Les dirigeants arabes se réunissent en sommet mardi en Algérie pour la première fois en trois ans, sur fond de divisions et de premières défections. Une constante qui caractérise cette organisation.
Le sommet arabe d’Alger commence par des mauvaises annonces. Mohamed Ben Salmane, prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed ben Zayed Al Nahyane l’émir des Emirats arabes et Nawaf Al-Sabah, l’émir du Koweït viennent d’annuler leur participation au sommet. Ce sont trois poids lourds de la Ligue arabe qui viennent de signifier leur absence.
Le roi Abdallah II de Jordanie ne participera pas non plus à ce sommet, selon l’agence de presse jordanienne, Petra, qui a précisé que le Prince héritier, Al Hussein ben Abdallah, conduira la délégation de son pays à ces travaux.
Reste à savoir si l’Egypte de Sissi viendra y assister ?
Quand Alger rétropédale
Tout comme la RASD, la Syrie, en dépit de la terrifiante répression de la contestation par Bachar Al Assad, a toujours bénéficié du soutien des autorités algériennes.
L’Algérie qui place ce sommet, le 31ème de l’organisation panarabe, sous le signe du « rassemblement » a essuyé le refus de participation de plusieurs pays, notamment du Golfe. Le prince héritier d’Arabie saoudite est le premier.
L’Algérie voulait la participation de la Syrie du dictateur Bachar Al Assad. Mais la pression des monarchies arabes a pris le dessus. L’Algérie a cherché en effet en coulisses à réintégrer Damas au sein de la Ligue arabe, dont le pays a été exclu fin 2011 au début de la révolte contre le régime de Bachar al-Assad, mais y a finalement renoncé, officiellement à la demande du régime syrien lui-même.
« Inviter la Syrie au sommet d’Alger dans la conjoncture actuelle comporte un haut risque. L’Algérie a réalisé les conséquences d’une telle présence sur la tenue de son sommet. De concert avec Damas, elle a renoncé à concrétiser son initiative », décrypte M. Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (Cermam) à Genève.
Selon Pierre Boussel, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) en France, le retour de la Syrie au sein de la Ligue arabe était pourtant un souhait de la Russie, alliée de Damas mais aussi d’Alger. Ce ne sera pas le cas. Comme d’ailleurs l’absence de la république arabe sahraouie (RASD) en lutte pour son indépendance contre le Maroc. L’Algérie, grand soutien de la RASD, a démenti énergiquement une probable participation de ce mouvement indépendantiste à ce sommet.
L’ombre de la réconciliation avec l’Etat hébreu
La Ligue arabe, qui regroupe 22 pays, s’était réunie pour la dernière fois au sommet en mars 2019 à Tunis. Depuis, plusieurs membres de ce « syndicat de chefs d’Etat et de rois », qui a historiquement placé le soutien à la cause palestinienne et la condamnation d’Israël en tête de son agenda, ont opéré un rapprochement spectaculaire avec l’Etat hébreu.
Les Emirats arabes unis ont ainsi normalisé leurs relations avec Israël en 2020 dans le cadre d’une série d’accords, dits d’Abraham, négociés par Washington. Bahreïn, le Maroc et le Soudan leur ont emboîté le pas.
Ce rapprochement est d’autant plus significatif dans le contexte du sommet que son hôte algérien est un farouche soutien des Palestiniens. Alger a parrainé à la mi-octobre un accord de réconciliation entre factions palestiniennes rivales, même si les chances de le voir se concrétiser sur le terrain paraissent faibles.
La coopération sécuritaire nouée par le Maroc avec Israël après la normalisation de leurs relations a exacerbé les tensions entre les deux frères ennemis d’Afrique du Nord, déjà vives en raison de profonds désaccords sur le Sahara occidental, ayant conduit à la rupture de leur relations diplomatiques en août 2021, à l’initiative d’Alger.
Si le conflit israélo-palestinien et la situation en Syrie, en Libye et au Yémen figurent bel et bien à l’ordre du jour du sommet, les dirigeants arabes et leurs collaborateurs devront se livrer à de véritables acrobaties diplomatiques dans la formulation des résolutions finales – adoptées à l’unanimité – pour éviter de froisser tel ou tel poids lourd de l’organisation.
« Le sommet devra adresser un message de soutien aux Palestiniens, leur garantissant qu’ils ne seront pas les sacrifiés des accords d’Abraham », a estimé Hasni Abidi. Mais eu égard aux nombreuses absences de pays importants de cette organisation, il est fort possible que le message final finissent comme toutes les initiatives et autres promesses de cette Ligue arabe. Autrement dit : dans les oubliettes.
Un Sommet pour se légitimer à l’intérieur
En vrai, ce sommet était un marche-pied pour Tebboune en quête de légitimité et d’aura. Alger tient beaucoup à cette rencontre. Elle veut en faire une vitrine pour tromper le peuple algérien et chatouiller son orgueil. Faut-il rappeler que ce sommet a lieu au moment même où 300 détenus d’opinion croupissent dans les prisons. Pas seulement, les procès pour délit d’opinion sont quotidiens dans les tribunaux algériens. Alors parler de réconciliation arabe au moment où les autorités répriment à l’intérieur…
Marqués par un manque flagrant de légitimité, Abdelmadjid Tebboune (77 ans) – 6 Algériens sur 10 ont boudé les urnes de la présidentielle en 2019 – et ses mentors font tout pour faire oublier les immenses manifestations de contestation de 2019 et 2020. Et cette rencontre internationale tombe à pic. A condition que les principaux chefs arabes ne lâchent pas Alger et que ce sommet finisse en échec.
Sofiane Ayache