Le journaliste soudanais Mouammar Ibrahim a été arrêté par les Forces de soutien rapide (FSR) à El-Fasher, capitale du Darfour-Nord, récemment tombée entre leurs mains.
Correspondant local reconnu, il couvrait depuis deux ans les affrontements entre les FSR du général Hemedti et l’armée régulière soudanaise. Son arrestation, confirmée par Reporters sans frontières (RSF) et le Committee to Protect Journalists (CPJ), illustre la répression grandissante visant la presse dans un pays ravagé par la guerre civile.
Selon RSF, au moins sept journalistes ont été tués depuis le déclenchement du conflit en avril 2023, tandis que dix-sept autres sont actuellement détenus. Plus de 400 reporters et une dizaine de médias indépendants ont dû fuir le pays, notamment vers l’Égypte, l’Éthiopie ou le Soudan du Sud. Dans plusieurs régions, les radios communautaires ont été réduites au silence, leurs studios pillés ou transformés en bases militaires.
« Les journalistes soudanais paient un prix humain exorbitant. Ils sont pris entre les deux feux d’une guerre qui détruit non seulement les villes, mais aussi le droit d’informer », alerte RSF dans un communiqué.
El-Fasher, ville martyre et symbole du silence
À El-Fasher, dernière grande ville du Darfour encore tenue jusqu’à récemment par l’armée soudanaise, les combats ont été d’une extrême intensité. Les FSR ont finalement annoncé sa prise complète, au prix de milliers de morts et de déplacés. Plusieurs observateurs, dont RFI et Al Jazeera, rapportent que de nombreux civils — journalistes, médecins, enseignants — ont été arrêtés alors qu’ils tentaient de fuir la ville.
Le CPJ a exigé la libération immédiate de Mouammar Ibrahim, rappelant que sa couverture « indépendante et rigoureuse » avait permis de documenter les violations des droits humains dans une région largement coupée du monde.
Une guerre contre la vérité
Depuis Khartoum jusqu’au Darfour, la presse soudanaise vit un effondrement sans précédent. Les journaux locaux, déjà fragilisés par la censure du régime d’Omar el-Béchir, ont cessé de paraître. Les correspondants étrangers ont quitté le pays. Les rares reporters encore sur place opèrent dans la clandestinité, souvent à l’aide de simples téléphones portables.
Dans un appel collectif publié par Le Monde en avril 2025, des journalistes soudanais et internationaux alertaient sur « l’extinction progressive de la liberté de la presse dans l’un des conflits les plus sanglants du continent africain ».
Exil et résistance
Exilés au Caire ou à Addis-Abeba, de nombreux journalistes tentent de maintenir en vie des plateformes d’information à distance, comme Sudan Witness ou Radio Dabanga, qui s’appuient sur des réseaux de citoyens pour documenter les exactions. Mais la surveillance numérique, les coupures d’Internet et le manque de financement rendent ce travail de plus en plus difficile.
« C’est une guerre contre la vérité », confie un reporter réfugié en Égypte, sous couvert d’anonymat. « Les armes tuent les corps, la désinformation tue la mémoire.»
Silence international
Malgré les appels répétés des ONG, la communauté internationale reste largement passive. Aucun mécanisme de protection spécifique des journalistes soudanais n’a été mis en place, et les violations demeurent impunies.
Pour RSF, « la disparition progressive des voix indépendantes au Soudan menace non seulement le droit à l’information, mais aussi la mémoire du conflit lui-même ».
Mourad Benyahia
Sources :
RSF, CPJ, Al Jazeera (27/10/2025), RFI, Le Monde (15/04/2025, 26/09/2024), Arab News, rapport RSF 2024.

