Le prochain sommet du G20 prévu en novembre 2024 au Brésil, mobilise à tort tous les espoirs des pays en développement pour trouver des solutions à leur étouffante dette par une initiative globale et à leurs difficultés de financement via une réforme équitable de l’architecture financière mondiale.
Le G20, un groupe de pays majoritairement vieillissants, représentant plus de 80% de la richesse mondiale (PIB), est censé agir comme le principal forum de concertation économique internationale. Cependant, dans ses décisions, il semble être plus gouverné par ses peurs que guidé par une volonté de progrès pour tous.
Le G20, se trouve face aux immenses besoins de pays jeunes à démographie galopante, aspirant à remodeler les contours du monde, réclamant, tels des enfants impatients au sein de la famille globale, une part accrue de financements pour forger leur avenir. Ces deux blocs n’ont ni les mêmes responsabilités internationales ni les mêmes préoccupations internes.
Leur seul point de convergence est la « stabilité » y compris pour le climat.
Ce qui suggère que toute réforme de l’architecture financière mondiale doit, pour obtenir un consensus, être basée sur le climat qui est une préoccupation majeure des pays riches, en privilégiant une réallocation conditionnelle et modérée de DTS (droits de tirage spéciaux, permettant de rehausser les plafonds de financement des pays et leur niveau de représentativité dans les institutions financières internationales) pour les pays en développement. Cette réallocation est décidée par le Conseil d’Administration du FMI pour compléter les réserves officielles de pays membres. Ce qui ne coute rien « directement » aux pays du G20.
La conditionnalité de cette réallocation pourrait porter sur : les indicateurs environnementaux, les efforts de conservation de la biodiversité, de la reforestation ou de la protection des écosystèmes vitaux, les investissement dans la transition vers les énergies propres et les technologies vertes, …
Comme les intérêts égoïstes des membres du G20 alimentés par les non-dits ci-dessous, s’accordent sur le statuquo, un plafonnement de cette réallocation destinée au climat serait de nature à faire bouger les lignes.
Ce qui n’est pas la proposition soutenue par le Brésil qui suggère une augmentation par les pays riches des capitaux des banques multilatérales de développement.
La dette des nations, en particulier celle des pays en développement, est une épée de Damoclès suspendue au-dessus de la « stabilité » mondiale, menaçant de précipiter non seulement les pays endettés, mais aussi l’économie mondiale, dans une crise profonde.
Sur la dette, le G20 se retrouve souvent empêtré dans des débats stériles sur qui doit payer la facture, ou comment minimiser les coûts pour les créanciers, plutôt que de chercher à maximiser le bien-être global.
Concernant le financement des pays en développement, le défi est tout aussi grand. Le G20 devrait être le laboratoire d’idées novatrices, le réformateur de l’architecture financière mondiale, pour répondre aux besoins immédiats de liquidité et favoriser un développement durable.
Certes, le chemin sera sans doute long et semé d’embûches, mais la volonté collective peut transformer ce qui semble être des utopies en réalités tangibles. Pour cela, une refondation du G20 est non seulement souhaitable, mais impérative, il doit devenir une institution véritablement transformative, capable de répondre aux défis systémiques de notre époque : la dette, la pauvreté, les inégalités, le changement climatique et le développement.
Les non-dits des menaces sur les intérêts du G20
I- Développement des pays émergents
Le développement des pays émergents présente un défi pour les pays du G20, non seulement en termes économiques, mais aussi en termes de pouvoir et d’influence sur la scène mondiale. Cette transition pourrait être perçue comme une menace directe aux intérêts stratégiques et économiques longtemps préservés par les pays les plus développés.
Au-delà de ce qui précède, il est permis de s’interroger sur la perception partagée de menace que pourrait constituer un développement économique des pays émergents sur les intérêts des pays développés. En effet, cette perception prend racine dans plusieurs considérations stratégiques et économiques.
Le développement accéléré des pays émergents remet en question la distribution actuelle du pouvoir économique global. Traditionnellement dominé par les pays du G20, le paysage économique mondial pourrait se voir profondément transformé si les pays émergents continuent de croître à un rythme soutenu. Ce déplacement du centre de gravité économique pourrait éroder la prééminence des économies avancées et redistribuer les cartes de l’influence mondiale.
Avec leur développement, les pays émergents augmentent leur consommation de ressources naturelles, ce qui intensifie la compétition globale pour ces ressources essentielles. Cela pourrait non seulement entraîner une hausse des prix, mais aussi provoquer des tensions géopolitiques autour de l’accès et du contrôle de ces ressources. Les pays du G20, habitués à un accès relativement sans entrave aux ressources mondiales, pourraient voir ce privilège contesté.
Les économies émergentes, en devenant de nouveaux centres de production, attirent les investissements qui auraient pu se diriger vers les économies du G20. De plus, en développant leurs propres industries, elles peuvent devenir des concurrents directs dans des secteurs jusqu’alors dominés par les pays du G20. Ce phénomène peut entraîner une délocalisation des emplois et une perte de parts de marché pour les entreprises des pays développés.
Au fur et à mesure que les pays émergents accroissent leur puissance économique, ils cherchent également à avoir un plus grand impact sur la scène politique internationale. Cela se manifeste par une volonté accrue d’influencer les normes internationales, les règles commerciales, et les politiques environnementales, qui étaient jusqu’ici le pré carré des pays du G20. Ces pays pourraient percevoir cette montée en puissance comme une menace à leur capacité à modeler les régulations globales selon leurs propres intérêts.
Le développement des pays émergents met en évidence la nécessité de réformer les institutions financières internationales pour refléter de manière plus équitable la réalité économique mondiale. Les pays du G20, qui bénéficient souvent d’un poids disproportionné dans ces institutions, pourraient voir ce pouvoir dilué si les réformes étaient mises en œuvre, réduisant ainsi leur capacité à influencer les politiques économiques mondiales.
II- Solution à la dette des pays en développement
Bien que moralement nécessaire et économiquement rationnel à long terme, trouver une solution à la dette des pays en développement représente un défi pour les pays du G20, menaçant non seulement leurs intérêts financiers immédiats mais aussi leur contrôle à long terme sur l’architecture financière mondiale.
Une solution radicale à la dette des pays en développement pourrait impliquer des annulations massives de dettes ou des restructurations qui réduiraient significativement les flux de remboursements vers les pays créditeurs. Pour les économies du G20, qui incluent de nombreux créanciers internationaux majeurs, cela représenterait une perte financière directe et immédiate, affectant leurs banques, leurs fonds de pension et autres institutions financières qui détiennent ces créances.
En admettant la nécessité d’effacer ou de restructurer la dette des pays en développement, les membres du G20 pourraient implicitement reconnaître les failles et les injustices du système financier mondial actuel. Cela pourrait ouvrir la porte à des réformes plus profondes qui remettraient en question les fondements mêmes de l’ordre économique mondial, dominé par les pays les plus riches et leurs institutions financières.
Résoudre la dette des pays en développement de manière équitable pourrait établir un précédent pour d’autres types de réclamations économiques globales, telles que les compensations pour les changements climatiques ou les injustices historiques comme la colonisation. Cela augmenterait également les pressions internes pour répondre à des inégalités et des problèmes économiques au sein des frontières des pays du G20. Les citoyens des pays du G20 pourraient exiger que des problèmes tels que les dettes étudiantes ou les crises hypothécaires soient traités avec la même vigueur. Cela pourrait engendrer une série de demandes financières auxquelles les pays du G20 préféreraient ne pas avoir à y répondre.
Si les pays en développement étaient libérés du fardeau de leur dette, leur potentiel de développement économique pourrait s’accroître significativement. À long terme, cela pourrait altérer l’équilibre actuel du pouvoir économique global, avec l’émergence de nouveaux centres de pouvoir dans des régions actuellement considérées comme périphériques. Cette nouvelle dynamique pourrait menacer la position prédominante des membres du G20.
Les marchés financiers pourraient réagir négativement à une large annulation de dettes, percevant cela comme un signe d’instabilité. La volatilité qui en résulterait pourrait avoir des effets déstabilisateurs pour les économies des pays du G20, qui sont profondément intégrées dans le système financier mondial.
Une annulation significative ou une restructuration de la dette des pays émergents pourrait porter préjudice aux banques et aux investisseurs basés dans les pays du G20, qui détiennent d’importants portefeuilles de dette souveraine. Cela pourrait entraîner des pertes financières substantielles et influencer négativement les marchés financiers mondiaux, perturbant ainsi les économies des pays développés.
La dette est souvent utilisée comme un levier politique par les pays du G20 pour influencer les politiques économiques et les orientations stratégiques des pays débiteurs. La résolution de cette dette réduirait ce levier, permettant aux pays en développement de poursuivre des politiques plus indépendantes, potentiellement en contradiction avec les intérêts géopolitiques et économiques des membres du G20.
La résolution de la dette pourrait également envoyer un signal que les prêts peuvent être renégociés ou annulés, ce qui pourrait réduire l’incitation à la gestion prudente des finances publiques parmi les pays en développement. Cela pourrait augmenter le risque perçu des marchés émergents, influençant la stabilité financière globale et augmentant les coûts de financement futurs.
III- Réforme de l’architecture financière mondiale
La validité éthique et la viabilité à long terme de telles idées soulignent les contradictions inhérentes à un système qui privilégie la stabilité et le maintien du statuquo au détriment de la justice économique et du développement équilibré. Bien que les intérêts à court terme des pays du G20 puissent être préservés par l’absence de réforme, à long terme un système plus équitable et plus durable bénéficierait à l’économie mondiale dans son ensemble, y compris aux pays du G20 eux-mêmes.
Pour les pays du G20, maintenir l’architecture financière actuelle peut sembler essentiel pour préserver la stabilité des marchés financiers mondiaux. Les systèmes et les institutions en place, bien que critiquables, ont été conçus pour réguler les flux économiques globaux, afin de promouvoir une stabilité durable et une prospérité partagée. Des réformes profondes pourraient introduire une période d’incertitude et de volatilité, susceptible de déstabiliser les économies tant développées qu’émergentes.
Les pays du G20, qui bénéficient substantiellement de l’ordre économique actuel, pourraient voir toute réforme significative comme un risque pour leurs intérêts économiques.
La réforme pourrait remettre en question les avantages dont jouissent ces pays en termes de flux de capitaux, de conditions de prêt favorables, et de contrôle sur les institutions financières internationales comme le FMI et la Banque mondiale.
La structure financière mondiale actuelle permet aux pays du G20 d’exercer une influence disproportionnée sur les politiques économiques mondiales. Réformer cette structure pourrait diluer leur pouvoir et permettre à d’autres pays, en particulier les économies montantes, de jouer un rôle plus déterminant, ce qui pourrait aller à l’encontre des intérêts stratégiques des membres actuels du G20.
Enfin, les réformes de l’architecture financière mondiale pourraient contraindre les pays du G20 à modifier leurs propres politiques économiques et réglementations financières pour se conformer à de nouveaux standards globaux. Cela pourrait être perçu comme une atteinte à la souveraineté nationale et à la capacité des pays à gérer leurs économies selon leurs propres termes.
IV- Difficultés financières internes des membres du G20
Les pays du G20, sont contraints par des difficultés financières internes qui les empêcheraient de soutenir davantage les économies en développement. Cependant, il est essentiel de s’interroger sur la réalité de ces contraintes au regard de leurs dépenses, notamment militaires et de sauvetage bancaire, qui suggèrent des capacités de mobilisation de ressources considérables en temps de crise.
Les choix budgétaires actuels dans les pays du G20, en période de crise économique et récession reflètent des priorités de dépenses domestiques à court terme, au détriment d’engagements internationaux quelles que soient leurs retombées bénéfiques à long terme pour le monde globalisé.
Les inégalités croissantes au sein des pays du G20 et entre les nations elles-mêmes rendent les contributions aux fonds de développement plus difficiles, non pas en raison de la capacité financière, mais à cause de la pression croissante sur les gouvernements pour qu’ils répondent d’abord aux urgences nationales.
L’augmentation de la dette publique dans les pays du G20, conséquence de la crise du Covid et des tensions géopolitiques, est une contrainte majeure limitant les capacités d’octroi d’aide ou de financement aux économies en développement.
Dans le grand théâtre de l’histoire humaine, notre époque se distingue par l’ampleur de ses défis et par l’exclusion de fait de toute intégration des perspectives du Sud Global. Cela se reflète dans les promesses de réformes globales et les initiatives du G20 qui n’arrivent que rarement à se concrétiser.
Il est impératif que les pays en développement prennent en main leur propre destin économique. Plutôt que de rester dans l’attente passive d’une hypothétique initiative sur la dette ou restructuration de l’architecture financière mondiale qui pourrait leur être favorable, ces nations doivent explorer avec audace et ingéniosité des stratégies autonomes ou régionales pour gérer leur dette et financer leur développement.
Ould Amar Yahya, économiste, banquier et financier