rues des villes et villages d’Algérie avec la bénédiction de quelques maires indulgents qui ne veulent surtout pas s’attirer les foudres d’un peuple en colère à qui on a subtilisé son histoire.
C’est dans ce contexte improbable qu’un jeune couple nommé Ben Mohamed se présente à la mairie de leur commune sise en Basse Kabylie, pour enregistrer la naissance de leur fille Sofines.
« C’est la première fois que j’entends ce prénom, observe l’agent de bureau qui reçoit les administrés.
— C’est le prénom d’une reine amazighe, rétorque le jeune époux avec une pointe d’appréhension. Elle s’appellera également Aïcha mais la primauté revient à Sofines.
— Je connais Kahina, Tin Hinane, mais ce prénom-là, jamais entendu, je l’avoue.
— On la connaît moins bien chez nous qu’ailleurs, intervient l’épouse qui perçoit quelque réticence chez l’employé de bureau. Corneille, un dramaturge français lui a consacré une pièce de théâtre intitulée Sophonisbe. C’est son prénom romain. Massinissa, Syphax, vous connaissez quand même ?
— Comme tout le monde, répond ce dernier, le regard rivé sur l’écran de son ordinateur ».
A brûle-pourpoint, la jeune maman se lance dans une leçon d’histoire :
« Sofines, fille d’Hastrubal un général carthaginois, était aimée de ces deux grands hommes. Elle a choisi Syphax parce que c’était un allié de Carthage. Alors que Massinissa était plutôt allié à Rome, le camp ennemi. Au terme de trois guerres Carthage est vaincue. Sofines devient alors l’esclave de Sipion. Pour mettre un terme à cette humiliation, Massinissa, toujours épris de la reine déchue, lui envoie un poison qu’elle prend bien volontiers et met fin à sa vie.
— C’est tragique mais c’est une belle histoire, apprécie le bureaucrate.
— Il s’agit de notre histoire dont les pages sont sauvagement arrachées par les gens qui nous gouvernent, intervient le jeune époux.
— Ecoutez, tranche l’agent, le nouveau maire est intransigeant sur la question, vous ne devez pas l’ignorer, c’est quelqu’un du système. Mais rien ne vous empêche de l’appeler Sofines, sauf que sur le registre elle sera inscrite sous un autre prénom. Vous avez dit Aïcha, c’est original, une reine esclave.
— En effet, répond sèchement l’épouse, mais on aimerait voir le maire pour lui faire entendre raison.
— Il n’est pas là aujourd’hui, ment l’agent de bureau.
— Évidemment, s’indigne la maman ».
Ainsi Sofines grandit avec ce prénom qui la distingue par sa singularité. La jeune fille se distingue aussi par sa beauté et son intelligence. Comme pour forcer le destin, ses parents, fervents militants de la cause berbère, la mêlent aux diverses manifestations auxquelles ils prennent part. Initiée au militantisme et au sens des responsabilités, elle est élue déléguée de classe dès la sixième. Elle n’a que onze ans. A vingt ans elle devient porte-parole des étudiants. À vingt-cinq, on lui confie la présidence du comité de son village. À trente, elle entre au parlement comme députée. Célèbre pour son franc-parler, elle est souvent invitée à la radio et à la télévision. Les femmes dont elle défend farouchement les droits, la mettent sur un piédestal. Les hommes, eux, se bousculent pour l’épouser.
Mais du jour au lendemain toute sa notoriété s’écroule comme un château de cartes. Elle épouse le Ministre de la Culture. Certes, un Kabyle, mais quelqu’un du système, un corrompu. Lâchée par les siens, elle sombre dans une profonde dépression. Elle divorce et quitte le pays. Elle s’envole pour la France où elle trouve une vieille connaissance qui la prend sous son aile. Elle l’épouse et retrouve une forme de sérénité mais pas pour longtemps puisque celui-ci la contraint à travailler.
« Une paie ne suffit pas », lui dit-il.
Ses diplômes algériens n’étant pas validés, elle est réduite à faire les ménages dans les hôtels et chez les particuliers. Ses employeurs ne l’appellent pas Sofines mais par le nom qu’ils trouvent sur ses papiers : Aicha Ben Mohamed.
C’est en faisant le ménage, précisément en nettoyant une fenêtre au cinquième étage d’un immeuble, qu’un jour, elle fait une chute qui lui a été fatale. La piste de l’accident est privilégiée mais plus d’un pense qu’il s’agit sans aucun doute d’un geste délibéré pour mettre fin à l’humiliation et à la déconvenue.
Son corps est rapatrié dans son village natal dès le lendemain de sa mort, accueilli par des centaines de gens venus lui rendre hommage. Le comité du village lui organise des funérailles sans précédent.
Un nouveau maire est élu dans la commune. Très sensible à l’histoire de Sofines, il fait le nécessaire pour modifier son état civil. Il ira plus loin encore, il inscrira les nombreuses Sofines qui naîtront par la suite. D’autres maires dans d’autres communes feront de même.
Aujourd’hui, pour rendre hommage à Sofines, des dizaines de personnes viennent déposer des fleurs sur sa tombe sur laquelle on peut lire cette épitaphe:
Sofines
Plutôt rompre que plier
Tu as dit non
À l’humiliation
Gloire à toi
Repose en paix
Boho
Allez dites-moi que l’Algerie est independente et non sous tutelle en phase d’assimilation. Il y a des pays ou l’on a droit de changer jusqu’a son sexe !!! Le sujet n’etant pas le bien ou mal de le faire, mais l’ettendue du mot libre. Helas, les Algeriens reclament la democratie qu’il interpretent comme assistanat. La liberte’ quand a elle, c’est du chitane. C’est ainsi qu’assis sur une terasse sous un merveilleux soleil, un ami d’enfance, maintenant universitaire(broff) que j’invite a une bierre m’apprend qu’il ne se soule plus, ni a la bierre ni au vin…
Quelle belle « lisse-poire » au pays des « ho-mots-tordus »